Origine commune de l'égyptien ancien, du copte et des langues négro-africaines modernes.
Introduction à la
linguistique historique africaine
Theophile OBENGA
Table des matièresINTRODUCTION p. 7CHAPITRE I. - Métbodologie p. 11Principes de la linguistique historique. L'indo-européen. Critères légitimant la comparaison entre l'égyptien pharaonique, le copte et les langues négro-africaines modernes. Recommandations du Colloque égyptologique international du Caire en 1974.CHAPITRE II. - Identification et documentation p. 19.Historique de la langue égyptienne. Dialectes coptes. Processus de l'emprunt fait au grec par le copte. Dictionnaires, lexiques et grammaires pharaoniques et coptes. Identification du mbochi. Mbochi et Bantu. Documentation scientifique sur le mbochi.CHAPITRE III. - Phonétique historique de l'égyptien p. 29Historique de la phonétique égyptienne. Copte et moyen égyptien : phonologie. Première approche relative à la vocalisation de l'égyptien pharaonique. Systèmes consonantiques pharaonique et copte. Voyelles coptes. Structure phonématique du copte.CHAPITRE IV. - Définition et classement des phonèmes mbochi p. 53Traits généraux. Consonnes. Voyelles. Analyse tonématique. Combinaison des phonèmes. ConclusioCHAPITRE V. - Système phonologique du berbère p. 67Documentation. Phonologie berbère : système consonantique et système vocalique. Observations phonologiques. Langues égyptienne et berbère : leur opposition irrémédiableCHAPITRE VI. - Mythes chamito-sémitiques p. 79Etymologie du mot " ham " ou " cham ". Structure morphologique du sémitique, de l'égyptien et du berbère : étude comparative systématique. Faits lexicologiques sémitiques, égyptiens et berbères : leur opposition fondamentale. Le " chamito-sémitique " ou l'" afro-asiatique ", une véritable escroquerie scientifique.CHAPITRE VII. - Correspondances morphologiques entre l'égyptien et le négo-africain p. 97Classes nominales et articles définis. Formation du pluriel. Catégories grammaticales de genre sexuel. Formation grammaticale d'abstraits. Verbe-copule " être ". Pronoms personnels égyptiens et négro-africains. Pronom personnel réfléchi. Adjectifs et leurs emplois grammaticaux. Adjectifs dits " nisbés ". Obtention du comparatif et du superlatif. Verbes et conjugaison verbale flexionnelle. Réduplication. Causatif. Particules verbales. Temps et modes. Formes simples et complexes du verbe : flexions verbales. Particules auxiliaires verbales (morphèmes copules). Expression du futur et tableau des éléments fonctionnels. Particularités verbales idiomatiques. Le " m " dit de prédication. Morphèmes négatifs : tableaux comparatifs. Particules de liaison : tableaux comparatifs.CHAPITRE VIII. - Cbangements et Règles de correspondances phonétiques p. 181Lois phonétiques (" sound laws "). Les données. Analyse des faits pharaoniques, coptes et négro-africains. Établissement de concordances phonétiques : les consonnes. Arbres généalogiques. Tableau d'ensemble. Phénomène de métathèse. Tableau. Établissement de concordances phonétiques : les voyelles. Tableaux évolutifs.CHAPITRE IX. - Faits et correspondances lexicologiques p. 259Remarques générales. Problème de l'emprunt linguistique et langues noncontiguës. Intervention du copte. Problème de l'héritage commun en linguistique. Valeur culturelle et historique de certains lexèmes égyptiens et négroafricains : " boeuf ", " mouton/bélier ", " singe/babouin " " éléphant ", " hippopotame ", " viande ". Deuxième approche relative à la vocalisation de l'égyptien pharaonique : ancien égyptien/nuer/banda/mande. Confirmation par le négro-afticain de certaines lectures du pharaonique tenues pour douteuses. Catégories ontologiques égyptiennes répandues dans toute l'Afrique noire. Panthéon égyptien et divinités négro-africaines. Rapprochements lexicologiques entre l'ancien égyptien, le copte et le négro-africain.CHAPITRE X. - Parlers négro-égyptiens. Leur classification p. 343Le Négro-égyptien, acquisition fondamentale de la linguistique africaine renouvelée. Histoire ancienne du continent afticain et linguistique africaine. Nonexistence des langues dites " semi " bantu. Éclatement de vieilles barrières linguistiques imposées par des théories racistes entre les langues africaines. Nécessité d'une géographie linguistique en Aftique noire. Trois