INCURSION DANS UNE OEUVRE POÉTIQUE GABONAISE: "LE SEIN D'ADOMI" de Lié Luc MOUNGUENGUI.
*FICHE SIGNALÉTIQUE DU LIVRE:
►TITRE: "Le Sein d'Adomi"
►AUTEUR: Lié Luc Mounguengui-Nyonda
►DATE DE PUBLICATION: 2005
►ÉDITEUR: L'Harmattan
►GENRE: Poésie
►PAGES: 71
►Caractéristique essentielle:Texte très engagé composé d'un long poème. Un regard social critique.
LES REPRESENTATIONS DE LA FEMME DANS LE POÈME LE SEIN D'ADOMI.
Les représentations de la femme dans Le sein d’Adomi :
L’érotisme, partant de là, la femme, est vraiment prenant dans le poème de Liè-luc Mounguengui.
En effet, l’auteur procède à une érotisation poétique de la femme dans son œuvre en démultipliant ses visages et ses fonctions dans le texte, en ce qu’à travers ses personnages féminins, le poète campe des types sociaux représentatifs du statut et /ou de la fonction de la femme dans la sphère communautaire.
A- Statuts et fonctions sociales de la femme :
Le sein d’Adomi est un chant d’amour dédié à une femme : Adomi, conjonction de toutes les autres femmes. Adomi, c’est, en effet, la Muse du poète à l’aune de la quelle sont vus et définis les rôles des femmes dans la communauté adomienne.
Incontestablement, la première fonction sociale dévolue à la femme est d’assurer la pérennité de la lignée. Cette fonction maternelle paraît si importante qu’une femme stérile devient malheureuse ; d’autant plus que l’opinion sociale lie la valeur d’une femme à sa capacité à procréer et à s’assurer une descendance. La femme sans enfant est alors prête à tous les sacrifices pour forcer le destin.
Adomi a incarné un moment cette image de la femme en quête d’une descendance ; d’où son séjour « au milieu des cratères et des montagnes » où « elle vivait » « privée de l’énergie créatrice / privée du soleil bleu ». (p.31)
Ceci dénote de la valeur sociale de la maternité que souligne le poète dans la dernière strophe de la page 31 :
« Qu’est-elle partie chercher si loin de notre belle terre ? / Ah la pauvre ! / Que ne pourrait-elle vivre insoumise à cette tradition ! / Ah Nyambi ! la pauvre ! / Adomi voulait laisser des traces de son ventre. / Il lui fallait ça : se battre, se vendre, prendre des risques en parcourant un tronçon infernal, / il lui fallait sacrifier ses ustensiles pour obtenir des ancêtres / l’autre, / l’Adomi, son héritière. / Dans sa coutume la fille ne meurt pas car, / elle est le prolongement du ventre. Elle est la graine du clan. C’est par elle que la lignée survit. »[1]
Cette fonction maternelle peut également être assumée par la belle-mère (la marâtre) ou la grand-mère si la vraie mère génitrice venait à disparaître pour une raison ou pour une autre. Alors, la nouvelle mère aura tous les égards dus à une mère de sang. C’est le cas du poète qui fut élevé non seulement par « une mère adoptive, une mère de lait » (P.65) dont « le regard foudroyant » impose respect ; mais aussi par son aïeule, « mame Sangue » qu’il avait l’habitude d’accompagner, ses « six ans au dos » dans le « champ de canne à sucre » « où(il) tuait les abeilles par dix » (P.66), une grand-mère veuve (P.67) dont, à présent, il « chante » la « douloureuse mort » (P.66).
Bien qu’ardemment recherchée presque par toutes les femmes qui en font souvent une raison de vivre, la vocation maternelle peut être synonyme d’humiliation et de soucis pour la femme si elle se retrouve à élever seule ses enfants. C’est pourquoi certaines mères, abandonnées, sans support, acculées par la misère, n’hésitent pas à se prostituer pour nourrir leurs familles. (P.53)
D’autres femmes, surtout les veuves fortunées, sont pillées et dépouillées de leurs biens, abusées par des hommes opportunistes et malintentionnés (P.37 et P.38).
Délestés de «la maison de leur mère » c’est-à-dire de « leur patrimoine » (P.38), « les enfants de la veuve (se lient) au vin et au sexe. » « La fille se vendit pour survivre. / Elle devint le meuble usé d’un foyer. / Elle devint un objet car, elle était une crève la faim. » (P.38)
Dans le poème, Adomi figure aussi la mère veuve abusée et dépouillée de ses biens.
