Jan 10, 2022

Man’s Essence in Bantu Ontology Celestine Chukwuemeka Mbaegbu

The concept of force is bound to the concept being even in the most abstract thinking upon the notion of being comparing the Western and Bantu notions. Tempels observes that force is the nature of being, force is being, A being is a force. Kagame maintains that all beings, all essences, in whatever form it is conceived, can be subsumed under the concept of force or as a social category encompasses all beings from God, There is constant vital interaction among beings, that is to say, forces  Tempels argues that: -this concept of separate beings, of substance which finds them side by side, entirely independent one for another, is foreign to Bantu thought! Bantu hold that created beings preserve a bond one with another, an intimate ontological relationship, comparable with the causal tie which binds creature and creator. Further argues and insistently too that -all creatures are found in a relationship according to the laws of a hierarchy! Nothing moves in this universe of forces without influencing other forces by its movement! The world of forces is held like a spider's web of which no single thread can be caused to vibrate without shaking the whole network or the Bantu there is an interaction of force with force! This kind of metaphysical interaction among beings transcends the mechanical, chemical, and psychical interactions of the created force, Tempels observes that the Bantu see a causal action emanating from the very nature of that created force and influencing other forces will weaken or strengthen another.

Jan 9, 2022

LES JEUX DES ENFANTS

 Bingane bi bangébi
L'activité ludique est très abondante chez les Punu. Elle concerne plusieurs types de jeux. il y a des jeux symboliques, de règle, d'initiation, de mémorisation, d'apprentissage, etc. Parfois, certains jeux sont accompagnés par des chants. La scène ludique est un espace de créativité, de défi, de rivalité fraternelle, d'apprentissage, d'imagination créatrice. Les actants procèdent par adaptation, imitation et reconstruction. Les jeux débutent par la simple évocation du terme ingane. La fin des jeux est marquée par le chant suivant: ditèngu di kodu kumu bège mwane tu lèli... ha, ha, ha dimburmune mburrre : le fantôme du bout de la plaine donne-nous ton enfant, nous allons le bercer ha, ha, dispersez-vous. Dès qu'un petit lance cet appel, tout le monde rentre chez soi.
1. tsiési : la gazelle
La gazelle est un jeu qui permet aux enfants de bien compter et de connaître la succession des chiffres et des nombres. Dans ce jeu, la gazelle est un animal rusé. L'enfant doit s'identifier à elle pour savoir calculer vite et bien. Sur la scène ludique, les enfants se placent en demicercle. Chaque acteur passe à tour de rôle devant ses pairs et commence par la question suivante: tsiési a ka : où est la gazelle? les autres répondent: tsiési ko bisanzu : la gazelle est partie couper du bois. Le principe est de faire suivre les chiffres les uns avec les autres par ordre décroissant ou croissant jusqu'à la gazelle puis reposer la question du début. On dira: 1. imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ? 2. bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ?
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3. biriéru ma duke bibéji, bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ? 4. bine ma duke biriéru, biriéru ma duke bibéji, bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ? 5. biranu ma duke bine, bine ma duke biriéru, biriéru ma duke bibéji, bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ? 6. bisiamunu ma duke biranu, biranu maduke bine, bine maduke biriéru, biriéru ma duke bibéji, bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ? 7. isambwali ma duke bisiamunu, bisiamunu ma duke biranu, biranu maduke bine, bine maduke biriéru, biriéru ma duke bibéji, bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ? 8. inane ma duke isambwali, isambwali ma duke bisiamunu, bisiamunu ma duke biranu, biranu maduke bine, bine maduke biriéru, biriéru ma duke bibéji, bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ? 9. ifu ma duke inane, inane ma duke isambwali, isambwali ma duke bisiamunu, bisiamunu ma duke biranu, biranu maduke bine, bine maduke biriéru, biriéru ma duke bibéji, bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ? 10. digumi ma duke ifu, ifu ma duke inane, inane ma duke isambwali, isambwali ma duke bisiamunu, bisiamunu ma duke biranu, biranu maduke bine, bine maduke biriéru, biriéru ma duke bibéji, bibéji ma duke imosi, imosi ma duke tsiési, tsiési ko bisanzu, tsiési a ka ?
Traduisons le point dix: 10 suit 9, 9 suit 8, 8 suit 7, 7 suit 6, 6 suit 5, 5 suit 4, 4 suit 3, 3 suit 2, 2 suit 1, 1 suit la gazelle qui est partie couper du bois. Où est la gazelle?
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2. kale: Iecrabe
Le crabe est un jeu qui consiste à citer les noms des autres en insistant sur une syllabe nominale. Sur la scène ludique, les enfants se tiennent debout en formant un cercle. lis vont tourner ou rester sur place en tapant dans les mains et en chantant. Le principe est qu'un acteur ou une actrice entonne: kalé lé, les autres répondent wu ya mu rangule : ne le nomme pas. Nu rangule kale: je vais nommer le crabe. kale ja (jandiri) ka, ka, kaka : le crabe dit ka, ka, kaka. Les autres répondent: wu ya mu rangule : ne le nomme pas. kalé lé wu ya mu rangule kalé lé.. ..wu ya mu rangule Nu rangule Kumb, Kumb ja ku, ku, Kumb ja kuku wu ya mu rangule kalé lé.. e .wu ya mu rangule Nu rangule Bwang, Bwang ja bwa, bwa, Bwang ja bwabwa...wu ya mu rangule kalé lé wu ya mu rangule Nu rangule Musodu, Musodu ja so, so, Musodu ja soso...wu ya mu rangule kalé lé.. ..wu ya mu rangule Nu rangule Bilongu, Bilonguja 10,10,Bilonguja lolo...wu ya mu rangule kalé lé wu ya mu rangule Nu ranguIe Mabik, Mabik ja bi, bi, Mabik ja bibi... wu ya mu rangule kalé lé wu ya mu rangule kalé lé wu ya mu rangule Les noms de tous les enfants seront cités par l'acteur ou l'actrice en scène.
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3. Irange-rang : difficile à citer ou le réciteur
Irange-rang est un jeu qui permet d'apprendre ou de mémoriser les noms d'oiseaux. Chaque acteur doit être capable de donner au moins dix noms d'oiseaux. Sur la scène ludique, les enfants se placent en demi-cercle. Une jeune fille ou un jeune garçon se met devant les autres pour commencer. Une mélodie va l'aider à citer les oiseaux.
Le principe:
Irange-rang, irange tsoli u dijombi : le réciteur qui connaît les oiseaux de laforêt. L'assistance répond en chœur: igumi i dugu : tu citeras dix. 1. mwafi tsoli ji [les autres répondent] mosi 2. kange tsoli ji [les autres répondent] béji 3. mbulu koku tsoli ji [les autres répondent] iriéru 4. mulétsi tsoli ji [les autres répondent] jine 5. itsarare tsoli ji [les autres répondent] iranu 6. pame tsoli ji [les autres répondent] isiamunu 7. fiunge tsoli ji [les autres répondent] isambwali 8. munzarombi tsoli ji [les autres répondent] inane 9. dovi tsoli ji [les autres répondent] ifu 10. ibidu tsoli ji [les autres répondent] digumi Tout le monde reprend en chœur: igumi i dugu : le compte est bon. Il. mugugu tsoli ji [les autres répondent] digumi né mosi 12. ngondu tsoli ji [les autres répondent] digumi na béji 13. mbire tsoli ji [les autres répondent] digumi na iriéru 14. togu tsoli ji [les autres répondent] digumi na jine 15. kuge tsoli ji [les autres répondent] digumi na iranu 16. munzange tsoli ji [les autres répondent] digumi na isiamunu Ainsi de suite...
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4. mambe na disimu (l'eau et la berge)
Mambe na disimu est un jeu qui revient à compter, répertorier, différencier les animaux de la forêt (la berge étant du côté de la forêt) et ceux qui sont aquatiques. Sur la scène ludique, les actants sont placés en demi-cercle. A tour de rôle, un commence en citant dix animaux: cinq de l'eau et cinq de la forêt.
Le principe:
ô mambe bi : à l'eau il y a ! L'assistance répond: biranu: cinq ô disimu bi : à laforêt ily a ! Les autres répondent: biranu : cinq Pale wa mwane kite na ngange u go mane: si tu n'es pas fils d'une mère de jumeaux ou d'un voyant tu ne peux pas les citer. - niu mane: je pourrai, je finirai - wu mane: tu pourras?
- rangule : alors cite. ..
- wu mane. ..yi. ..rangule (bis) kale, kari
- wu mane. ..yi. ..rangule (bis) musale, kori
- wu mane. ..yi. ..rangule (bis) iboke, ibonge
- wu mane. ..yi. ..rangule (bis) ngole, ngumbe
- wu mane...yi...rangule (bis) dilulu, nzagu
Tout le monde répond: digumi di dugu : le compte est bon, ou tu as cité dix.
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LE MUNTUÏSME BASE DE LA PHILOSOPHIE DU ROYAUME KOÔNGO