grandes familles linguistiques africaines : le négro-égyptien, le berbère et le khoisan. La famille négro-égyptienne avec toutes ses branches et tous ses sous-groupes. Le verbecopule " être " en négro-égyptien : comparaison systématique.CHAPITRE XI. - Autres Parlers africains. Leur classification p. 361Langues sémitiques de l'Aftique : groupe sémitique éthiopien. Quelques emprunts faits par ce groupe au couchitique. Parlers berbères actuels. Langues khoisan. Lexèmes hottentot. Comparaison entre le khoisan et le berbère : l'inexistence des langues dites " charnitiques ".CONCLUSION p. 373BIBLIOGRAPHIE p. 377ANNEXES p. 395I. - Tableau du Négro-égyptien p. 394 - II. - Tableau du Sémitique de l'Afrique p. 396 - III. - Tableau du Berbère p. 397 - IV. - Tableau du Khoisan p. 398.METHODOLOGIENous allons exposer rapidement les règles et principes de la linguistique comparative ou historique ou encore évolutive, ainsi que.le but.visé par cette linguistique. Ensuite, nous dégagerons les critères qui autorisent et valident la comparaison entre l'égyptien pharaonique, le copte et les langues négro-africaines modernes.Le français et le provençal, par exemple, se rejoignent par une forme de langue antérieure aux deux : le latin vulgaire de Gaule, - la langue latine était répandue, au Ier siècle avant notre ère, dans l'ensemble de la Gaule, jusqu'au Rhin. En d'autres termes, les états actuels du français et du provençal, maintenant différents, sont des états d'une forme linguistique antérieure unique. Or ce qui est appelé par commodité le latin vulgaire de Gaule n'est qu'une forme particulière, sans doute très peu différenciée, du latin vulgaire en général. Dès lors, la parenté du français et du provençal s'élargit dans l'espace et dans le temps, puisque les langues romanes sont la diversification linguistique du latin parlé, durant le Haut Moyen Age (V,-VIIIème siècle). Les langues romanes comprennent le gallo-roman (dialectes de langue d'oïl dont le français et le franco-provençal ; dialectes cisalpins, rhéto-frioulan, gallo-italien ; dialectes de langue d'oc, occitan et gascon, et le catalan qui occupe une position linguistique intermédiaire entre le gallo-roman et l'ibéro-roman), l'ibéro-roman (portugais, espagnol et dialectes : les Gloses de San Millàn de la Cogolla, fin Xème siècle, constituent les premières mentions écrites dans un dialecte espagnol), l'italo-roman (toscan, dialectes du Centre et du Sud, dialectes de Sardaigne ; le premier document écrit en un dialecte italien vulgaire date de la fin du Xème siècle : c'est la charte du Mont Cassin, 960-963), le balkano-roman (roumain, dalmate).Toutes ces langues modernes romanes sont par conséquent des continuités historiques du latin. Chacune d'elles comprend des dialectes, des parlers locaux, des patois, des argots de métier. Ainsi, par exemple, le picard et le normand, le poitevin et le berrichon, sont parents entre eux, et le sont également du français et du franco-provençal, par conséquent du latin. Si un patois espagnol déterminé n'a plus grand'chose de commun, aujourd'hui, avec tel autre patois roumain par exemple, cette différence s'explique simplement par le fait que les deux formes linguistiques se sont séparées depuis très longtemps.Or le latin forme, avec certaines langues indo-européennes, le groupe des langues italiques (les langues italiques se divisient ainsi : le latin, le falisque parlé à Faléries sur le cours moyen du Tibre, le vénète parlé en Vénétie ; l'ombrien parlé dans l'Apennin, l'osque soit la langue des Samnites du Samnium étendue à la Campanie, à la Lucanie et au Bruttium les dialectes sabelliens, le volsque et le marse).Les langues celtiques (le gaulois mort sans presque laisser de traces, le brittonique qui survit dans le gallois et le breton moderne, le gaélique attesté depuis le VIIIème siècle et dont le principal représentant est l'irlandais) sont très proches des langues italiques, dans l'ensemble indo-européen.D'autres langues indo-européennes, également apparentées de façon étroite entre elles, forment d'autres groupes : les langues germaniques (allemand, anglais, néerlandais ou flamand, langues scandinaves), les langues slaves (russe, polonais, tchèque, bulgare, serbo-croate), le groupe baltique (lituanien), les langues i'ndo-aryennes (sanscrit