Il peut arriver enfin que la maternité ne soit pas voulue par la femme mais imposée ou accidentelle. Cette maternité forcée et dégradante pour la femme est violemment dénoncée par le poète à la page 34 lorsqu’il écrit :
« Le vagabond de colon, mon père, cette ordure a laissé sur la terre noire des nègres un hybride. / Pitié ! / Je naquis après un rapport forcé sous le lit du mari de ma pauvre mère. / Cet explorateur des monts du sud-est viola consciemment ma mère sous le lit de son époux. / Il voulait satisfaire sa soif. / De cette soif animal, je fus conçus. / Ah Nyambi. » (P.34)
Cette parturition forcée et non souhaitée souligne, en réalité, dans le poème, une allégorisation de l’hybridisme culturel du poète qui tangue entre son greffon occidental et son porte-greffe traditionnel sans pouvoir se déterminer.
En outre, la femme, dans son rôle de mère, est tellement respectée sinon vénérée que le regard filial ne saurait impunément croiser sa nudité qui, dans certaines circonstances, sert de moyen de pression ou de chantage. Ainsi, le poète rapporte cette scène où « des femmes qui, vêtues de rien / marchèrent devant le Disaku du malheureux Kéri-Kété » (P.48) pour l’anathématiser.
Sur un autre plan, en Afrique traditionnelle, généralement, l’épouse, une femme mariée, évolue dans un cadre protocolaire qui l’oblige à un mode de vie bien balisé par une pratique coutumière séculaire. Ainsi, en plus de faire montre d’une fidélité à toute épreuve envers son époux et sa belle-famille, la femme mariée ou reconnue comme telle doit incarner aux yeux de la communauté une image de dignité qui interdit tout écart de langage ou de comportement licencieux.
Cependant, actuellement, certaines épouses affadissent cette honorable fonction d’épouse fidèle et de socle de la cellule familiale en s’autorisant des impairs blâmables. C’est le cas de la femme du poète dont le comportement libertin jure avec l’étiquette traditionnelle de l’épouse :
« Kéri-Kété avait réussi à détourner ma femme. / Elle passait ses journées à danser et à chanter. / Elle passait son temps hors de la maison parlant / de mes faiblesses / après avoir bougé ses fesses. / Quand elle revenait, elle était méconnaissable. » (P. 39)
La valeur poétique que revêt la maternité aux yeux du poète s’observe également à travers la récurrence du mot « lait » aux multiples symbolismes : source nourricière, vitale, inspiratrice, purificatrice, curative voire pédagogique :
« C’est aussi en août que je bus volontairement le lait de son sein, / ce lait poétique qui me saoule aujourd’hui. / (…) L’animal en moi n’a pas supporté la saveur de son lait. / Qu’a-t-elle fait à ma pauvre conscience[2] ? »
« Adomi la fille du terroir ! / Mon espoir repose sur la saveur de son sein frais. / Son lait déchaîne les eaux de l’Ogooué, du Komo, du Ntem… / Son lait incontrôlé réveillera les dormeurs avant l’inondation. / Son lait fait du poète un être dégoûté de tout acte bestial. / Son lait, c’est son sang que je bus chez Denis sur le sable fin / et chaud. / Ce lait sera la conscience de sa maison…. » (P.38),
Ainsi, en dehors de la fonction maternelle, le poète investit la femme d’autres missions tout aussi importantes que la première.
En effet, la femme est une source d’inspiration poétique. Adomi est représentative de ce type de femme muse, comme nous le dit explicitement le poète lorsqu’il écrit, d’abord, à la page 28 :
« Ah Nyambi ! C’est toi qui as mis Adomi sur ma voie / pour qu’elle soit ma source, pour qu’elle soit ma vie. » (P.28)
Ensuite de la page 32 à la page 33 :
« C’est aussi en août que je bus volontairement le lait de son sein, / ce lait poétique qui me saoule aujourd’hui. / (…) L’animal en moi n’a pas supporté la saveur de son lait. / Qu’a-t-elle fait à ma pauvre conscience[3] ? »
Et enfin, toujours à la page 33 :
« Adomi est donc le cordon, le pont, / le sentier parsemé d’olives qui supplante l’ascenseur des élus. » (P.33)
Pour le poète, la femme Adomi, plus qu’une source d’inspiration, est l’incarnation même de l’art poétique ; d’où cette exclamation :
«Seigneur pourquoi sacrifier le plaisir pour une lyre infernale ? / Ah mon Dieu, pourtant Adomi ressemble à ma poésie. » (P.60)
Adomi représente aussi la femme instruite qui « doit interpréter les textes » et qui «n’a appris les chiffres que pour bien gérer sa vie » (P.40) Adomi, c’est donc une femme qui « possède la science venue du nord » (P.41) contrairement à «la sœur d’Adomi », la consolatrice « qui dort sur (l’) épaule » du poète, « Maga (qui) est restée au village dans les temples initiatiques » et qui donc « incarne le savoir traditionnel » (P. 41)
A travers cette dernière figure féminine qui surprend toujours par son attitude équivoque, le poète traduit l’ambivalence et l’ambiguïté de la femme, une créature qui ne finit jamais de surprendre. (P.40)
Par contre, Aniel, cette femme qui « ne sait pas calculer » (P.40), qui « vivait sans langue ni lèvres » (P.59) symbolise la femme africaine traditionnelle « handicapée » (P.59) par l’excision, une pratique sadique et horrible décriée par le poète.
