Les pratiques traditionnelles et les changements sociaux

L’homme punu se conçoit en même temps comme entité autonome et comme collectivité vivante, c’est-à-dire qu’il a un esprit communautaire. Sa vie sociale, les pratiques quotidiennes qui la sous-tendent,procèdent donc du respect et de la soumission totale aux pratiques socioculturelles en vigueur. Il est un élément d’un tout intimement lié et relié par des considérations endogènes de type magique, spirituel:En Afrique noire, l’art n’est pas une activité séparée, en soi pour soi. Elle est une activité sociale, une technique de vie et, pour tout dire, un artisanat. Mais il est question d’une activité majeure qui accomplit toute autre, comme la prière au Moyen-Age chrétien (...), il s’agit d’intégrer toutes les activités humaines jusqu’au moindre acte quotidien dans le jeu harmonieux en sub-ordonnant les forces inférieures-minérales, végétales, animales, au jeu de l’existant humain et les forces de la société humaine au jeu de l’être divin par la médiation des états ancestraux(L.-S. Senghor,1967, p.37).Afin de perpétuer son identité, défendre son passé et revivre avec ce passé, l’homme punu se réfère à l’univers ancestral pré-structuré, aux coutumes qui confèrent au groupe son identité et qui rappellent à la mémoire collective les comportements à observer devant tel ou tel événement de la vie sociale. Les coutumes sont «les traditions qui englobent l’ensemble des valeurs, des symboles, des idées et des contraintes qui déterminent l’adhésion à un ordre social et culturel justifié par la référence au passé» (G. Balandier, 1963). Les traditions sont la pratique sociale par laquelle sont régulées les conduites;elles suscitent la conformité. Elles fixent les règles et déterminent les systèmes de relations au sein de la communauté. Au contact d’autres cultures, certaines pratiques subissent malheureusement des changements qui induisent de nouvelles manières de faire, une nouvelle vision du monde. Nous pouvons ainsi nous demander
Numéro : 2 b, décembre 2017http://www.regalish.net11comment se déroulaient le mariage coutumier dans l’optique de la palabre traditionnelle? Qu’en est-il, aujourd’hui, de ce mariage et des rituels qui lui sont liés corrélativement la palabre traditionnelle? Le mariage traditionnel chez les punuse faisait en trois étapes. La première consistait pour un jeune homme et ses parents à proférer des paroles et à poser des gestes en guise de promesse de mariage. Ses paroles et gestes matérialisés par un acte symbolique de grande importance, «ukummudjèb» (réserver/ fiancer sa future femme) symbolisaient un consentement mutuel entre deux familles qui devraient marier leurs enfants. Un don symbolique « ibaanz» ou «mukumunu-munu», (mariage verbal → promesse demariage) était offert par le jeune homme et sa famille à celle de la jeune fille. Dès lors, la future épouse était rattachée à la famille de son mari et devrait être digne de cette dernière, mais également,honorer sa propre famille en affichant un comportement exemplaire «ubokbunumb», c’est-à-dire, «tuer l’état de vie de jeune fille». Il faut noter que le mariage était d’abord une affaire des deux familles, la jeune fille n’avait souvent pas d’avis à donner sur le choix de son fiancé car sa volonté n’était pas prise en compte: «L’individu n’a pas de place seul la Tribu ou le clan occupe une place prépondérante dans l’univers culturel. L’important n’est donc pas le consentement des époux pris isolement mais l’accord des groupes constitués» (G. Balandier, 1963). Aujourd’hui, les nouvelles générations pratiquent ce que les punu appellent «nimadilemughatsi-nimadilemulumi» qui peut se traduire dans le contexte actuel par «j’ai trouvé une femme-j’ai trouvé un mari». Cette formule traduit les nouvelles mentalités des jeunes qui, pour plusieurs raisons, excluent les parents du choix de leurs conjoints. Elle exprime à la fois la déception et la nostalgie de l’ancienne génération qui a du mal à se départir des pratiques du passé. La deuxième étape, «diwèl/le mariage» était consacré au versement de «tsombu/la dot» qui n’était composée que des éléments symboliques. Lorsque les composantes de la dot étaient réunies, les deux familles fixaientde commun accord, le jour du mariagede leurs enfants. Les parents du jeune homme se rendaient chez ceuxde la jeune fille. Une rencontrerestreinte àlaquelle prenaient part desparentsprochesétaitorganisée. Si à l’époque purement traditionnelle, la composition de la dot varie quelque peu selon nos recherches et nos informateurs, il est cependant certain que des éléments tels que le sel, l’enclume, la machette, la hache, la lime, le chapeau (pour le père de la fiancée), la calebasse, la tête de tabac, le foulard (pour la mère de la fiancée), la marmite en terrecuite, le vin de palme, restaientincontournables. De