védique, langues modernes de l'Inde) et les langues iraniennes (avestique, vieux-perse, langues iraniennes modernes parmi lesquelles le persan, le kurde, l'afghan).Le grec, l'arménien et l'albanais, le tokharien attesté au VIIème siècle de notre ère et aujourd'hui disparu, sont des langues indo-européennes isolées, comme le hittite.Toutes ces langues, réparties en groupes, en familles, en branches, sont issues d'une langue unique, précisément l'indo-européen, appelé ainsi conventionnellement. L'indo-européen n'a jamais été écrit. On ne sait ni dans quelle contrée, ni à quelle date cette langue commune prédialectale a été parlée. Bref, on ignore tout de cette langue préhistorique.Les langues indo-européennes attestées apparaissent dans l'histoire à des dates très diverses, depuis le Ilème millénaire avant notre ère (le hittite en Asie Mineure, à l'Est d'Ankara), jusqu'au Ilème millénaire de notre ère (albanais, langues baltiques : l'albanais n'est attesté que depuis le XVème siècle, et le baltique dès le XVIème siècle seulement sous la forme du vieux prussien mort aujourd'hui, du lituanien et du lette conservés jusqu'à notre époque). On suit le développement de certaines langues indo-européennes sur une longue période, ainsi pour le grec, depuis le grec mycénien du IIème millénaire avant notre ère jusqu'au grec moderne de nos jours. Le latin apparent dans l'histoire au milieu du IIIème siècle avant notre ère c'est le latin archaïque (du IIIème siècle au début du Ier siècle avant notre ère Plaute, Térence et Caton l'Ancien) qui va évoluer pour mourir avec le latin roman, du Vème au VIIIème siècle de notre ère (Boèce, Césaire d'Arles, Grégoire de Tours, Isidore de Séville, Grégoire le Grand, Bède le Vénérable, Fortunat, Sidoine Appolinaire).De l'Asie centrale (tokharien du Turkestan chinois et langues indoaryennes de l'Inde) à l'extrémité occidentale de l'Europe (langues celtiques), l'indo-européen couvre ainsi un immense espace. Ce sont des migrations, des déplacements pré- ou protohistoriques qui ont dispersé les populations parlant des langues indo-européennes sur cet espace. (Cf. André Martinet, Des steppes aux océans. L'indo-européen et les " IndoEuropéens ", Paris, Payot, 1986.)De tout ce qui précède, nous pouvons valablement tirer les conclusions suivantes :- les langues évoluent et changent : la linguistique diachronique étudie précisément les modifications successives des langues, leur évolution ;- le rythme évolutif des langues est assez lent et une langue évolue même si elle n'est pas écrite : une langue a une tradition orale indépendante de l'écriture ;- l'objet de la linguistique synchronique est d'étudier le système d'une langue tel qu'il fonctionne à un moment donné. En réalité, les linguistiques diachronique et synchronique s'emboîtent l'une dans l'autre ;- c'est la méthode comparative qui restitue les grandes lignes de la langue-mère prédialectale, en comparant les sons (phonétique), les formes de mots et de grammaire (morphologie), les faits lexicologiques (vocabulaire) communs aux différentes langues qui sont des formes diverses prises au cours du temps par une langue unique. La méthode comparative montre qu'une langue est rarement isolée dans le temps et l'espace, c'est-à-dire qu'il est rare, dans le monde, de rencontrer une langue qui n'appartienne pas à une communauté ou famille ou groupe linguistique, plus ou moins vaste, plus ou moins ancienne. Cette appartenance se traduit par des ressemblances profondes, qui ne sont pas des ressemblances fortuites ou acquises par le phénomène de l'emprunt linguistique. Il s'agit par conséquent de correspondances ou ressemblances héritées.Ferdinand de Saussure lui-même a trouvé juste que la méthode comparative pouvait réussir à fixer la préhistoire des langues comparées : "La méthode rétrospective nous fait donc pénétrer dans le passé d'une langue au-delà des plus anciens documents" (Ferdinand de Saussure, Cours de Linguistique générale, édit. critique par Tullio de Mauro, Paris, Payot, 1978, p. 293)Tel est le but : la classification génétique des langues comparées et étudiées au-delà des documents écrits les plus anciens.Une linguistique génétique et historique existe. C'est en son sein que s'est développée une linguistique générale, comme nous venons de le constater avec