Le Muntuïsme base de la philosophie du royaume Koongo Un livre de Rudy Mbemba Dya-Bô-Bénazo-Mbanzulu Dans son livre paru en Décembre 2013 aux Editions ICES, Rudy Mbemba « poursuit une fois de plus sa quête sur les origines des valeurs fondamentales et traditionnelles ayant marqué l’apogée du Royaume Koôngo ». Docteur en droit, Avocat et Koôngologue, Rudy Mbemba est un passionné de la culture Koôngo dont il nous livre ici son quatrième ouvrage. Pour le journal » Mwinda « , nous lui avons posé quelques questions afin de comprendre le sens de cette quête. C’est votre quatrième ouvrage consacré au Muntuïsme. Vous poursuivez donc avec abnégation l’étude de ce concept fondamental du Royaume Koôngo. A-t-on le droit de penser qu’il s’agit là d’un sujet inépuisable ?
 LE MUNTUÏSME BASE DE LA PHILOSOPHIE DU ROYAUME KOÔNGO rudy

1. Le Muntuïsme est en effet et, ce me semble, une matière inépuisable dans la mesure où il est défini comme le code des principes qui régissent la vie de l’être ou du Muùntu dans toute sa globalité. L’application des valeurs du Muntuïsme commence dès les premières heures de la naissance de mwaàna ou l’enfant qui est appelé à croître, à se développer et à s’affirmer en tant que Muùntu, c’est-à-dire une personne adulte jusqu’à la mort. Le Muùntu est naturellement appelé à connaître trois événements à savoir : naître, vivre et mourir et l’objet du Muntuïsme est donc de promouvoir à l’échelle sociale toutes les valeurs qui concourent à la formation, au développement du Muùntu ainsi qu’à son épanouissement depuis sa naissance jusqu’à la mort. Quels aspects du Muntuïsme avez-vous développé dans ce dernier livre et que vous n’aviez pas abordé dans les livres précédents ? Si dans mon premier ouvrage portant sur le » Muntuïsme : l’humanisme intégral africain » , j’avais défini et présenté cette matière comme science, savoirs et connaissances à caractère humain, social, moral, politique et spirituel voire religieux, ma dernière publication apparaît comme une sorte de rétroviseur, à travers lequel, défilent toutes les applications et commandes dont Ntinu Wene, le héros fondateur du royaume de Koôngo Dya Ntootela avait nécessairement besoin pour parvenir à la réalisation de son Etat. C’est, somme toute, l’approfondissement du Muntuïsme politique qui, de l’examen de chacune des provinces ou états ayant constitué la grande fédération de Koôngo Dya Ntootela passe par l’écoute, le dialogue, la connaissance, la méthode, la justice, la diplomatie, le respect des particularismes locaux et la force de combativité? En quoi le Muntuïsme est-il la base de la philosophie du Royaume Koöngo et que signifie – t- elle précisément ? Ici, le mot base doit être analysé et compris comme une dynamique des principes et usages ayant absolument été au centre du gigantesque projet d’édification et de construction de Koôngo Dya Ntootela dénommé » Mbaànza Koôngo « Alors en quoi a consisté le projet de » Mbaànza Koôngo » ? En fait Mbaànza Koôngo n’est pas qu’une expression nominale d’une cité royale ou le nom de la capitale du royaume de Koôngo Dya Ntootela qu’on peut géographiquement situer sur la partie centrale du continent africain. Si en effet Mbaànza Koôngo évoque la cité royale, c’est-à-dire le lieu où résidaient tous les monarques de la société Koôngo, c’est aussi, conceptuellement parlant donc philosophiquement ou spirituellement un lieu d’accomplissement de l’être ou du Muùntu. Mbaànza Koôngo est, d’après le Muntuïsme, le siège spirituel de la formation, du développement et de l’épanouissement du Muùntu. Le génie du Père fondateur de Koôngo Dya Ntootela est celui d’avoir réussi le rassemblement d’un grand nombre d’habitants des villages en les associant dans son gigantesque programme de création de fédération en leur conférant de réels pouvoirs. C’est l’expression même de la philosophie de Mbaànza Koôngo qui passe par l’écoute, le dialogue, le respect des particularismes locaux, l’équité, le travail etc. C’est à ce titre que le koôngologue Georges Balandier rapporte que Ntinu Wene est : » le héros civilisateur, le roi symbolisant par excellence le pouvoir. Il est le roi forgeron dotant son peuple des armes de la guerre et des outils de l’agriculture » ou bien encore comme le relève Randles dans son remarquable ouvrage sur » L’ancien royaume du Congo des origines à la fin du XIXe siècle » publié en 1968, la grande innovation de la conquête bakongo est le groupement de multiples petits royaumes en un grand Etat centralisé et gouverné par un monarque suprême résidant dans une capitale. Pour quelles raisons le Congolais ou l’Africain d’aujourd’hui devraient-ils se sentir concernés par L’Histoire du Royaume du Congo ? Le Congolais ou l’Africain d’aujourd’hui doit effectivement se sentir concerner non seulement par l’Histoire du Royaume de Koôngo Dya Ntootela mais également par celle des sociétés d’Afrique noire qui ont su s’organiser, par le passé et ayant connu une grande période de stabilité politique et sociale qui est une condition si ne qua non pour le développement. Au moment où l’Afrique connaît de nombreux maux qui la ronge et qui l’empêche d’aller paisiblement vers le développement, le projet dénommé » Mbaànza Koôngo » de Ntinu Wene me paraît plus que jamais d’actualité. Il est d’autant plus actuel qu’il porte en lui les principes mêmes de construction, d’avancement et de développement de l’Afrique de demain. Un régime qui nie, par sa politique, ce qu’il y a lieu de plus précieux pour le Muùntu à savoir : la liberté, le respect de sa terre ou de ses particularismes locaux, ne peut ni réunir ni rassembler ni réussir. Toute dictature est inconciliable avec le Muntuïsme. A Mbaànza Koôngo, le pouvoir est l’expression du peuple qui le traduit, de façon élective et donc par une confiance qu’il a, en ses chefs locaux que sont les représentants légitimes du Ntootela, le roi fédérateur. Le conseil royal est parfaitement similaire au Mboòngi du village qui est un espace de dialogue qui sacralise la parole sous son aspect d’écoute et de débat contradictoire constructif. En ce lieu la force et la violence sont perçues comme la négation même de la paix et donc du » savoir vivre ensemble « . Les [ Bi ]-Mpumbulu ou êtres incorrigibles voire les ennemis de la nation n’y ont aucune place car ils sont une grave menace ou un danger pour véritablement faire asseoir les valeurs de Ki-muntu ou du Muntuïsme. Ne pensez-vous pas que cette Histoire du Royaume du Koôngo a été volontairement magnifiée dans une certaine mesure ? Je ne pense pas que toute l’Histoire du Royaume de Koôngo ait été magnifiée par ce qu’il a connu aussi, comme toutes sociétés humaines, ses périodes troubles notamment après la bataille d’Ambwila de 1665 qui marque d’ailleurs le déclin du royaume. Tous les meilleurs rois de Koôngo Dya Ntootela l’ont été pour la plupart d’entre eux en raison de leurs qualités muntuïstes. C’est le cas du héros fondateur dudit royaume Nimi a Lukeni devenu Ntinu Wene au moment de son accession au trône, Nanga kia Ntinu Koôngo, Nkuwu a Ntinu, Nzinga Kuwu et Nzinga Mbemba (Alfonso 1er). rudy.

