Emile Ibamba,
2.3.3. Les différentes techniques de prise en charge traditionnelle
Chaque technique est adaptée par rapport à la gravité de la maladie et de son origine. Certaines techniques peuvent prendre en charge d’autres cas graves de maladie liés par exemple à l’envoûtement, la sorcellerie, à la folie, à la possession par les esprits, les génies, victimes des envoûtements, des revenants, etc.
Pour ces maladies d’origine mystique, avant de donner un traitement, le nganga lutte d’abord contre les esprits dangereux (matengu). Racontée par E. Ibamba (1984, 207) 29 , l’histoire qui suit relate une séance de combat contre les mauvais esprits :
« Il était sensiblement un peu plus de vingt deux heures. Le « nganga » révéla aux parents de la malade les causes de la maladie de leur fille. Il indiqua par ailleurs les voies possibles de guérison. D’après ce qu’il voyait à travers son miroir, il s’agissait de deux esprits qui constamment rodaient autour de la malade (…). Alors qu’un des assistants du « nganga » jouait un air de musique avec la cithare, le « nganga » l’interrompit et entonna une chanson. Il sortit de son petit sac une corne de gazelle « disigi di tsési » soigneusement ornée et bourrée sans doute de multiples objets précieux… ».
Il s’agit d’une technique de la délivrance, appelé dans un autre langage, l’exorcisme. C’est après cette séance mystique de délivrance, si elle s’est bien passée, que le patient peut commencer un traitement phytothérapeutique. En fonction de ses dispositions mentales, le patient peut être amené plus tard à accomplir certains rites initiatiques afin de raffermir sa guérison. Mais l’initiation n’est pas un passage obligé. Tout cela va dépendre de la volonté du malade, de ses dispositions mentales que seul le nganga peut évaluer.
Emile Ibamba, Traditions et changements sociaux. Organisation sociale et conception du monde chez les Punu du Gabon. Le village des morts : « ibungu ». Etude sociologique et ethnologique. Thèse de Doctorat, Université de Toulouse Le Mirail, 1984, 379 p.
2.3.3. Les différentes techniques de prise en charge traditionnelle
Chaque technique est adaptée par rapport à la gravité de la maladie et de son origine. Certaines techniques peuvent prendre en charge d’autres cas graves de maladie liés par exemple à l’envoûtement, la sorcellerie, à la folie, à la possession par les esprits, les génies, victimes des envoûtements, des revenants, etc.
Pour ces maladies d’origine mystique, avant de donner un traitement, le nganga lutte d’abord contre les esprits dangereux (matengu). Racontée par E. Ibamba (1984, 207) 29 , l’histoire qui suit relate une séance de combat contre les mauvais esprits :
« Il était sensiblement un peu plus de vingt deux heures. Le « nganga » révéla aux parents de la malade les causes de la maladie de leur fille. Il indiqua par ailleurs les voies possibles de guérison. D’après ce qu’il voyait à travers son miroir, il s’agissait de deux esprits qui constamment rodaient autour de la malade (…). Alors qu’un des assistants du « nganga » jouait un air de musique avec la cithare, le « nganga » l’interrompit et entonna une chanson. Il sortit de son petit sac une corne de gazelle « disigi di tsési » soigneusement ornée et bourrée sans doute de multiples objets précieux… ».
Il s’agit d’une technique de la délivrance, appelé dans un autre langage, l’exorcisme. C’est après cette séance mystique de délivrance, si elle s’est bien passée, que le patient peut commencer un traitement phytothérapeutique. En fonction de ses dispositions mentales, le patient peut être amené plus tard à accomplir certains rites initiatiques afin de raffermir sa guérison. Mais l’initiation n’est pas un passage obligé. Tout cela va dépendre de la volonté du malade, de ses dispositions mentales que seul le nganga peut évaluer.
Emile Ibamba, Traditions et changements sociaux. Organisation sociale et conception du monde chez les Punu du Gabon. Le village des morts : « ibungu ». Etude sociologique et ethnologique. Thèse de Doctorat, Université de Toulouse Le Mirail, 1984, 379 p.