l'indo-européen.Pour atteindre ce but, la méthode est de rigueur : " La parenté génétique est une fonction reliant les langues : elle consiste dans le fait que chaque élément d'expression d'une langue est relié par une fonction à un élément d'expression d'une autre ; la fonction de chaque élément est conditionné par son entourage et par la position qu'il occupe dans le mot." (Louis Hjelmslev, Le Langage. Une introduction, Paris, Les Éditions de Minuit, 1966, p. 5 2).La méthode est comparative et inductive. On part de l'instruction des similitudes et aussi des différences entre les langues comparées pour démontrer l'origine commune de ces langues. Des langues aujourd'hui distinctes dérivent d'une langue unique si une continuité est plus ou moins instaurée entre les langues comparées, génétiquement.Au sujet de cette parenté génétique des langues, Émile Benveniste clarifie encore la méthodologie, en précisant : " Les preuves de cette parenté consistent en similitudes régulières, définies par des correspondances, entre des formes complètes, des morphèmes, des phonèmes." (Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p. 101)Il est évident que les séries s'imposent et que les coïncidsences de hasard doivent être éliminées, de même que les emprunts, les effets de convergence. La présomption de parenté est acquise si les preuves sont probantes : " Ainsi la correspondance entre lat. est : sunt, all. i'st : sind, fr. e : sô, etc., suppose à la fois des équations phonétiques, la même structure morphologique, la même alternance, les mêmes classes de formes verbales et le même sens." (Émile Benveniste, Ibid.)La méthode est connue. Elle a permis d'établir la grande famille linguistique qu'on appelle conventionnellement l'indo-européen. Peut-on appliquer cette méthode aux langues du continent africain réputées sans écriture ?Émile Benveniste répond : "Cette méthode est bien connue et elle a été éprouvée dans l'établissement de plus d'une famille. La preuve est faite qu'elle peut aussi bien s'appliquer à des langues sans histoire dont la parenté est constatée aujourd'hui, de quelque structure qu'elles relèvent. [... ] La régularité des correspondances phonétiques et la possibilité de prévoir certaines évolutions ne sont limitées à aucun type de langues ni à aucune région. Il n'y a donc pas de raison d'imaginer que des langues "exotiques" ou "primitives" exigent d'autres critères de comparaison que les langues indo-européennes ou sémitiques." (Émile Benveniste, op. cit., pp. 101-102)La science linguistique n'est pas moins universelle que les autres sciences. Il n'y a aucun préjugé scientifique défavorable à appliquer la méthode comparative et inductive de la linguistique génétique et historique aux langues négro-africaines, à toutes les langues du monde. Au demeurant, le but ultime de cette linguistique est de pouvoir opérer une classification générale de toutes les langues humaines connues.Il suffit de poser nos critères et de légitimer ainsi la comparaison génétique entre l'égyptien pharaonique, le copte et les langues négro-africaines modernes. Ces critères sont essentiels et opérationnels :- La langue a une tradition orale indépendante de l'écriture : le latin du IIIème siècle avant notre ère et le lituanien du XVIème siècle offrent l'un et l'autre, si éloignés soient-ils dans l'espace et le temps, une même image fidèle de l'indo-européen ; nous pouvons donc comparer les formes égyptiennes avec les formes négro-africaines correspondantes, même si nous n'avons pas, sous les yeux, tous les états successifs des langues négroafricaines. Bloomfield a comparé de façon génétique, historique quatre principales langues du groupe algonquin central': fox, ojibway, cree et menomini ; il a pu ainsi symboliser par des formes reconstruites à partir des langues attestées l' "algonquin central primitif" (Primitive Central Algonquian) ou le proto-algonquin, mais le linguiste américain ne possédait pas, pour les quatre langues comparées, d'enregistrements ou de documents antérieurs (" for which we have no older records " : L. Bloomfield, Language, Goerge Allen & Unwin, édit. de 1965 (première édition 1933), pp. 359-360 ; traduction française, Paris, Payot, 1970, pp. 337-338).