Lorsque le père Van Wing rapporte que : « La principale prérogative du roi était celle de suprême justicier ou qu’il y aurait eu dans chaque région un juge royal et que le roi envoyait à l’occasion des commissaires dans les régions troublées, pour trancher les palabres voire que la justice royale s’exerçait surtout vis-à-vis des grands vassaux, et en appel vis-à-vis des autres chefs « , je ne pense que cela soit de la magnificence mais beaucoup plus de la réalité historique sur laquelle on peut réfléchir pour mieux institutionnaliser et bâtir les nouveaux-Congo que sont le Congo-Brazzaville, le Congo démocratique, l’Angola voire toute l’Afrique centrale. Il s’agit là d’une des illustrations du Muntuïsme politique. Où trouvez-vous la documentation nécessaire pour écrire une Histoire qui s’est passée il y a plusieurs siècles ? Parfois, je me pose la question qui est celle de savoir si j’aurai eu la même passion pour l’histoire de mes ancêtres que sont les Koôngo et les Bantous en général si j’étais resté dans mon pays d’origine, le Congo-Brazzaville. Je ne pense pas sincèrement ! Cette passion a été nourrie par une sorte de disposition à mon endroit d’une documentation non négligeable qu’on retrouve ici en Europe. En effet, l’Europe a été le témoin de l’Histoire de Koôngo Dya Ntootela, elle a été son bibliothécaire pour reprendre l’expression du koôngologue Georges Balandier. Rome, le Portugal, la Hollande et l’Angola dans une certaine mesure se partagent cette précieuse documentation. Les récits de voyage et les relations des missionnaires, comme le relève à juste titre le précédent auteur, ont composé des tableaux plus ou moins détaillés de la société et de la civilisation Koôngo. Vous avez fait des études de Droit qui vous ont conduit au métier d’Avocat.Comment et surtout à quel moment l’étude du Royaume du Koôngo s’est-elle imposée à vous ? Merci à vous de me poser cette question. Des années durant, je me la suis posée et j’avoue que je ne saurais vous donner une réponse bien précise. Par contre, ce que je sais est que mes lectures au Lycée à Toulouse sur le roi Nzinga Mbemba et Kimpa Vita ont fait naître en moi un vif intérêt sur la connaissance de l’Histoire de mes ancêtres que sont les Koôngo, et à travers eux, les Bantous en général. Et lorsque j’ai accédé à l’université des sciences sociales de Toulouse, je n’ai guère hésité dans la préparation du diplôme d’études approfondies en sciences criminelles (D.E.A.) de choisir comme sujet de mémoire » La répression en matière de mœurs dans la société traditionnelle Koôngo « , un sujet que j’ai perfectionné dans le cadre de mes recherches doctorales. C’est à partir de là que l’étude du Royaume du Koôngo s’est naturellement imposée à moi. Par moment, j’ai le sentiment d’avoir été guidé par des auteurs remarquables ayant, avant moi, fait des études très enrichissantes sur les Koôngo, à l’instar du vénéré pasteur Emile Cardinal Biayenda ou Raphaël Batsikama voire des auteurs européens comme le père Van Wing et Georges Balandier. Vous écrivez que le Muntuïsme est à la fois Science et religion du Muntu. Comment expliquez-vous la coexistence de ces deux domaines généralement opposés ? Effectivement le Muntuïsme est, à la fois science et religion du Muùntu dis-je ! La coexistence de ces deux domaines généralement opposés peut sembler paradoxale. D’autant plus paradoxale que la science, contrairement à la religion est définie comme un ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d’objets ou de phénomènes qui obéissent à certaines lois et qui sont vérifiables par des méthodes expérimentales. La coexistence entre ces deux domaines ne pose aucun problème avec le Muntuïsme. Comment et pourquoi ? Pour la bonne et simple raison que, le Muntuïsme a cette particularité d’être un ensemble de savoirs et connaissances afférents aux faits, objets ou phénomènes qui obéissent au code des lois de la vie en général dont on considère être une manifestation transcendantale du Dieu créateur Nzaàmbi Mpungu. Etant entendu que, d’après le Muntuïsme, Nzaàmbi, extension du mot Nzaàmba dont on extrait le verbe ZABA, est la connaissance absolue, l’autorité suprême voire la vérité absolue. La vérité étant conçue comme la manifestation de ce qui va ou marche ( tsiele ou tsiele-ka) n’admettant à ce titre aucune contradiction. C’est d’ailleurs sous cet angle que Nzaàmbi Mpungu est considéré par les Koôngo comme Nzaàmbi ya ma-tsiele-ka, c’est-à-dire le Dieu de vérité ou des vérités (sous-entendu le Dieu des savoirs et connaissances ou des principes qui sont vérifiables). Le Muntuïsme est science parce qu’il accepte en son sein la connaissance qui doit être vérifiable par des méthodes expérimentales. Il est aussi religion parce qu’il définit, entre autres, le rapport du Muùntu avec le sacré à travers par exemple le culte des esprits bienfaisants des ancêtres, le » nzo bansita » ou la corbeille des ancêtres. Le Royaume du Koôngo a-t-il un équivalent en Afrique ? L’œuvre du héros fondateur du royaume de Koôngo Dya Ntootela présente quelques similitudes avec le règne de Soundiata Keita roi du Mali à partir de 1230. Le génie de ce dernier c’est d’avoir réunit des populations issues de différentes ethnies comme les Bambaras, Ouolofs, Toucouleurs, Malinkés qui, avant lui ne coexistaient toujours pas en bonne intelligence. Soundiata Keita, en son temps mettra sur place une véritable organisation politique, administrative et militaire qui contribuera d’ailleurs à la gloire de son empire. Tout comme Ntinu Wene, le Ntootela, le Maàni, le Mpfumu-tsi, Soundiata Keita s’était proclamé » Mansa « , c’est-à-dire le roi des rois, un titre faisant de lui un haut dignitaire incontestable et incontesté, de par son charisme, comme le sera d’ailleurs l’un de ses successeurs Kankan Moussa. Son règne tout comme celui de Ntinu Wene est celui d’une grande période de gloire de son empire. Dans quelle(s) direction(s) comptez-vous encore poursuivre ce travail ? Comme je viens de vous l’indiquer, le champ définitionnel du Muntuïsme est immensément vaste regroupant des aspects de dimension humaine, sociale, morale, spirituelle, économique et autre. Partant de là, mon rêve demain, c’est de faire du Muntuïsme une matière d’enseignement dans nos écoles secondaires et universitaires. Là, je rejoins le vénéré pasteur Emile Cardinal Biayenda qui, de son temps se plaignait d’un manque de valorisation des valeurs africaines dans le système éducatif congolais ou africain. Notre enseignement n’a pas été suffisamment » patriotique « , observait-il en son temps, dans ses méthodes de formation et d’éducation. Il devra faire, concluait-il, de sérieux efforts de présentation et de diffusion des voies qui orientent et visent la mise en valeur du pays. Au niveau des matières enseignées ( apprendre à lire, écrire, calculer et parler français) : un enseignement abstrait, livresque basé sur des choses dépourvues de rapport et l’intérêt pour la vie qui avait été vécue jusque là. On ne fait ni l’histoire de son pays, on ne favorise aucune réflexion sur lui, presque rien pour le connaître d’une manière un peu plus scientifique…C’est un enseignement extraverti, tourné abusivement vers l’extérieur, dépendant de l’extérieur et conçu en fonction de l’extérieur……[ Abbé E. Biayenda » Coutumes et développement chez les Bakongo du Congo-Brazzaville » Thèse doctorat Lyon 1968 Première partie P. 116. Propos recueillis par Marc TALANSI.

La grammaire punu



 Ce groupe linguistique diffère sensiblement des dialectes bantous du sud-ouest et du nord-ouest, tant pour le vocabulaire que pour le lexique. Le pounou ne contient pas de difficultés de prononciation. Le parler lent, détachant bien ses mots, ne s'anime que dans les mouvements oratoires. 