2.1. Le mythe de la sorcellerie
Vu l’importance accordée au phénomène de la sorcellerie dans la société gabonaise, il paraît intéressant de s’arrêter un instant sur ce phénomène. En effet, pourquoi les individus font toujours référence à ce phénomène pour expliquer et comprendre la maladie mentale ? L’intérêt pour la sorcellerie amène à tenir compte du mythe qui sous-tend ce phénomène. Mais, il convient d’abord de définir ce qu’est un mythe. Ensuite, sur la base de ses caractéristiques, il s’agira de voir les causes responsables de l’existence de ce phénomène.
Selon M. Eliade (1963, 16) 155 , le mythe est un récit imaginaire racontant une histoire sacrée, un événement qui s’est passé dans le temps primordial et comment cette réalité est venue à l’existence. C’est alors le récit d’une « création ». Dans cette définition, il paraît utile de relever quelques caractéristiques, à savoir l’origine ou la création et la remémoration. En effet, d’un côté, le mythe permet de relater l’origine de quelque chose : «…le mythe se rapporte toujours à une « création », il raconte comment quelque chose est venu à l’existence, ou comment un comportement, une institution, une manière de travailler ont été fondés… » 156 .
Au Gabon, il est difficile de trouver un mythe situant l’origine de la sorcellerie, du moins dans sa version officielle. L’une des versions connues et qui a été l’objet d’une étude est en rapport avec le mythe d’Evu 157 chez le peuple Fang que L. Mallart Guimera (1981, 28-29) 158 rapporte ici :
« Autrefois, Evu habitait dans la forêt dans un grand rocher entouré de fougère. Il était un « être » de la forêt qui ne faisait rien d’autre que tuer du gibier. Lorsqu’il tuait un animal, il le couchait sur le rocher.
Pendant ce temps-là, au village, il y avait une femme mariée ayant mis au monde des enfants. Un jour, cette femme s’en alla pêcher. Elle attrapa beaucoup de poissons. En quittant la rivière, elle trouva le corps d’un animal mort sur le rocher. La femme se dit que peut-être il a été tué par le léopard. Elle le prend. Lorsqu’elle cherche une liane pour l’attacher, elle en découvre deux autres. Elle va les prendre lorsque une voix se fait sentir au milieu du rocher : « C’est toi qui a tué ces animaux ? » La femme se met à trembler de peur. Elle dit : « Qui es-tu ? ». La voix répond : « Je suis Evu ! ». La femme dit : « C’est toi qui as tué ces animaux ? ». Evu dit : « Viens ici ! ». La femme avance et alors elle découvre une chose qui se dressait comme la grenouille que nous appelons mvon. « Où veux-tu t’en aller avec ce gibier ? », interroge Evu. « Je pensais que le léopard l’avait tué et j’allais l’emporter au village pour le manger ». Evu dit : « C’est mon gibier ! C’est moi qui l’ai tué… ! ». Evu ajouta : « Mais si tu le veux, tu peux le prendre ». La femme le mit dans son panier et s’en alla au village. En arrivant, la femme dit à son mari : « J’ai trouvé du gibier tué par le léopard ». Le mari dit : « N’est-ce pas ? Merci ! ». Alors, on dépèce le gibier, on le prépare et toute la famille en mange. Trois jours après, la famille sent de nouveau le désir de manger de la viande. La femme s’en va rencontrer la « chose » qui parlait et qui lui avait dit s’appeler Evu. En arrivant au rocher, elle y trouve un gibier, deux gibiers ; elle les prend ; au troisième, Evu dit à la femme : « Combien tu veux en prendre ? ». Et puis, il ajoute : « Tu sais, j’aimerais aller à ton village. Si j’y vais, tu me donneras de la viande –n’est-ce pas ? Puisque je t’en donne beaucoup… ». Evu dit à la femme : « Prends-moi et partons ! ». La femme cherche son panier. Evu dit : « Je ne veux pas être amené au village dans un grand panier où tout le monde peut me voir ». Alors, la femme prend un petit panier à col étroit (nkun), le laisse au sol et dit à Evu : « Entre ici ! Je vais te cacher avec des feuilles ». Evu dit : « Je ne veux pas ! Je serai très serré… ». La femme lui dit alors de monter sur son dos. Evu refuse : « Je ne veux pas être transporté là où les gens se grattent… » et il ajouta : « Je veux te dire comment tu dois m’amener au village ». La femme accepte car c’est lui qui lui donne la viande. Alors Evu invite la femme à s’accroupir. La femme s’accroupit et Evu entre par le vagin dans son ventre. Puis, il dit : « Partons ! ».