- Les critères de la comparaison sont garantis par l'égyptien pharaonique qui est le plus ancien témoin des langues comparées : "La classification ne s'assure de ses critères que si elle dispose, pour certaines au moins de ces langues, d'états plus anciens." (E. Benveniste, op. cit., p. 105). Or les textes hiéroglyphes égyptiens les plus archaïques remontent à 3000 ans environ avant notre ère, et les premières manifestations écrites du copte dès le IIIème siècle avant notre ère.- Par conséquent, l'énorme discontinuité géographique milite en faveur de l'exclusion de l'emprunt dans ces temps anciens, sur l'ensemble des concordances établies, morphologiques, phonétiques et lexicologiques. C'est-à-dire que la séparation très ancienne de la souche commune prédialectale élimine les effets de convergence, de hasard et d'emprunt. En d'autres mots, si des connexions de caractère sérial sont établies entre l'égyptien pharaonique, le copte et les langues négro-africaines modernes, on est autorisé de reconnaître un " air de famille ", une " parenté par enchaînement " selon l'expression de la systématique des plantes, même si l'on s'éloigne beaucoup du type initial, des prototypes reconstruits. Ainsi, le temps qui sépare l'égyptien ancien des langues africaines actuelles - un hiatus de 5000 ans - au lieu de constituer une difficulté se présente au contraire comme un critère sûr de comparaison (le temps qui sépare le hittite du portugais actuel est également énorme, mais rien n'empêche de comparer directement ces deux langues, dans un ensemble donné, pour rejoindre précisément l'indo-européen).On ne doit donc pas exagérer les difficultés, non pas sans doute au niveau du travail comparatif réel, empirique, mais au niveau de la théorie, de la légitimité de la comparaison. L'histoire linguistique de l'humanité exige même qu'un tel travail soit vigoureusement entrepris.Pour la linguistique stricte, les choses paraissent claires, théoriquement , la méthode est connue avec toutes ses exigences ; son but également. Et il est légitime, linguistiquement, de comparer l'égyptien pharaonique, le copte avec les langues africaines actuelles.Mais qu'en est-il du côté de l'égyptologie ?L'auteur de la première grammaire égyptienne, Champollion, était pleinement convaincu que "la langue égyptienne antique ne différait en rien d'essentiel de la langue vulgairement appelée copte ou cophthe ; que les mots égyptiens écrits en caractères hiéroglyphes sur les monuments les plus antiques de Thèbes, et en caractères grecs dans les livres coptes, ont une valeur identique et ne diffèrent en général que par l'absence de certaines voyelles médiales, omises dans l'orthographe primitive" (Champollion le jeune, Grammaire égyptienne, Paris, Firmin Didot, 1836, P. XVIII. Mots soulignés par l'auteur).Champollion veut dire que l'égyptien pharaonique et le copte constituent une seule et même langue ; que le copte, écrit avec l'alphabet grec, est l'égyptien vocalisé ; qu'il est par conséquent possible de vocaliser l'égyptien ancien à partir du copte ; qu'il est éminemment arbitraire de négliger le copte dans les études de grammaire pharaonique.Mais l'égyptologie n'a pas travaillé dans le sens indiqué initialement par Champollion lui-même. On a fait d'autorité de l'égyptien ancien une langue sémitique. On a évacué silencieusement le copte des études linguistiques égyptiennes. Ici, l'égyptologie a péché par présomption et par orgueil raciste : les civilisations de la Vallée du Nil égypto-nubienne, toutes ensemble, ne pouvaient être ni africaines (géographiquement parlant) ni du monde noir (culturellement s'entend).Il convient par conséquent de rendre un vibrant hommage à la mémoire de Serge Sauneron : son honnêteté intellectuelle est égale à celle de Champollion. Pour Sauneron en effet la langue égyptienne n'est pas une langue sémitique et les grammaires égyptiennes, écrites jusqu'ici selon le modèle des grammaires sémitiques, ne rendent pas vraiment compte du génie propre de la langue pharaonique (Serge Sauneron, Grammaires de la langue égyptienne, IFAO, Extrait de "Textes et Langages de l'Égypte pharaonique". Hommage à Jean-François Champollion à l'occasion du 150ème anniversaire du déchiffrement des hiéroglyphes (1822-1972).Sauneron, alors Directeur de l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire, égyptologue-grammairien de réputation