Grammaire du dialecte pounou

Alphabet. Sauf indications contraires, les lettres, en Pounou, se prononcent comme en français.

 I. — Consonnes h comme en français. 

  d — •f — g toujours dur,- à peine articulé, vélaire et très voisin de la semi- voyelle vélaire w.
j n'est employé que dans la consonne double dj. к est plutôt vélaire que palatal. 1 très voisine de la vibrante r. r très voisine de 1. m comme en français, n comme en français, ň se prononce comme gn dans signal. p comme en français. 

" s — t • — V z n'est employé que dans les consonnes : double nz et triple ndz. II. — Semi-voyelles. w est palatale, comme ou, dans oui. y est post-palatale.

 III. —Voyelles. a comme en français.
 i moyen,
à ouvert.
i long,
â long.
о moyen,
é moyen.
6 long, è è ouvert. U moyen, é ê long. û long. 

 Remarque. — On entend prononcer yi pour dji. Ex : muyi pour mudji.

 IV. — Syllabes.

1° Toute syllabe se compose, soit d'une voyelle seule, soit d'une consonne suivie d'une voyelle, par exemple : i", o, bat na, di, mi. Toute syllabe est donc ouverte.

 2°. Toute syllabe étant ouverCe, toute voyelle initiale d'un mot forme une syllabe indépendante, par exemple : i-duba, i-lsanunu. 

 3° Quand il y a une nasale dans un mot, cette nasale fait toujours partie de la syllabe qui la suit, et la voyelle précédente n'est pas nasalisée ; on ne partagera donc pas les syllabes des mots suivants : mam-fumbi, dwan-da, mais ma-mfumbi, dwa-nda.

 V. — Contraction des voyelles.

 Les mots se terminant toujours par une voyelle, il s'en suit que toute voyelle initiale est exposée à se contracter avec la voyelle finale du mot précédent. Nous avons ainsi : a-(-a = á, par exemple : mâmbu, pour ma-ambu. i a4-e = é, — me/a, — maè a + í : =: e, — bê, — ba-i. a-\-u-=zû, — mûva, — ma-uva. i -j- i = î,. — mîri, — mi-iri. o-f «=(). — mûsu, — mu-usu. и devant a, e, г, о, devient semi-voyelle w. i devant a, e, о, u, devient semi-voyelle y. Vocabulaire pounou. Les divers éléments du vocabulaire pounou peuvent être réunis en trois groupes.

1° Les mots concrets, c'est-à-dire les vocables qui évoquent l'idée d'une personne, d'un objet, d'une action, d'un état, d'une qualité. Ce sont les noms, les verbes, les adjectifs.
2° Les éléments pronominaux, qui déterminent, précisent, la valeur des mots concrets.
3° Les mots abstraits ou particules : prépositions, adverbes, conjonctions.

 I. Analyse des mots concrets.

 On distingue, dans les mots concrets : la racine, le radical, les affixes. 

 1° La racine est l'élément commun- qui apparaît, après dépouillement de leurs affixes, dans un groupe de mots, dont la parenté est encore confirmée par la synthèse de leurs sens particuliers, en un concept général. Par exemple la racine fondamentale kong, qui a le sens général de : chose pointue, aura les dérivés : di-kongo, sagaie ; mu-kongo, sommet de montagne, tsongo, pointe; tsongi, aiguille; tsoka, piquer..

Le type primitif de racine, en pounou comme dans les autres dialectes bantous, est composé de deux consonnes enclavant une voyelle, selon le schéma : C-V-C.

 Exemple : le mot i-dub-a, nasse, a comme racine : -dub-

 A. Mais ce type, le plus simple, est souvent allongé : a) soit par l'introduction d'une nasale ri, après la voyelle, selon le schéma G-V-N-G. . Exemple : -pand-, dans mu-pand-a, tresse. 

 b) soit par l'introduction d'une semi-voyelle,?ou го, après la première consonne, selon le schéma : G-Y-V-G, ou C-W-V-C. 

■ Exemples : -byet-, dans u-byet-a, presser;

 -dwar-, dans -i-dwar-u, vêtement. 

 B. La racine peut aussi être incomplète et comporter : soit une voyelle et une consonne seulement, selon le schéma :V-C. 

Exemple : -al-, de dw-al-a, ongle. 

 h) soit une consonne et une voyelle, selon le schéma C-V. Exemple : -ta, de bu-taf fusil. 

 2° Le radical est la partie du mot qui demeure, après que celui-ci a été dépouillé de ses affixes purement grammaticaux, comme ceux de classe, dénombre, de personne, de temps. Le radical peut être un mot racine ou un mot dérivç. 

 Exemple : Si, à la racine -gak-, du verbe и-дак-а, mordre, nous ajoutons le suffixe -ula, nous aurons le radical -gakul-, du verbe dérivé м- gakul-a, déchiqueter ; -a final n'est qu'un suffixe verbal.

 3° Les affixes sont des particules placées soit en tête, soit en queue d'un radical. Ils discriminent les noms des verbes, et les noms ou verbes de même racine, entre eux, en précisant le sens particulier de chacun.

 II. Accentuation.

 1° Dans chaque mot pounou, il y a au moins une syllabe accentuée. Cet accent consiste en une élévation de la tonalité et un appui de la voix sur la ou les syllabes accentuées.

 2° L'accent se place sur la syllabe racine, c'est-à-dire, sur la pénultième, pour les mots simples. Exemples : Bh-ga, viens ; du-skl-a, plume. Remarque. — II faut excepter les noms к racine incomplète, selon le schéma C.V. où l'accent se place sur le préfixe nominal. Exemples Г Bu-ta, fusil; di-tu, sangsue.

 3° Dans les mots à suffixes, l'accent se place aussi siir la syllabe racine Ces suffixes sont les suivants : ila, ulu, и/га, unu, ena. Exemples: Rug-ila, viens pour; i-tsan-unu, siège; u-koh-ena, être emmêlé. Remarque. — Les verbes dérivés en anga, ungu, esena, usunu ont l'accent sur la pénultième, selon à-nga, ii-ngu,- Exemple : Rug-a-nga, viens souvent. 

 4° Dans les verbes de quatre syllabes, ayant l'accent sur la pénultième, on trouve un accent plus léger, sur la première syllabe. Exemple : Rùg-il-a-nga, viens souvent pour ;. .. III. Alternances phonétiques. Les radicaux peuvent commencer et finir par des consonnes différentes, _ en fonction de la catégorie grammaticale du thème. 

et ss. pour les noms. Ces alternances consonnantiques ont pour cause : ,

1° l'influence d'une nasale préfixée. 

 2° l'influence de la voyelle thématique ou suffixale. 

 I. Le préfixe nasal.

Le préfixe nasal est ou bien dental : n ; ou labial : m ; ou palatal : ny; ou vélaire : hy. 

 a) Les nasales : n, m, peuvent se préfixer à un radical nominal ou verbal commençant par une consonne; m se préfixe à une labiale, n aux autres' consonnes, à moins que la nasale ne soit amiiie selon les règles exposées plus loin. 

 b) La nasale palatale : ny se préfixe aux voyelles. 

 c) La nasale vélaire : ny, se préfixe à la voyelle i. l. devant une consonne.

 a) Devant une des labiales : A,-/*, on a'ia nasale labiale m, qui se préfixe simplement à ces consonnes. Ex. : du-banga, m-hanga, écales. 

 b) Devant la dentale c/, on ala nasale dentale-palatale n, qui se préfixe aussi à cette consonne. Ex. : u-dimba, frapper ; n-dimbi, frappe-moi.

 c) En contact avec une des occlusives-sourdes : p, t, k, le préfixe nasal est amiii. Ex. : palu pour m-palu, carquois ; tolo pour n-tolo, rossignols ; kueto pour n-kweto, herminettes. 

 d) en contact avec la mi-occlusive labiale : v, la nasale est amtiie et v remplacé par l'occlusive-sourde correspondante p. Ex. : pinda pour m-vinda, arachides. 

 e) en contact avec la mi-occlusive sonore dj, la nasale se maintient et dj devient z ; on a donc nz. Remarque. — Quand le préfixe vocalique est remplacé par le préfixe nasal, un z épenthétique se développe entre la nasale etc// ; puisř// disparaît, laissant le z seul à sa place. Par exemple le verbe u-djyaba, connaître ; si on remplace le préfixe vocalique и par. le préfixe nasal, on aura avec.3 épenthétique nz-djyaba-' puis dj tombe et on aboutit à nz-yaba. f) quand la nasale est en contact avec la mi-occlusive s, celle-ci peut se conduire de deux façons : 

 1° s'il s'agit d'un verbe, elle se change en la mi-occlusive sonore z, et on a nz. Ex. : u-salila, travailler pour..., n-zalisi, travaille pour moi. .