nos jours, la dot est une longue liste négociable ou non, qui fait l’objet d’une consignation par écrit, des marchandises périssables et non périssables. Des éléments de la modernité auxquels on ajoute d’importantes sommes d’argent font exploser la composition de la dot (cf. listes en annexe). Un repas pour clôturer cet évènement était partagé à la suite d’un rituel de bénédiction et des conseils à l’endroit des jeunes mariés. Autrefois, le jeune marié pouvait partir avec sa femme qui recevait des présents symboliques au même titre que la dot. Il s’agissait notamment des nattes, des poules et coqs, des chèvres, du panier, du mortier et du pilon, de quelques régimes de bananes. Aujourd’hui, la famille de la jeune fille se mobilise et réunit des moyens importants en vue d’accompagner la jeune mariée dans le clan de son mari. Un trousseau complet est Numéro : 2 b, décembre 2017http://www.regalish.net12composé des ustensiles de cuisine, de l’électro-ménager, des matelas ressort, des parures de lit et parfois d’une voiture pour les plus nantis. D’une manièregénérale, à propos des coutumes anciennes, lorsque la mort frappait une famille, c’est la communauté toute entière qui se sentait concernée.Les proches, les voisins, les habitants du village étaient confrontés à la crise provoquée par le décès d’un des leurs.Par et pour la mort, tout le village se mobilisait pour organiser les funérailles et surtout circonscrire la mort. Les activités étaient suspendues ou tournaient au ralenti. La tristesse et la désolation se lisaient sur tous les visages; les femmesportaient un morceau de pagne attaché au niveau de la poitrine, les cheveux ébouriffés et restaient pieds nus. Les branches de palmiers étaient accrochées aux abords du village ainsi qu’à chaque extrémité de la maison mortuaire.Lors de la palabre, la veille de l’enterrement au soir, la famille maternelle à travers son représentant et conformément à la coutume demandait les causes de la mort et exigeait des dommages et intérêts. «ilumbi yi ubèl/ la nouvelle de la mort», «ilumbi yi nfuang/ la nouvelle dela mort», «ikumbu, ikaang na tàb» (des gestes symboliques qui représentent des amendes à payer), étaient accomplis.Si la palabre lors des cérémonies funéraires est encore et toujours vivace chez les punu, on note cependant quel’idéal commun,par l’effet de la modernité ne répond plus à l’exigence de fidélité aux us et coutumes, mais laisse plutôt place à une évolution opposée. La modernité agit comme un contrepoids qui déstructure le contenu des valeurs endogènes inhérentes à l’art de la communication autour de la palabre. En effet, aujourd’hui, les relations urbaines dans ses modalités d’être modernes ont chamboulé le tissu socialtraditionnel. La mort n’est plus par exemple un phénomène qui engage socialement et culturellement les individus.Certaines personnes, concernées parle malheur ont des obligations professionnelles, ne peuvent par conséquent pas y prendre une part active du début jusqu’à la fin du processus.Ce qui implique inéluctablement un changement dansles différentes façons de participer à un deuil. En outre, au lieu d’être soutenus (moralement, spirituellement ou financièrement), certains endeuillés subissent parfois l’indifférence totale des autres membres de la société,à en juger par l’attitude de ces derniers (ils organisent des fêtes). Ils sont dans des cas extrêmes exploités (ceux qui viennent au deuil exigent à manger et à boire alors que l’enterrement n’a pas encore eu lieu). Par ailleurs, La mort induit un aspect commercial qui prend le dessus sur la coutume proprement dite,car certaines familles font des dépenses disproportionnées et même superflues: confection des tee-shirts, achat des pagnes et confection des tenues extravagantes.L’Église dans la société actuelle a un rôle majeur dans la déstructuration des valeurs sociales traditionnelles; elle ne croit pas que les rites africains soient porteurs de sens, et les considère au contraire comme des éléments négatifs. Touchant le mariage, elle n’intègre pas les considérations traditionnelles des familles, méprise également le superflu moderne autour de la dot. En d’autres termes, elle situe l’acte de mariage qu’au niveau spirituel quoique consciente, que c’est l’issue de la palabre du mariage coutumier qui accorde le statut d’épouse ou d’époux aux mariés.Elle a par conséquent contribué à instaurer une nouvelle attitude qui s’observe aussi dans les veillées mortuaires. En effet, on note parfois une absence totale de la palabre; leschorales qui prestent toute la nuit, jouent un rôle de premier plan et se substituent à la palabre. Cette situation a pour conséquence immédiate, l’écrasement, l’étouffement de l’authenticité africaine.
Contribution:  Ginette Flore MATSANGA MACKOSSOT,

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