Enfin, victime des turpides des hommes,[4] et cependant « cause de tourments » (P.43) de ces mêmes hommes, la femme initiatrice est également porteuse d’espoir. De ses entrailles jaillira la lumière qui dissipera les ténèbres dans lesquelles est immergée la citée adomienne. (P.47)
B- Érotisation de la femme :
Erotomane dans l’écriture, le poète exploite largement le thème de la sensualité qui définit toute figure féminine présente dans l’œuvre.
En effet, la femme, quel que soit son statut social ou sa fonction, est fortement érotisée dans le texte. La magie de la poésie élitiste autorise l’auteur à violer allègrement règles et tabous sociaux sans risquer de blesser certaines sensibilités.
Cependant, loin de banaliser le sexe, le poète l’élève au rang d’outil cérémoniel poétique par lequel il trouve son inspiration.
Ainsi, le poète séduit par la beauté sculpturale et surtout « les rondeurs artistiques d’une mère adoptive, / d’une mère de lait » (P.65) regrettera « la vie primitive (quand)des actes érotiques entre / frère et sœur, entre mère et fils, père et fille / étaient fréquents » ; il « aurait voulu vivre cette époque » où « l’immorale coutume (…) donnait tant / de droits aux plaisirs incestueux » (P.65)
Toutefois, le poète parvient à garder sauve et intacte la figure maternelle de la femme, d’une part, grâce au « regard foudroyant » (P.65), digne et responsable de la femme qui reste ainsi circonscrite dans sa vocation exclusivement maternelle dans le sens africain du terme ; d’autre part, à cause du dédain que le poète a contre « l’inceste » « cette peste » « cette haleine» qui « nous plonge dans des infâmes desseins » et « satisfait nos sens dans le rêve». (P.65)
Pour l’auteur, rien ne peut justifier « l’inceste » « ni ici ni là-bas dans le rêve où nos ébats comblent nos Esprits. » (P.65)
Autre figure maternelle louangée et chastement aimée est celle de l’aïeule « Mâ mame Sangue » « la fée des légendes », « l’image de Mougoumi », « le paradis arraché aux Nzebi » dont le poète, enfant, « l’œil droit à la porte cherchait (la) nudité » « à la douche (se) baignant » (P.67)
Le poète chante et immortalise poétiquement la provocante «beauté sublime et angélique » de sa « mère adoptive », le « sourire », « l’amour » et la « vie de femme sans époux (qui)affronte la nuit toute seule » (P.67) de sa grand-mère considérées toutes les deux comme « l’image de Dieu » (P.67). Il s’indigne sympathiquement pour toutes ces femmes, mères de famille qui sont obligées de (« se prostituer ») pour nourrir leurs enfants en se faisant « prendre par le trou[5] » et « dans la vallée[6] » par des commerçants véreux.[7]
Le poète est également « sidéré » non seulement par le comportement frivole de Maga qui « dansait en marchant, en plein carrefour » (P.40). Cependant, elle est « différente de celle qui prend la pente et (l’) accuse tout le temps après avoir bougé ses fesses » (P.41), c’est-à-dire sa femme qui « passait son temps hors de la maison parlant de (ses)faiblesses » (P.39).
Le poète déplore aussi la situation critique des « enfants de la veuve, ses deux seuls enfants (qui) se sont liés au vin et au sexe » ; « la fille (qui) se vendit pour survivre. » (P.38)
Avec Adomi et Aniel, la sensualité frise l’indécence. Il n’y a plus de retenue dans la narration de cette liaison voluptueuse que le poète entretient avec ces deux femmes même s’il promet à Aniel à la page 58 d’essayer « d’être hermétique » afin que les esprits non avertis ne soient pas choqués.
