Jun 30, 2022

Animeaux sauvages

Tableau 12 : Synthèse sur les caractéristiques des animaux sauvages
Animaux
Caractéristiques
Chasse
Eléphant
Haute hiérarchie, roi de la forêt, force
Difficile
Tortue

Sagesse, intelligence, malice

Facile
Panthère
Puissance, force, brutalité, souplesse, agilité, bonne aptitude à la chasse ; gourmandise
Difficile
Ratel
Dangereux, féroce, têtu
Difficile (rare et dangereux)
Céphalophe bleu
Malice et intelligence
Facile
Buffle
Roi des animaux à sabot
Difficile
Python
Roi des serpents
?
Aigle
Roi des oiseaux
?
Crocodile
Roi des reptiles
Relativement facile
Bongo
Beauté
Facile mais devient rare
I.2 Connaissances empiriques sur la faune
L'observation de la faune joue un rôle fondamental dans la tradition africaine. D'une façon globale, les Bakota ont de bonnes connaissances empiriques sur la faune sauvage qui les entoure. Ces connaissances sont acquises tout au long de la vie à travers l'apprentissage (fréquentation de la forêt et des plantations) mais aussi grâce aux contes. Ces derniers peuvent fournir des éléments sur les comportements et l'alimentation des animaux.
Dans le conte n°4, par exemple, on trouve quelques renseignements sur une partie de l'alimentation des animaux cités : l'Eléphant aime les fruits du moabi (baillonella toxisperma) ; le Céphalophe de Peters a un faible pour les atangas ; le Chat doré pour le charbon de bois ; la Nandinie et la Genette aiment les bananes et pour la Tortue et le Céphalophe bleu se sont les champignons. En se renseignant, on se rend compte que ces données sont correctes même pour la Nandinie et la Genette58(*), que l'on classe dans les carnivores, mais qui sont en vérité plus ou moins omnivores, car elles mangent aussi des fruits.
Beaucoup de contes mettent en scène la Panthère souvent reconnue pour ses qualités de chasseuses (conte n°3), son goût prononcé pour la viande et plus particulièrement pour le gros gibier.
A travers les contes, les populations essayent également de s'expliquer le monde et son organisation. En ce qui concerne la faune sauvage, on apprend la conception locale des regroupements ou des séparations d'espèces, pourquoi un tel vit dans les arbres et un autre, qui lui ressemble, au sol etc. C'est le cas notamment de la Panthère et de la Genette dans le conte n°2 qui explique pourquoi la Panthère vit au sol et que de tant en tant elle monte aux arbres, là où la genette vit la majeure partie de son temps. Dans d'autres contes (que je n'ai pas retranscrit) on apprend pourquoi le Gorille ne vit plus en bande avec le Chimpanzé ou pourquoi la Mangouste des marais vit près de l'eau et ne mange que du poisson et non pas de la viande. Bien sur, ce qui importe dans ces récits ce n'est pas seulement l'explication imagée donnée mais l'information finale qui s'en échappe.
Pour ma part, lors de mes entretiens, j'ai posé quelques questions sur les connaissances empiriques que les hommes Bakota pouvaient avoir sur les animaux tachetés. Il est clair que, contrairement à la majorité des populations ouest-africaines, celles des forêts tropicales ont des connaissances plus approfondies sur la faune. Ceci s'explique sans doute par le fait que la faune est encore très présente dans cette zone tropicale du bassin du Congo. De plus, en Afrique de l'Ouest les chasseurs faisaient partis d'une caste spécifique très fermée qui empêchait que les savoirs empiriques sur la faune soient partagés par l'ensemble de la communauté.
La plupart des hommes Bakota connaissent l'alimentation des animaux tachetés59(*), leur comportement nocturne et solitaire, les lieux où ils dorment et le nombre approximatif de bébés par portée. Ils ne savent pas les périodes de mise bas, mais ceci s'explique par le fait que dans les régions tropicales, il n'y a pas réellement de saison spécifique pour les amours, contrairement aux régions tempérées. La plupart des mammifères peuvent donc mettre bas tout au long de l'année.
Si le caractère solitaire est connu des hommes Bakota, il se concentre sur les périodes de chasse de ces animaux. En effet, pour eux, la femelle et le mâle chassent chacun de leur côté, mais le soir, ils se retrouvent dans leur « logis » avec les enfants, or, ce n'est pas le cas dans la nature. Je pense, hormis le fait que ces animaux soient toujours en couple dans la tradition orale, qu'il s'agit là d'une vision sociale du mariage et du célibat dans la société Bakota, plus qu'une croyance en ces contes. Le célibat chez les hommes (encore plus que chez les femmes) est très mal vu et assez mal vécu, d'autant plus que ce phénomène s'accentue à cause de la flambée des coûts de la dot. Il est donc inconcevable pour eux qu'un homme puisse vivre sans femme et ceci même dans le règne animal.