 2° s'il s'agit d'un nom, il se. développe entre la nasale et la mi- occlusive s, uni épenthétique; puis la nasale tombe. Ex. : du-sala, pluriel t-sala, pour nt-sala, plumes. 

 g) la nasale, en contact avec la nasale dentale : n, est amuie. Ex. : nyuru pour n-nyuru, corps. h) quand la nasale est en contact avec la nasale labiale m, il se développe un b épenthétique entre les deux nasales. Ex. : mb-umuna pour m- mu типа, foulures.

 i) la nasale initiale, en contact avec la vibrante prépalatale l, demeure ; entre elle et la consonne/, se développe un d épenthétique, devant lequel I tombe. Ex. : n-dimi pour nlimi, langues.

 j) la nasale en contact avec la vibrante post-palatale r, développe entre elle et г un t épenthétique ; r tombe, et la nasale s'amiiit devant la sourde-occlusive t. Ex. :teri pourrc-reri, pépins de courge. 2. devant- une semi-voyelle.

 a) la nasale initiale, en contact avec la vélaire g (qui en pounou est mi-occlusive),- est amuie ; le g se change en l'occlusive sourde correspondante k. Ex. : kagala pour n-'gagala, étincelles ; du singulier du-'gagala. 

 b) la nasale initiale, en contact avec la semi-voyelle vélaire w, est amuie ; devant w se développe la vélaire occlusive sourde к (cette transformation s'explique par la profonde affinité de го avec g, en pounou, tellement que souvent on entend un. g semi-occlusif devant le w, d'où II + iff) + w = Kw)- Ex. : u-warisa, fortifier; k-warisi, pour n-ivarisi, fortifie-moi. 

 3. devant les voyelles. a) la nasale initiale, en contact avec les voyelles a, e, est la nasale palatale ny ; n -f a = ny-a ; n -f- e = ny-e. Ex. : ny-ala, pour n-ala, ongles, du singulier div-ala. ny-engo, pour n-engo, marmites ; singulier dw-engo.

 b) la nasale, en contact avec i, est la nasale mouillée ny ; fîy ~|- i = ni. Ex. : n-imbui pour îïy-imbu3 chants ; singulier dw-imbu. II. La voyelle thématique i. Toute voyelle thématique i ne détermine pas d'alternance consonnantique, il ne s'agit ici que du thème i du participe d'action.

 Le г thématique du participe d'action détermine les alternances suivantes : a). devant lui, la palatale-vélaire g est remplacée par la palatale s.

 Ex. : du verbe u-loga, envoûter, le participe mu-losi, envoûteur.

 b) la palatale nasale ng est remplacée par la spirante palatale clz. 

Ex. : u-linga, voyager, participe : mu-linzi, le voyageant (voyageur). 

 c) la palatale-vélaire, entre deux voyelles semblables, est amtiie, et apparaît la semi-voyelle palatale-vélaire y. Ex. : u*daga, dérober, participe mu-dayi, le dérobant (le voleur). d) la dentale sonore l est remplacée par la sifflante sourde ts. Ex. : u-lila, manger, part, mu-litsi, le mangeant (le goinfre). e) la dentale sourde r est remplacée par la sifflante sourde ts. Ex. : u-fura, mentir, part, i-futsi, le mentant (le menteur). f) la nasale-dentale n se mouille et devient palatale ny. Ex. : u-vuna, lacérer, part., i-vuni, le lacérant (oiseau de proie.) IV. Affixes. Nous avons. vu que les thèmes de mots concrets peuvent donner un verbe et un qualificatif, aussi bien qu'un nom. Ce sont les affixes qui différencient les noms des verbes et des adjectifs de même radical. Les affixes peuvent être préfixés ou suffixes aux mots. Ils peuvent être une voyelle, une consonne, une syllabe. Ex. : i-sal-u, travail ; n-gwang-u, bâton ; du-lim-i} langue. 1° Suffixes vocaliques post-radicaux. Les thèmes de mots concrets peuvent avoir, comme finale, une des voyelles suivantes : -a, -г, -и, -о. 

 1. Suffixe -a. La voyelle finale du verbe est ordinairement -a. Là où elle esť maintenue, il y a lieu de regarder le nom comme dérivé d'un verbe. Ex. : u-rug-a, venir, di-rugil-a, action de venir ; U'bak-a, entailler, dï-bak-a, entaille.

 2. Suffixe i. La désinence -i peut avoir deux significations différentes.

 a) Cette désinence est la caractéristique du participe d'action, et désigne soit un agent, soit un sujet, doué de telle qualité active, -habitué à telle manière de se comporter. 

 En réalité, il n'existe que des noms-participes, appartenant à la lre et à la 7e classes. La désinence -i détermine alors une modification de la consonne qui la précède. (Voir plus haut la voyelle thématique -/.) Ex. :.du verbe u-fur-a, se tire le participe i-futs-i, le mentant ; . du verbe u-ling-a, voyager, le participe mu-linz-i, le voyageant. 

 b) Cette même désinence -г se suffixe aux noms. Elle remplace alors, en pounou, la désinence -e, caractéristique nominale de la plupart des autres dialectes. La désinence -i ne détermine alors aucune modification de la consonne qui la précède. Ex. : du-lim-i, pour du-lem-e ou du-lim-e, d'autres dialectes ; nen-i, gros, pour nen-e.

 3. Suffixe -u. 

 Le suffixe -u indique un état acquis, par suite de l'achèvement d'une action ; une manière d'être, de servir ; c'est aussi la finale du verbe passif. 

Ex. : i-var-u, chose plantée (plante), de u-var-a, planter; kwendul-u, manière de marcher, de u-wend-a, marcher; di-palul-u, lieu de sortie, de u-pal-a, sortir.

 4. Suffixe o.

 Le suffixe -o, en pounou, a la même signification que -u ; il s'emploie par euphonie, après une syllabe ayant -o- ou -e-, comme voyelle. Ex. : i-bèd-o, malade, de u-bèl-a, être malade; du-syèm-o^ éclair, de н- si/èm-a, faire des éclairs ; i-tsoror-o, apathie, de u-tsor-a, être apathique. 2° Préfixes nominaux. 1. Tous les noms ont un préfixe. 

 1° Quand un nom ensemble dépourvu, on se trouve en présence d'un nom à préfixe nasal. Il s'est produit une alternance consonnantique, due к l'action réciproque de la nasale et de la lettre initiale du thème. (Voir n° 7 et suivants.) Ex. : кого, crapauds, pour n-goro. 

 2° L'action 'des préfixes est de préciser le sens du thème. Ex. : du verbe u-bula, briser, se tirent les deux dérivés suivants : i- bululu, brisoir et di-bululu, objet sur lequel on brise quelque chose ; i-duka, sot, bu-duka, sottise. Voici les préfixes nominaux avec l'idée générale que chacun d'eux donne au nom.

 1° Ce préfixe mu-. Mu- peut être : a) soit un pronom personnel, qui ne se préfixe qu'aux personnes : 

\ Ex. : mu-tu, personne humaine ; mu-geto, femme. b) soit une préposition, donnant au thème un sens de locatif : Ex. : mu-rima, intérieur ; mu-baka, mâchoire; mw-iri, arbre. 2° le préfixe mi-} pluriel de mu- locatif. "

 3° Le préfixe nasal (/г-, m-, ny-, ny) qui fait du thème un qualificatif d'un nom ou d'un verbe sous-entendu. Par elle-même, cette nasale n'indique ni singulier, ni pluriel ; ce sont ses relatifs ou le préfixe singulier du-, qui déterminent le nombre. Ex. : n-gwangu, par lui-même n'est ni singulier, ni pluriel, ce sont ses relatifs, dji pour le singulier, tsi pour le pluriel, qui détermineront le nombre quand besoin sera. 