Au village, l’époux de la femme ne sait pas que celle-ci a Evu dans son ventre. Pendant plusieurs jours, ils mangent le gibier apporté par la femme. Une fois terminé, elle veut s’en aller en brousse pour s’en procurer à nouveau. Evu lui dit : « Mais comment ? Qui peut encore te tuer le gibier ? Je n’y suis plus puisque maintenant j’habite ici et, en outre, où est la viande que tu devais me donner ? –Mais, dit la femme, et les poulets que tu as mangés ? ». Evu dit : « Est-ce que je t’ai donné des oiseaux dans la forêt ? N’est-ce pas que j’ai tué pour toi du « vrai gibier » ? La femme cherche quelque chose pour le satisfaire. Evu s’impatiente. Il dit à la femme de lui amener des hommes pour les manger. La femme lui donne son enfant. Evu le prend. Il meurt à l’instant. Après quelques jours, Evu sent à nouveau le désir de faire gras. Evu réclame à la femme de la viande comme lui-même lui en avait donné. La femme lui donne tous ses enfants. Ils meurent. C’est Evu qui les tue. Il mes mange ; il boit leur sang. Evu est déjà parmi nous… ! ».
Malgré la pluralité des versions sur l’origine d’Evu ou de la sorcellerie, il convient de noter que ce phénomène a été introduit parmi les êtres humains par la femme. Au-delà de ce fait, le point le plus important semble être celui où Evu commence à « manger la chair humaine ». Ici, ce sont les enfants de la femme. A partir de là, on peut noter l’origine familiale de la sorcellerie. C’est la femme qui donne ses propres enfants à Evu, en guise de sacrifice. Pour L. Mallart Guimera (1980), l’introduction d’Evu dans le village constitue le point de départ de la sorcellerie.
A cet effet, convient-il de noter que le mythe permet de situer l’origine d’un phénomène ou d’un comportement. En situant cette origine, le mythe permet de lui donner à ce phénomène un sens qui est utilisé par le sujet. Pour cela, le phénomène devient un modèle : « …c’est la raison pour laquelle les mythes constituent les paradigmes de tout acte humain significatif » 159 .
De l’autre, à travers son récit, le mythe permet de remémorer ou de réactualiser les événements passés. Pour M. Eliade (1963, 33), « il s’agit d’une commémoration des événements mythiques, mais de leur réitération. Les personnes du mythe sont présentes, on devient leur contemporain. Cela implique aussi qu’on ne vit plus dans le temps chronologique mais dans le temps primordial, le Temps où l’événement a eu lieu pour la première fois ».
A cet effet, se pose-t-il la question de la répétabilité à travers le récit mythique. Cette répétition des événements dans le temps présent se situe par rapport à un temps passé, le Temps primordial où l’événement s’est passé la première fois. Ces caractéristiques permettent de saisir la nature et la fonction d’un mythe qui :
« est un récit qui fait revivre une réalité originelle, et qui répond à un profond besoin religieux, à des aspirations morales, à des contraintes et à des impératifs d’ordre social, et même à des exigences pratiques. Dans les civilisations primitives, le mythe remplit une fonction indispensable : il exprime, rehausse et codifie les croyances ; il sauvegarde les principes moraux et les impose ; il garantit l’efficacité des cérémonies rituelles et offre des règles pratiques à l’usage de l’homme » 160 (Manilowski cité par Eliade, 1963, 34).
L’acte de sorcellerie s’inscrit dans ces exigences pratiques que lui confère le mythe. Par l’acte anthropophagique, il y a un besoin de retour à l’origine, c’est-à-dire à la première manifestation d’une chose qui est significative et valable et qui constitue le premier modèle exemplaire. M. Eliade (1963) parle du « mythe de l’éternel retour » dont la « fonction est de révéler les modèles exemplaires de tous les rites et de toutes les activités humaines significatives : aussi bien l’alimentation ou le mariage que le travail, l’éducation, l’art ou la sagesse » 161 .