Enfin, les connaissances sur le monde qui entoure l'Homme peuvent être acquises par l'étude de l'univers animal. Ainsi, l'animal peut être l'intermédiaire entre l'Homme et la nature. Beaucoup de peuples africains ont en effet appris depuis longtemps à utiliser la faune comme source d'informations sur leur environnement. Les oiseaux sont notamment beaucoup utilisés de cette manière. Chez les Boran du nord Kenya, les cris aigus du pique-boeuf signifient qu'un gros animal est proche, quant à l'oiseau indicateur, il est un signe infaillible pour qui veut trouver du miel (Isack cité par Chardonnet et al, 1995). Chez nos Bakota, l'arrivée des cigognes60(*) annonce le début de la petite saison sèche qui précède la grande saison des pluies. Une étude plus approfondie sur ce thème serait fort intéressante, en particulier dans le domaine de la chasse.
I.3 Classification locale de la faune sauvage
Bien que la classification des animaux chez les Bakota ressemble à la classification occidentale linnéenne, elle n'est pas basée sur les mêmes critères. La première est essentiellement basée sur les ressemblances physiques et comportementales, ce dernier critère ne rentrant pas dans la seconde classification. Comme pour le reste, on retrouve des éléments d'explication de cette classification, dans certains contes. Je tiens à préciser que la classification qui suit n'est pas exhaustive.
· Les animaux carnivores à griffes 
La plupart des carnivores sont regroupés ensembles et ils font tous partie de la famille de la Panthère. Leurs caractéristiques en commun sont les griffes (critère de base) et leur alimentation à base de viande, même si les fruits et le miel interviennent parfois. Les animaux à la robe tachetée sont considérés comme étant les frères de Ngoye la Panthère, les autres étant leurs cousins.
Famille de Ngoye : la Panthère ; les genettes servaline et tigrine ; la Poiane centrafricaine ; la Civette ; le Chat doré ; la Nandinie ; le Ratel ; les mangoustes et les loutres.
Seule la mangouste des marais61(*) a une place à part dans cette famille, tout en en faisant partie, car elle reste près de l'eau et mange du poisson et non de la viande. Cette séparation est expliquée dans un conte.
· Les animaux à main 
Les singes sont tous regroupés ensembles car ils se ressemblent et ont tous des mains. Les Bakota les distinguent quand même en deux sous-groupes : le premier est celui des singes qui vivent dans les arbres avec une queue, il s'agit de la Famille de Kaku qui comprend le Hocheur ; le Mangabey à joues grises ; le Cercopithèque de Brazza ; le Cercopithèque pogonias ; le Moustac ; le Colobe guereza ; le Colobe noir62(*) ; le Miopithèque de l'Ogooué ; le second regroupe les singes vivant principalement au sol et qui ne possèdent pas de queue, il s'agit de la Famille de Djia avec le Gorille, le Chimpanzé ; le Mandrill.
Je tiens également à signaler que certains de mes interlocuteurs m'ont parlé d'un petit singe Maïko qui se déplacerait toujours avec les chimpanzés mais je n'ai pas pu l'identifier.
Les Galagos et les Pottos sont regroupés dans la même famille. Je n'ai pas pu identifier tous les galagos présents dans la région, mais selon mes notes, les animaux appartenant à cette famille sont : le Potto de Bosman ; les galagos de Garnett, d'Allen et mignon du sud.
· Les animaux à sabot 
Les petites antilopes sont regroupées dans deux familles : la Famille de Zibo avec le Céphalophe à dos jaune, le Céphalophe bai, le Céphalophe de Peters, le Céphalophe à ventre blanc, le Céphalophe à front noir et le Sitatunga ; et la Famille de Héli avec le Céphalophe bleu et l'Antilope de Bates. Les herbivores de gros port avec des cornes font partie de la Famille d'Ezona avec le Bongo et le Buffle. Une dernière famille est la Famille Ekundé avec l'Oryctérope, le Potamochère et l'Hylochère (se sont tous des fouisseurs).
· Les pachydermes 
Les Bakota regroupent ensemble l'Eléphant et l'Hippopotame (qu'ils nomment éléphant de rivière), dans la famille de Zoku. Ceci est dû à la grosseur de ces animaux qui ont une peau épaisse et des empreintes semblables.
· Les reptiles 
Chez les reptiles ont a deux familles : la Famille de Ntotché avec le Crocodile nain ; le Crocidure ; le Faux gavial et le Varan ; et la Famille des Tadji (pl. Batadji) qui regroupe tous les serpents dont les plus connus sont  le Mamba noir ; le Mamba vert ; la Vipère du Gabon et le Python.
Les autres grandes familles d'animaux sont celles des Oiseaux Bonodji dont le chef est l'Aigle mbéla ; des chauves-souris indémé et des écureuils dont les plus communs sont l'Ecureuil nain bwandamwéli et les finisciures rayés hendé et à pattes rouge éboko.
Il existe aussi des animaux qui ne rentrent pas dans une catégorie spécifique soit parce qu'ils peuvent vivre dans des milieux différents, soit parce qu'ils ont des caractéristiques de plusieurs catégories. C'est le cas pour la Tortue, à la fois terrestre et aquatique, du Pangolin qui a des griffes (aux pattes avant mais pas aux pattes arrières) sans être un carnivore et aussi du Daman des arbres qui vit dans les arbres sans avoir de queue, ni de main.
Nous pouvons conclure de cette classification que les Bakota organisent le monde dans lequel ils vivent en basant leur logique classificatoire sur des connaissances approfondies des qualités biologiques et comportementales des animaux.