Si avec Adomi, « petite fille, prisonnière des caresses » qui « succomba aux dépenses d’un aventurier »(P.21), les «intimes tournois»(P.28), s’étaient limité aux caresses voluptueuses et aux attouchements lascifs(P.27), pendant leur « voyage intime » (P.64)bien que l’amante Adomi soit « esclave du plaisir, / esclave du besoin,/ esclave de vivre l’extase des caresses amorcées »(P.29), le poète consommera sa relation avec Aniel. La fille « handicapée » « sans langue ni lèvre » (P.58), à « l’énorme barrage », qui « gardai(t)immaculé (son) cercle pour un cafre » (P.58) dont « le bonbon boussole déchira l’hymen.» (P.59)
*Le symbolisme de la sexualité dans Le sein d’Adomi :
Corrélativement à la forte présence féminine dans le texte, l’érotisme, un aspect essentiel du poème déjà mis implicitement en exergue par le titre de l’ouvrage, revêt plusieurs valeurs dans la poétique de l’auteur. Ainsi, dans le texte, on peut distinguer trois approches possibles de l’érotisme : l’approche symbolique, spirituelle ou initiatique de la sexualité, l’approche purement lubrique mais tolérée par le poète et enfin l’approche scabreuse voire illicite de la sexualité qu’il dénonce.
Initiatique et spirituelle, la première approche de la sexualité se vérifie lors du « voyage de liens / pour le sceau du contrat » (P.24), un « voyage intime » (P.64) du poète et d’Adomi avec laquelle il veut « accéder, les bras ouverts, à la plénitude » (P.34), « atteindre ce moment (…) de satisfaction spirituelle » (P.34) au « village de Dénis » où les deux amants assis sur « le sable chaud du vieux village » (P.23) vont « sceller une alliance spirituelle et éternelle qui réunira (leurs) âmes ». (P23)
En effet, sur cette plage, les deux amants se livrent à des attouchements lubriques. Nous le voyons à travers « ce geste fait avec pression qui fit couler le lait de (son) sein dans(sa) bouche d’adulte» (P.27), un « lait poétique qui (le) saoule aujourd’hui » (P.32) et qui se manifeste également par « la mise en bière de(sa) nature terrestre, / (et) la décomposition de l’animal luxurieux » (P.28), et le « non au sexe / pour un amour d’idées, pour un amour / profond où fusionnent en silence l’espace et le temps. » (P.27).
En clair, la sexualité, ici, participe de l’initiation du poète qui acquerra son inspiration poétique en goûtant à « la saveur du lait » du sein d’Adomi. Le sein, un organe érogène dans l’esthétique africaine.
La deuxième approche de la sexualité se distingue de la première, par la consommation charnelle de l’amour. L’objectif de l’érotisme, ici, semble principalement être la satisfaction libidineuse du poète.
Nous retrouvons ce type de sexualité qui se matérialise par la copulation et auquel le poète adhère d’ailleurs dans le poème lorsqu’il rapporte le « moment inoubliable » (P.57) qu’il passa avec Aniel, « ce jour du huit décembre dans la nuit » (P.57), (…) ce jour somptueux où [il guérit sa] phobie. / Ce jour où (il) sut qu’(elle) gardait immaculé (son) cercle pour un cafre » (P.58) et où « le bonbon boussole déchira l’hymen. » (P.59)
Pour le poète, sa relation avec Aniel dépasse le cadre de la simple satisfaction libidineuse. Elle comporterait une double fonction pédagogique et curative. N’a-t-il pas, ce jour-là, initié Aniel au sexe tout en la guérissant de sa « phobie » due à l’éducation austère qu’elle avait reçue de ses parents[8] ?
Enfin, le dernier aspect de la sexualité critiquée et rejetée par le poète parce que avilissante et dégradante pour l’homme, est la prostitution et l’inceste.
Si l’auteur semble compréhensif envers ses « parents de la foule, désœuvrés, (qui) meurent de faim / les parents de la foule, (qui) pour manger font le soudjoud » et « se sont prostitués » (P.53) en se laissant prendre « dans la vallée » et « par le trou » (P.54), l’auteur s’élève véhémentement contre l’existence dans la société de « l’inceste, cette peste » qu’il ne veut « ni ici ni là-bas dans le rêve où nos ébats / comblent nos Esprits. »(P.65)
Le Sein d'Adomi, une oeuvre à lire!
Merci.
NB. Oeuvre disponible. Contacter l'auteur.
[1] PP.31-32
[2] PP.32-33
[3] PP.32-33
[4] PP.50 et 68
[5] Le sexe de la femme.
[6] Métaphore de la femme couchée de dos, les cuisses écartées formant une vallée.
[7] PP.53-54
[8] PP.58-59
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