A travers l’acte de la sorcellerie, il y a une réactualisation des événements ou une partie de ceux-ci. C’est la réversibilité des événements, caractéristiques des sociétés traditionnelles. Alors que chez l’homme moderne, il y a une irréversibilité de ces événements. Cette réversibilité des événements se note à travers les rites, caractéristiques de la répétition. Et la sorcellerie, en tant que rite, permet de noter ce caractère réversible des événements passés. Par l’acte de sorcellerie, le sujet réactualise et répète ce que les Ancêtres ont fait dans le temps.
Dans ce sens, l’imaginaire est pris au même titre que l’expérience de la réalité. Le « ibungu » 162 , le sabbat peut donner énormément des informations sur la sorcellerie. En effet, c’est dans ce lieu qu’un sorcier acquiert toute sa puissance à être sorcier. Cet « ibungu » repose sur un discours qui se passe dans un endroit invisible qui se situerait sous un vieil arbre, à un carrefour de routes ou encore dans une forêt, etc. Dans ce sens, le mythe peut être réduit au champ de la parole impliquant une lecture diachronique dans un temps irréversible (histoire racontée). Il est aussi un langage par sa structure permettant une lecture synchronique dans un temps réversible.
La structure du mythe par sa répétitivité fonde l’existence du rite. Cette répétitivité est la structure même du mythe. Car il établit une liaison entre un temps originel et temps présent. Dans ce sens, le mythe peut être réactivé, répété dans le rite. Il structure un ordre paradigmatique qui ne peut être réductible à un ordre historique. La réalité psychique irréductible à une réalité extérieure passée est-elle à l’origine du trauma, selon la théorie freudienne ?
En comparant la structure névrotique au contenu mythique, S. Freud (1913) voit une certaine ressemblance. Pour cela, il s’intéresse au mythe d’Œdipe. Pour D. Anzieu (1970) 163 , les mythes parlent aux hommes non pas du monde extérieur, mais du monde intérieur, non pas de la réalité mais des fantasmes, ainsi que des désirs et des angoisses qui y sont allées. Et c’est ce désir sur le mythe me permet de comprendre le caractère collectif de la croyance. Ainsi, le mythe est un récit imaginaire relatant des phénomènes naturels, des faits historiques pouvant servir de règles. Le mythe se transmet de génération en génération. Au cours de cette transmission, il y a une ré-élaboration permanente rendant ainsi difficile la détermination de son origine. Comme c’est le cas dans le mythe de la sorcellerie !
Cependant, à travers ce mythe, se pose la question du temps, c’est-à-dire le temps mythique et le temps concret. Dans le temps mythique, la caractéristique essentielle est la répétabilité, c’est-à-dire que toute action symbolique significative se reproduit dans le temps, au-delà de toute contingence. Ce temps mythique signe le commencement, le moment où le Héros civilisateur, l’Ancêtre a posé le premier acte. C’est le temps originel qui sert de modèle à tous les temps. Ce temps est différent du temps-durée ou temps prométhéen.
Chez les sorciers, l’acte de « manger la chair humaine » est la répétition de ce qui a eu lieu au commencement. Le mythe a cette fonction de représentation. La pratique de la sorcellerie-anthropophagie présentifie le mythe de la sorcellerie dans le temps présent, le temps concret. A travers ce mythe, il convient de noter l’origine, c’est-à-dire l’acte premier ou le désir qui est celui de « manger la chair humaine ». Si aujourd’hui, cet acte n’est plus réel, il se situe, par contre, à un niveau symbolique ou mystique.
Mircea Eliade, Aspects du mythe. Paris, Gallimard, 1963, 250 p.
Mircea Eliade, Idem, p. 32.
Terme d’origine Fang qui veut dire « génie » et que chaque individu possède. Ce génie peut être utilisé à bon ou mauvais escient.
Louis Mallart Guimera, Ni dos ni ventre. Religion, magie et sorcellerie Evuzok. Paris, Société d’Ethnographie, 1981, 247 p.
Mircea Eliade, Idem, p. 32.
Mircea Eliade, Idem, p. 34.
Mircea Eliade, Idem, p. 19.
En langue Punu, il s’agit d’un village (imaginaire) où se retrouvent les sorciers.
Didier Anzieu, Freud et la mythologie. Revue Française de Psychanalyse. 1970, 2, pp. 114-145.
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