internationale qui a revu et corrigé la Grammai're de l'égyptien classique de Gustave Lefèbvre (1955), reprendra la même position scientifique, contre les préjugés égyptologiques séculaires, au colloque organisé par l'Unesco au Caire en 1974 : "Plus largement, le professeur Sauneron a souligné l'intérêt de la méthode proposée par le professeur Obenga après le professeur Diop. [...] L'égyptien ne pouvait être isolé de son contexte africain et le sémitique ne rendait pas compte de sa naissance ; il était donc légitime de lui trouver des parents ou des cousins en Afrique" (Le peuplement de l'Égypte ancienne et le déchiffrement de l'écriture méroïtique, Actes du colloque tenu au Caire, du 28 janvier au 3 février 1974, Paris, Unesco, 1978, P. 1 00).Le colloque du Caire comprenait les Égyptologues suivants : Abdelgadir M. Abdalla (Soudan), A. Abu Bakr (Égypte), Mme N. Blanc (France), F. Debono (Malte), Cheikh Anta Diop (Sénégal), G. Ghallad (Égypte), L. Habachi (Égypte), R. Holthoer (Finlande), S. Husain (Égypte), Mme J. Gordon-jaquet (USA), W. Kaisser (RFA), J. Leclant (France), G. Mokhtar (Égypte), R. El Naduri (Égypte), Th. Obenga (Congo), S. Sauneron (France), T. Save-Sôderbergh (Suède), P.L. Shinnie (Canada) etj. Vercoutter (France). Parmi les observateurs, on notait les professeurs V.L. Grottanelli (Italie), S. Hable Selassie (Éthiopie), Fawzia Helmy Hussein (Égypte), L.Kakosy (Hongrie) et le journaliste sénégalais Papa Amet Diop. L'Unesco elle-même était représentée par M. Glele et Mme Melcer. Le rapporteur du colloque était le professeur Jean Devisse (France). Rarement, l'égyptologie aura réuni un tel aréopage scientifique, en Égypte même. Les débats furent évidemment libres, engageant seulement la compétence et l'information de chaque participant.Voici encore deux déclarations significatives- "Le professeur Vercoutter a déclaré que, pour lui, l'Égypte était africaine dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser". (Le peuplement de l'Egypte ancienne, op. cit., p. 87)- "Le professeur Leclant a reconnu ce même caractère africain dans le tempérament et la manière de penser des Égyptiens" (Le peuplement de l'Egypte ancienne, ibid.)Ici, africain veut dire noir, nègre. Ainsi, la civilisation,pharaonique appartient en totalité au monde culturel négro-africain. L'Egypte pharaonique n'était pas sémitique encore moins indo-européenne dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser : elle était africaine, comme la Nubie, l'Abyssinie, Zimbabwe, Ghana, Benin (Yoruba), bref comme toutes les autres civilisations bâties autrefois sur le continent africain par des Noirs africains.Une nouvelle page de l'historiographie africaine a donc été écrite au Caire, en 1974. L'égyptologie et les autres études africaines ou " africanistes " doivent le savoir clairement.Parmi les nombreuses recommandations faites par le colloque international du Caire, donc par tous les participants, nous relevons celle-ci : "La coopération des spécialistes de linguistique comparée devrait être mise à contribution sur le plan international pour établir toutes les corrélations possibles entre les langues africaines et l'égyptien ancien" (Le peuplement de l'Egypte ancienne, op. cit., p. 103)Cette recommandation n'est-elle pas neuve, importante, fondamentale ? Elle a été faite par les meilleurs égyptologues de nos jours, alors réunis au Caire, pour débattre des problèmes tees spécialisés en égyptologie, dans les relations de cette science historique avec l'Afrique noire.Il n'y aurait que l'excuse de l'incompétence pour se tenir à l'écart d'une demande aussi urgente. Les obstacles techniques éventuels ne sont pas insurmontables.En définitive, la linguistique (F. de Saussure, Bloomfield, Hjelmslev, Benveniste) et l'égyptologie (Champollion, Sauneron, colloque égyptologique du Caire) sont favorables à une comparaison systématique, bien instruite, entre l'égyptien pharaonique, le copte et les langues négro-africaines modernes, pour retrouver, entre les langues ainsi comparées, une unité d'origine.CONCLUSIONLe fait linguistique africain est varié et divers, mais du point de vue de la linguistique historique, trois grandes familles se dégagent nettement, distinctement : a) le négro-égyptien, b) le berbère et c) le khoisan.Il n'existe pas de langues "chamitiques" ou "hamitiques" sur le continent africain. Dès lors, le "chamito-sémitique" ou l'"afro-asiatique" demeure une pure illusion linguistique. L'égyptien, pharaonique et copte, ne peut pas être inclus dans le sémitique en tant que classe, groupe ou branche, comme c'est le cas pour l'ugaritique, l'accadien, le babylonien, le phénicien, l'hébreu, l'arabe, le sudarabique, etc. Aucun sémitisant compétent ne considère l'égyptien, pharaonique et copte, comme une langue sémitique, de loin ou de près. Le berbère, quant à lui, ne se trouve pas non plus génétiquement lié à la langue égyptienne, pharaonique et copte. C'est un abus, plutôt une erreur, que de faire du sémitique, de l'égyptien et du berbère des groupes linguistiques d'une même famille. En réalité, aucun savant ne l'a fait, selon la seule méthode en vigueur dans de telles études, c'est-à-dire la méthode de la linguistique comparative et historique ou encore évolutive, diachronique.Le colloque du Caire (1974) avait tranché ce faux débat, en recommandant d' "établir toutes les corrélations possibles entre les langues africaines et l'égyptien ancien", puisque la langue égyptienne, pharaonique et copte, sortait d'elle-même du cadre des langues sémitiques et berbères. Au cours de ce travail, nous avons précisément démontré la non-réalité de la famille " afro-asiatique ", en nous situant sur le plan strict de la linguistique historique.En revanche, nous avons pu reconstruire le négro-égyptien, soit la langue primitive commune aux langues historiquement attestées que sont les langues égyptienne, couchitique, tchadique, nilo-saharienne, nigéro-kordofanienne, toutes langues anciennes et modernes, parlées par les peuples noirs d'Afrique, depuis la vieille Égypte pharaonique, et toutes unies génétiquement lorsqu'on les compare de façon serrée et adéquate sous tous les angles, phonétique, phonologique, morphologique, grammatical, lexicologique.Sans la contribution éclairante de la langue égyptienne, pharaonique et copte, qui demeure le sanscrit de la linguistique générale africaine, il est radicalement impossible d'entrevoir la profonde unité génétique des langues négro-africaines, leur dimension historique, temporelle.Pour sortir la linguistique générale africaine des redites et impasses actuelles de même que de son statut mineur séculaire - celui des descriptions standard sans fin et sans projet linguistique précis, puisque la comparaison est constamment évitée, écartée ou ignorée -, il faut nécessairement prendre en compte la langue égyptienne, pharaonique et copte, qui doit désormais avoir sa place dans l'Université africaine, à côté du grec et du latin, de l'arabe, du dravidien, etc.Il est dans l'ordre des choses possibles que l'intelligentsia africaine bâtisse rapidement, en Afrique même, une linguistique générale et historique à partir des langues des divers peuples africains. Ce serait là un immense apport à la linguistique générale mondiale dont l'ambition scientifique et culturelle, depuis Ferdinand de Saussure, reste l'exploration et la constitution des familles linguistiques du monde dans le cadre d'une sémiologie totale. Ce fut aussi le désir ardent de Humboldt, de Benveniste en Europe, de Peirce aux États-Unis.Notre travail, modeste, se présente néanmoins comme le dévoilement même de l'univers linguistique africain, désormais uni sous le regard panor mique du temps historique et culturel des sociétés africaines, depuis l'Egypte antique.En renouant de la sorte avec le fil de l'histoire, la leur propre, les langues africaines, réunies dans une famille reprise cependant par chacune d'elles au cours des temps, dessinent alors une structure globale qui les projette ensemble vers la linguistique mondiale en tant que groupes et branches d'une seule et même famille linguistique.La linguistique africaine ferait une énorme bévue en suspendant la réflexion sur son propre statut dans la production parlante de l'humanité.Mais quel est l'avenir linguistique de l'Afrique ?Cet avenir est au coeur même du destin des peuples d'Afrique dans le monde contemporain. Multiples batailles qui sont celles de nos vies : sauvetage des traditions orales, scolarisation dans les langues africaines, nécessité de l'unité du continent africain pour mieux aborder ensemble les problèmes