 4° Le préfixe ma-. marque la collectivité, la masse, et de là, s'est étendu au sens d'abstraction. C'est pourquoi ce préfixe, qui par lui-même n'implique pas l'idée de pluralité, sert cependant de pluriel à plusieurs classes de noms. Ex. : ma-lùngu, sang, ma-loba, hameçons.

 5° Le -préfixe bu-, marque l'abstraction, et quelquefois une quantité indéterminée. Ex.': bu-sina, richesse, b'u-limbu, glu. 

 6° Les préfixes di- et du- marquent l'unité ; du-, plus précis, désigne un objet pris dans une collectivité déterminée ; tandis que di- désigne un objet de n'importe quelle collectivité. Ex. : du-ngatsi, noix de palme, désigne une noix prise dans un tout, le régime y-alsi ; tandis .que di-lolo; papaye, désignera un fruit quelconque du papayer mu-lolo, arbre dont les fruits n'ont pas de lien étroit entre eux.

 7° Le préfixe г-, par excellence- préfixe participial, forme aussi desnoms d'objets matériels. . Ex. : i-vuni, le dévorant, de u-vuna, dévorer ; i-kapulu, objet qui sert à attacher, de u-kapa, attacher, 

 8° Le préfixe ba- peut être :

 a) Préfixe-pronom pluriel des noms de personnes.

 Ex. : mu-viga, esclave, plur. ba-viga

 b) Préfixe pluriel des noms à préfixe nasal.

 Ex, : n-gwangu, bâton, plur. ba-ngwangu ou n-gwangu

- 9° Le préfixe hi- est le préfixe pluriel des noms ayant le préfixe i- au singulier. Bi- est mis pour by-i. Ex. : i-salu, travail, plur. bi-salu.. 

 Relatif de liaison. Pour marquer les différents cas, on se sert des relatifs de liaison.  A de rares exceptions près, ce sont les préfixes eux-mêmes qui servent de termes de liaison. On les verra en regard des noms des différentes classes. Notes sur les préfixes nominaux.

 1° Les préfixes nominaux rangent les noms en classes ou genres. Nous regarderons donc comme appartenant à la même classe tous les noms ayant le même préfixe au singulier et au pluriel, bien que leur origine puisse être différente .

 2° A défaut de l'un des préfixes' ou de tous les deux, c'est l'accord'que le nom impose au pronom ou au relatif de liaison qui indique sa place parmi les autres.

 Ex. : le nom à préfixe nasal n-dao, case, peut être singulier ou pluriel. C'est son terme d'accord qui en montrera le nombre, dji pour le singulier, tsi pour le pluriel. 

 3°les noms n'étant pas divisés en noms du genre masculin et du genre féminin, beaucoup de noms d'êtres animés s'appliquent indifféremment à l'un et à l'autre sexe. . Ex. : mw-ana, signifiera fils ou fille ; mondi, chien ou chienne ; kari, singe ou guenon. Si on veut préciser le sexe, ou ajoute les substantifs : mu-lumi ou di-bâla, mâle ; mu-geto, mu-gatsi, i-busi, femelle. On dira donc : mw- ana-dibâla, garçon.; mw-ana-mu-geto, fille ; koko-mu-lumi, coq ; koko- mu-gatsi, poule. 

 4° Nous avons vu que les préfixes déterminent le sens des noms. Cependant on trouve dans une classe des noms qu'on s'attendrait à trouver dans quelque autre. Cela tient au point de vue particulier auquel s'est placé l'indigène. Par exemple, si dans le nom d'agent, qui possède la désinence -i, l'indigène a envisagé l'agentsous son aspect de personne humaine, on n'aura pas le préfixe de l'agent i- ; mais celui des noms de personne ти-. Ainsi on ne dira pas : i-kelitsi, le gardant (gardien) ; mais : mu-kelitsi, personne gardant. Nous avons vu aussi, plus haut, l'emploi des deux préfixes du- et di-, à sens si voisin. On- trouve même de l'indécision dans l'emploi de certains pluriels ; ainsi des noms à préfixe nasal, très couramment employés, ont dans certains groupements le pluriel ma-,

 Ex. : n-dao ou ba-n-dao, cases, fait ailleurs ma-ndao. 

 Tableau des classes. Tableau des classes. Tableau des classes. II sera traité des relatifs nominaux plus loin. Il sera traité des relatifs verbaux plus loin. Pour l'accord des adjectifs qualificatifs, non traités ici, voir p. 155. Préfixe nomin. • type sing. plur. sing. plur. ba-viga rapport sing. nomin. plur. ba- relatif verbal sing. plur и ba I. Classe personnelle. ти- ba- mu-viga (esclave) 

 Principe. — A cette classe, appartiennent tous les noms qui ont pour préfixe nominal, au singulier ти-, et au pluriel, ba- substitué à mu-, ?Jota. — Les noms de personnes appartiennent à la classe imposée par leur préfixe, dont ils prennent aussi le relatif d'accord. Ils prennent cependant les pronoms personnels. Contractions. — 1° Au singulier, on a mw- à la place de mu- devant une voyelle.. 

 2° Au pluriel, devant -a,- du radical, Га- de ba-, et celui du radical se contractent en à long. — Devant -i initial du radical, a- de ba- se contracte avec cet -i en î long. — Devant -e initial du radical, a de ba- se contracte avec cet -e en e long. Ex. : mw-ana, enfant, pi. bàna ; mw-isi, habitant de . . . pi. bîsi ; mw èhi, étranger, pi. béni. Caractéristique. — Les préfixes de cette classe sont les pronoms objectifs dé personnes : mu, ba. Aussi, on n'y trouve que des noms d'êtres intelligents. Cependant, elle ne les contient pas. tous. Ex.: mu-ťu,personne, plur. ba-lu ; mu-geto, femelle, plur. ba-geto ; mu-lumi, époux, plur. ba-lumi; mu-gatsi, épouse, plur. ba-gatsi ; mu- kuba, forgeron, plur. ba-kuba ; mu-fudu, jeune homme, plur. ba-fudu. 

 Se rattachent à cette classe de nombreux noms d'agents, tous suffixes de la désinence participiale -t. Ex. : mu-dayi, celui qui prend, de u-daga, prendre (voleur) ; mu- bwandzi, celui qui tisse (tisserand), de u-bwanga, tisser ; mu-litsi, celui qui mange (vorace), de . u-lila, manger; mu-lolitsi, celui qui aboie (aboyeur), de u-lola, aboyer ; mu-lobitsi, celui qui pêche (pêcheur), de u-loha, pêcher à l'hameçon. Remarque. — Pour la formation de ces noms, voir le paragraphe de : « La voyelle thématique -i ». 

 Exemples : Ma-bika ma Nzyengi a dji mu-viga ; Mabika (fils ou fille) lui de Nzyengi, il (ou elle) est esclave.

 — Bîsi dîmbu ba dji vava ; gens du village, ils sont ici.

. — U-na, tsiri-mu-gatsi Bu-ka ; celle-là ce n'est pas. épouse (de) Buka. 

— Ba-nombi ba dji ba-tu ; noirs, ils sont hommes. 

— Béni ba dji na n-zunzu ; étrangers ils sont avec vol (voleurs).

 — Ba- kwili be lili ; veuves elles pleurent

- — Kèla na .ba-dayi ; fais attention à voleurs. - — Ba-lindzi ba ma toga ; voyageurs ils sont fatigués. 

 II. Classe derivative et locative. 

 Préfixe nominal type rapport nomin, relat. verbal sing. plur. sing. plur. sing plur. sing. plur. ma- mi- mu-kongo mi-kongo mi- " и mi (montagne) Principe. — A cette classe appartiennent tous les noms ayant, pour préfixe nominal, au singulier ти-, au pluriel mi- substitué à mu-. 