I.4 Vie Quotidienne et éthique sociale

I.4.1 Evènements importants dans la vie d'un Bakota

La mise en situation des contes met en valeur les pratiques et les évènements importants dans la vie du Bakota. C'est pourquoi, la majorité des contes se déroulent :  
1) lors d'une partie de chasse collective au filet, au campement ou au piége (contes n° 1, 2 , 3) 
2) lors de partie de pêche (conte n°7)
3) lors d'un mariage ou plus exactement lors de la dot de la future mariée (conte n°6) 
4) lors d'une naissance (conte n°1) 
5) lors des circoncisions (conte n°5)
Nous remarquons que tous ces contes se situent dans un contexte traditionnel, où la modernité est absente. Nous pouvons aussi dire que les contes, et sans doute toute la littérature orale, sont à la fois vecteur mais aussi mémoire de traditions qui ont à l'heure actuelle disparu. C'est le cas par exemple de la chasse aux filets, les pièges à fosse ou encore les dots où la viande de brousse a été remplacée par l'argent.
I.4.2 L'éthique sociale
Les contes, comme les proverbes, sont vecteur d'une morale socialement admise par l'ensemble de la société. Comme me le disait un vieux Mahongwé de Zadindoué, « Les contes sont des enseignements qui nous disent comment nous comporter », que cela soit lors de la vie quotidienne ou lors d'événements particuliers. Ils nous permettent de mieux comprendre les problèmes que la société et la vie posent aux membres de la communauté qui les produits. Les solutions proposées à ces problèmes sont soumises au jugement des membres du clan, jugement de la société sur elle-même. Ainsi « les contes sont des témoins de l'intérieur, non des observateurs étrangers » (Lacoste-Dujardin, cité par Chardonnet et al, 1995).
Je ne vais pas m'appesantir sur ce sujet, qui n'est pas l'objet central de ma recherche. J'ai tout de même souhaité mettre en avant la notion de partage qui semble être très importante pour les Bakota, car elle se retrouve dans à peu près tous les contes. En effet, nous voyons que dans les contes n° 1, 2, 3 et 6 le fait de ne pas partager le gibier chassé est stigmatisé. Il est mal vu qu'un chasseur chanceux ne partage pas ses proies avec les autres membres de sa communauté.
Ceci est assez commun dans les sociétés forestières où l'égalité entre ses membres est maintenue principalement par le « nivellement » : qui cherche à changer de statut, à profiter d'une position de dominance politique ou sociale, ou à vouloir s'enrichir au détriment des autres membres de sa communauté, est très rapidement ramené, par le groupe, à un comportement plus modeste, par la critique, l'ostracisme, voire la sorcellerie.
Chez les Baka du Sud-Est Cameroun, Christian Leclerc (2001) explique aussi cette notion de partage à travers l'étude des contes et des mythes de cette ethnie. On y découvre une ambivalente duplicité chez les Esprits qui peuplent la forêt, notamment Kosè, esprits d'approvisionnement mais aussi esprit du sorcier à l'origine de la jalousie. Kosè veut que tous soient égaux, c'est-à-dire que les ressources dont il permet l'accès soient partagées entre tous, et il n'est satisfait que lorsque toute la communauté dispose de nourriture, sans quoi la jalousie survient (Leclerc, 2001 : 295).
Je n'ai pas connaissance d'un Esprit tel que Kosè chez les Bakota. Par contre, il existe bien le « sorcier jaloux » mais qui, là, est un homme et non un Esprit. En fait, il s'agit de sorciers malfaisants et jaloux possédant donc de bonnes connaissances en sorcellerie et qui ont le pouvoir de se métamorphoser en n'importe quel animal pour attaquer ses victimes en pleine nuit. Les Bakota nomment ces sorciers, que personne ne connaît, les « Vampireux » et c'est sur eux (ou en tout cas la peur qu'ils suscitent) que repose l'équilibre social du groupe, car bien que tous les craignent, ils sont les garants de l'équité sociale entre tous les villageois.

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