économiques, monétaires, industriels, technologiques, militaires, d'information et de communication, de contrôle des matières premières, de coopération avec d'autres pays et peuples du monde, sans perpétuer inutilement les vieilles psychologies égdistes et aliénantes.Le dossier linguistique africain, intimement lié au dossier culturel panafricain, a toujours préoccupé les Africains conscients de leur avenir collectif.Wole Sonyika, au FESTAC 77 de Lagos, avait mis l'accent avec vigueur sur la nécessité de l'unité linguistique à l'échelle continentale : il avait proposé le swahili comme langue de communication interafricaine. Une telle prise de position de la part d'un homme de l'envergure de Sonyika avait fortement marqué les esprits des participants au FESTAC de Lagos.On se rappelle également que le problème des langues africaines avait fait l'objet de nombreux et fructueux débats au cours du colloque organisé par ce même FESTAC 77. D'importantes recommandations furent faites en séance plénière :- enseigner les langues africaines, de l'école maternelle à l'université ; - alphabétiser systématiquement les masses populaires dans les langues africaines, les leur, afin de les intégrer au développement social, culturel et économique des États africains ;- entreprendre la formation professionnelle, scientifique, technique et technologique de l'Africain dans les langues africaines de culture et de grande communication ;- créer dans chaque État africain des centres de recherche sur les langues, les littératures orales et écrites, les arts, etc.Partout la nécessité est vivement ressentie, celle de considérer les langues africaines comme des outils de développement. Des spécialistes africains (Pathé Diagne, Abdoulaye Baldé de l'Université de Dakar, Gnon Samya Kondé, directeur de la Direction de la Formation permanente, de l'Action et de la Recherche pédagogique du Togo et tant d'autres) ont régulièrement accordé des interviews de grande portée sur la revalorisation des langues nationales africaines.A Douala, du 2 au 14 juillet 1973, un séminaire décisif avait été organisé sur "Les langues africaines, facteur de développement" (Actes du Séminaire édités par le collège Libermann de Douala, 1974). Des intellectuels camerounais, sous la direction du Pr Henri Marcel Bot Ba Njock, abordèrent alors efficacement tous les aspects du problème soumis à leur réflexion : langues africaines véhicules de civilisation, transcription moderne des langues africaines, langues locales et développement de la nation, langues africaines et pensée scientifique, langues africaines et réflexion philosophique, manuels pour l'enseignement des langues africaines, élaboration d'atlas linguistiques, etc.La "Conférence inter-gouvernementale sur les politiques culturelles en Afrique", organisée par l'Unesco avec la coopération de l'OUA, à Accra, du 27 octobre au 6 novembre 1975 (Rapport final, Paris, Unesco), avait considéré que les langues et traditions africaines constituaient des supports essentiels de toute promotion éducative et culturelle en Afrique.Concrètement, de nombreux pays africains ont déjà ouvert la voie en Afrique noire en revalorisant et en développant les langues locales (enseignement, discours officiels, alphabétisation).Concrètement aussi, le Pr Cheikh Anta Diop a traduit dans sa langue maternelle, le wolof, de longs textes couvrant les domaines de la théorie des ensembles, de la physique mathématique et théorique, de l'organisation de la matière au niveau subquantique et quantique, de la relativité restreinte et générale ainsi que de la cosmologie relativiste, de l'algèbre tensorielle, de la chimie quantique (C.-A. Diop, Comment enraciner la science en Afrique : exemple valaf-Sénégal, in Bulletin de l'IFAN, Dakar, t. 37, série B, n' 1, 1975, pp. 154-233).Des progrès considérables sont toujours enregistrés grâce aux nombreux centres de recherche qui existent maintenant en Afrique. L'avenir peut être ainsi envisagé avec quelque optimisme.Cette saisie contemporaine des Africains sur leur propre être social et culturel, sur leur histoire, et leurs langues natives qui tiennent toutes d'un ancêtre commun prédialectal, c'est encore et toujours le travail : le travail de tout le Peuple africain en marche.I. - Tableau du négro-égyptien
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