 Contractions. — Les noms commençant par -a, -e, -i, ont pour préfixe nominal, au singulier mw-; ils ont ту- au pluriel. Les radicaux commençant par -«, contractent -u du radical avec celui du préfixe en û long, le préfixe pluriel est ту-.

 Ex. : mûru, tête; plur. my-uru; mw-endu, voyage, plur. my-endu ; mw-ilai rivière, plur. mlla. Remarque. — g°g0, bras, fait ту- о g о au. pluriel. Caractéristique. — Le préfixe mu- n'est pas pronom. Cette classe forme des dérivés de verbes d'action et aussi de véritables locatifs, surtout avec des noms d'arbres et d'endroits. C'est leur désinence qui en précise le sens. 1° La désinence -a leur donne une idée neutre ou locative : 

 Ex. : mu-baka, mâchoire, du verbe u-baka, entailler, mordre, donc, membre qui sert à mordre ; mu-pupila, courant d'eau, par où l'eau s'écoule ; mu-kata, peau, du verbe u-kanda, tendre, ce qui est tendu ; mu-panda, natte, du verbe u-vanda, natter, ce qui est natté. 

 2° Le suffixe -i indique une qualité acquise par l'objet, soit par suite d'une action qu'il exerce, soit de par sa nature même. Ex. : mu-tendi, marteau ; mu-gondzi, celui qui rate (orage sec) ; mu- kubi, ce qui agace (agacement) ; mu-hwati, ce qui est pour abattre (sabre d'abatis); mu-kekili,ce qui est pour tambouriner (baguette). 3° Les suffixes -o et -u indiquent l'état résultant d'une action. Ex. : mu-baku, hache ébréchée, de u-baka, entailler ; mu-dumfu, résonnance, de u-duma, résonner ; mu-gamu, cri, de u-gamuga, crier ; mu-fundu, accusation, de u-funda, accuser ; mu-kandzu, bois coupé, de u-wanga, couper du bois ; mu-sopo, par où sort quelque chose (boyau), du verbe u-supuga, arrivera la sortie ; mu-vovo, par où quelque chose s'écoule (tuyau), du verbe u-vova, s'écouler ; mu-nu, par où on boit (bouche), du verbe u-nu, boire ; mu-laku, là où on épie (aifût),de u-lèga, épier. Exemples : Tsuna mu-djyamba ; regarde rivière. — Mu-soiïi taba u-dwedji ; chair de chèvre elle (est) douce. — Mi-ngudi mina nzuki ; .tornades elles (sont) avec dommage. — Mi-landza mi na my-unu mi neni ; grenouilles elles (sont) avec bouches énormes. — Mu-sulu и tiba ; bouillie elle (est) épaisse. — Ni na muru bwali; je (suis) avec tête maladie (malade). III. Classe qualitative. ' Préfixe sing. * (nasale) (nasale) nominal plur. (nasale) sing. n-gwangu n-gwangu type rapport plur. sing. n-gwangu ba-n-gwangu (bâton) nomin. plur. tsi ba relat. sing. dji dji verbal plur. tsi ba Principes. — A cette classe appartiennent tous les noms dont le préfixe n'est pas distinct du radical ; c'est-à-dire les noms commençant par une nasale [mb, nd, ng, ny, ny) ou par une sourde k, p, Д is. Le préfixe pluriel se forme comme suit : 1° Les noms communs de personnes prennent toujours le préfixe ba-. Leur relatif soit de rapport, soit verbal est ba. 2° Les noms de choses possèdent^ au pluriel, deux manières d'expression : a) Ils peuvent rester invariables, c'est la manière la plus ordinaire. Leur relatif, soit de rapport, soit verbal sera alors tsi. b) Ils peuvent eux aussi prendre le préfixe ba-, superposé à la nasale, lorsqu'elle existe. Leur relatif, soit de rapport, soit verbal^ est alors ba. Exceptions du pluriel : Société des Africanistes. ' 

 Dans les régions pounoues suivantes : Mwila, Ndende, Magaba-ma- Djyungu, Divené, le pluriel avec préfixe ba- s'emploie très peu. De plus, les indigènes de ces régions donnent le pluriel à préfixe ma- à un certain nombre de noms de cette classe. Voici les plus employés : та-n-dao, plur. de n-dao, maison; ma-n-zila, plur. de n-zila, sentier; ma-tsuva, plur. de isuva, calebasse ; ma-pondzi, hottes, plur. de pondzi ; ma-tsanda, plur. de tsanda, pagne ; ma-m-bari, plur. de m-bari, palmier . Les relatifs pluriels de rapport et verbaux de ces noms sont ma. Reman/ue. 

— Ce préfixe ma- est le préfixe pluriel régulier de cette classe, dans beaucoup de parlers Ban tous. — En pounou, il n'apparaît plus qu'à l'état sporadique., Caractéristique. . — La plupart des noms de cette classe sont, soit des qualificatifs d'un nom sous-entendu, soit des dérivés ou des qualificatifs - verbaux. 1° Qualificatifs du nom sous-entendu mu-tu, personne :

 a) Des noms de personnes, tels que : tadji, père, ngudji, mere, nganga, médecin, etc. . .

 b) Des nomsd'êtres animés, telsque : minzi (pour mbinzi) le chassant (chacal), du verbe u-binga, poursuivre ; nzutsi, le sauteur, (chat), du ban- tou *gJoda, sauter; nzao, l'animal à tuyau (trompe), du verbe u-vefëma, respirer ; à comparer avec le bantou ndofu, éléphant ; nyati, celui qui piétine (buffle), du verbe u-tsyara ou dyara, piétiner, etc. . .

 2° Noms de choses dérivés de verbes, tels que : mbingu. chasse, de- u-binga, chasser; pembi, argile blanche, de u-vêma, être blanc ; tsongi, aiguille, de u-tsoka, piquer ; ndosi, rêve, de u-dora, rêver; kongo, jarre ronde, de u-gonga, tourner; pèro, bois-ressort de piège, de u-vèra, détendre ; pita, arc, de u-pyèta, recourber, etc.. . 3° Noms qualificatifs verbaux : 

 a) Des noms indiquant une manière d'être ou de faire, pouvant se traduire par : manière de... Ces noms sont dérivés des verbes à forme directive (voir). 

 Ex. : kwendulu, manière de 'marcher, de u-wenda, marcher; kûlulu, manière d'entendre, de u-ulu, entendre ; nzilumunu, manière d'être couché, de u-silama, être couché ; ndilulu, manière de manger, de u-lila, manger; kengusunu, manière de regarder, de u-gengisa, regarder, etc..

 b) Des noms adverbiaux multiplicatifs, exclusivement employés pour énoncer qu'une action se répète un certain nombre de fois. Ces noms se tirent des verbes ; évidemment, ils sont toujours au pluriel. Ex. : ndonga, promesses, du verbe u-longa, promettre ; pana, dons,  du verbe u-vana, donner; mbotsa, mouillages, du verbe u-botsa, mouiller; рати donne nya ; nasale -f- e> donne nye. Ex. : dw-ala, ongle, plur. nyala ; dw-engo, marmite, plur. nyengo.

 b) Nasale -f- г, donne ni. Ex. : dw-imbu, plur: nimbu. Remarques. — Du-syendi, épine, admet trois pluriels : tsyendi, qui est le plus commun, mais aussi ba-tsyendi et dans quelques groupements pounous ma-tsyendi. — Du gadji, feuille, fait au pluriel ma-gadji. — Du-bandzi, mouche, fait au pluriel ba-ndzi. Caractéristiques de cette classe. — L'indigène range dans cette classe des groupes de choses ou d'êtres qui vont de pair ou forment un tout. A ces collectivités, le préfixe opère une véritable soustraction. On remarquera qu'à cette classe se rangent des noms abstraits. Cela se comprend, car, d'abord, l'idée de collectivité suggère celle d'abstraction; puis l'abstraction ne pouvant pas se comprendre au pluriel, on fut amené à donner aux noms abstraits le préfixe sélectif singulier. On trouve donc dans cette classe : 1. Des noms de bestioles qui se trouvent habituellement en groupe :

 Ex. : tsyalango, fourmis rouges, sing, du-syalango ; mbono, petite fourmi noire, sing, du-bono; koyo, termites, sing, du-goyo, etc. . .

 Remarque. — Ces noms peuvent avoir leur pluriel doublé du préfixera ;- mais le pluriel simple et le pluriel composé ne s'emploient pas indifféremment : le pluriel simple insistera davantage sur l'idée de collectivité tandis que le pluriel composé attirera l'attention sur le nombre. 

 2. Presque tous les noms de fruits en grappes, en touffes, en épis. Ex. : pinda, arachides, sing, du-oinda ; tsafu; fruits du Pachylobus édulis, sing, du-safu ; te'ri, pépins de courges, sing, du-réri, etc.. 

 3. De nombreux noms d'objets, groupés soit naturellement, soit dans leur mode d'emploi. Ex. : kèla, tiges de palmier-rafia, sing, du-gèla ; kundza, pailles, sing, du-gundza ; tsa la, plumes, sing, dusala', mbandzi, côtes, sing, du- bandzi; kana, pustules, sing, du-gana, etc.; 

 4. Des noms abstraits. Ex. : du-bendu, germination; du-kanda, insomnie ; du-kengo, fragilité ; du-fu, mort ; du-bengo, rougeur ; du-mfwemfo, flexibilité, etc... 

 Exemples. U да betsi na nyabi', tu ne fus pas avec courroies.

 — Peyi nyengo', donne-moi marmites. 

— Laba dusyèmo ; vois (l')éclair.

 — Ye bola bat- syendzu ; va ramasser branches mortes.

 — Nyuru tsi bapasa tsi na myo- ni ; corps de buffles ils (sont) avec poils. — Mwiri и да na tsyendi ; arbre il n'(est) pas avec épines. U betsi na dusyendi du sakama mu ditambi; tu étais avec épine longue dans pied. 

— Midjyamba mi na bandzi ; rivières elles (sont) avec mouches. V. Classe quantitative. Préfixe nominal • sing. di- plur. ma- type . sing. • di-kaka plur. ma-kaka rapport nomin. sing. plur. di ma relat. sirtg. di yerbal . plur. ma main Principe. 

— A cette classe appartiennent tous les noms ayant pour préfixe nominal singulier di-, et le préfixe ma-, au pluriel, substitué à di-. 

 Contractions.

 — Les noms dont le radical commence par les voyelles -a, -e, -f/, ont dy- pour préfixe singulier, ceux dont le radical commence par -i contractent cet -i avec celui du préfixe, en î long. 

 Le préfixe ma-, en contact avec

 -a initial du radical en â long, avec -è initial du radical, il se contracte en eJong. L'a du préfixe ma-, en contact avec 

-г initial du radical, disparaît et -i s'allonge. Il n'y a pas là de vraie contraction, car en pounou, la contraction régulière de a + i donne ê. 

Ce pluriel irrégulier est formé par analogie avec le singulier. 

 Par exemple, le pluriel mîsu, yeux, a été formé sur le singulier dîsu. Régulièrement, on devrait avoir mêso : on devrait avoir má, par suite de - la contraction régulière a-\-i donnant e; on devrait avoir -o suffixal, par suite de l'alternance qui fait que la voyelle e de l'avant-dernière syllabe demande -o comme suffixe vocalique.

 Ex. : di-loba, hameçon, plur. ma-loba; di-liga, appât, plur. ma-lïga ; dij-anga, étang, plur. manga ; dy-uva, nid, plur. mûva ; dî-nu (pour di- wii), plur. minu (pour mêno), dent ; dy-èla, intelligence, plur. mêla. Exception : di-bâla, mâle, fait au pluriel ba-bàla. 

 Caractéristique. 

— Les préfixes di- eï du- marquent tous les deux le singulier. Ils diffèrent en ceci : Le préfixe </«-, sépare d'une collectivité une unité ayant avec cette- collectivité un lien étroit, comme une graine dans un épi, une herbe dans une touffe ; tandis que le préfixe di-y sépare une unité prise dans plusieurs objets juxtaposés, n'ayant entre eux qu'un lien d'espèce, comme les fruits d'un arbre, des œufs, des pierres, des noms de lieux... Exemples : Ba-lsnli be dji ma-lolo ; oiseaux ils mangent papayes.

Ba-punu be bi na ma-baka ; Pounous ils sont toujours avec tatouages.

 — Di-palulu di nungi di ma diba; sortie de plantation elle a été obstruée. 

— Rubula misu ma mu-sindzi', arrache yeux de chat-tigre. —

 ■ Sandza , ma-vego ; , chasse (les) taons. VI. Classe abstraite et collective. Préfixe nominal type rapport nom. relatif verbal sing. plur. sing. plur. sing. plur. sing. plur. bu- (manque) bu-lau (manque) bu- (manque) bu- (manque) (folie) bu- ma- bu-dilu ma-dilu bu ma

 ■ bu ma (fer) Principe. — A cette classe appartiennent tous les noms ayant pour préfixe дотта1 au singulier bu-, et au pluriel ma-, substitué à bu- quand le pluriel existe.

 Contractions* 

— On a bw- devant un radical commençant par une des voyelles -a, -e, -i, au singulier. Au pluriel, -a initial du radical se con tracte avec -a de ma-, en -â long; -e initial en -e long ; -i initial en -î long.

 — On a donc ma -f- a = ma ; ma -[- e -= me ; ma -j- i \ zrz mî.

 Caractéristique.

 — Le préfixe bu- est avant tout le préfixe de l'abstraction ; aussi sert-il à la formation du plus grand nombre des noms abstraits, qui, évidemment, n'ont pas de pluriel. En élargissant le concept, on en arriva à appliquer ce préfixe à des noms désignant une matière ; par exemple de la glu, de la cire, du fer. . . Cependant, dans certains cas, il a fallu pouvoir compter certaines choses formées de matière, alors ona pris le préfixe de masse ma-, qui sert alors de pluriel au préfixe bu-. Ainsi,. le concept de, maladie est abstrait, on aura donc bw-ali, maladie ; mais les maladies peuvent êtres multiples, on a alors le préfixe ma-. Le concept de fer. est un concept de masse, on aura donc bu-dilu j mais on peut avoir plusieurs morceaux de fer, d'où le pluriel ma-dilu. On trouve donc dans cette classe : 1. Des noms abstraits, tel que : bu-duka, sottise; bu-djyoba, crédulité ; bu-vapa, brutalité ; bu-vunda, âge d'homme ; bu-rang a, précaution ; bu-kongo, puissance; bu-sina, richesse; bu-rèla, chasse; bu-nguma, stérilité, etc. Puis aussi des noms à désinence -i, dérivés des verbes d'action, comme bu-kidi, obstination, de u-kina, refuser ; bu-kani, méchanceté, du verbe u-gana, menacer, etc. 2.' Des noms concrets, ne possédant que le singulier, noms de masses, tels que : bu-limbu, glu ; bu-ndzundza, amadou ; bu-dji, miel ; bw-ingu, cire. 3. Des noms concrets ayant singulier et pluriel, peu nombreux. Pour l'explication, qu'on veuille bien se reportera la page suivante. Exemples : Bu-di lu bu sa dèda ; fer n'(est) pas mou. — Ba-fudu Veto ba na bukidi ; jeunes gens ceux de nous ils (sont) avec endurance. 

— Mw-ana Вика а да na bu-mbembo ; enfant (de) Bouka il n'(est) pas avec négligence.

 Le Préfixe collectif Ma-. 

 Principe. — Le préfixe ma- suit, dans tous les cas, les règles de contractions, de rapport nominal et de relation verbale, énoncées plus haut '(p. 149): Caractéristique. — Ce préfixe donne au nom. une idée de collectivité, de masse, de grandeur, c'est pourquoi on le trouve appliqué : 1° A la plupart des noms de liquides, comme ma-mba, eau; ma-lamu, vin de palme ymàka, sève ; ma-kengi, bave ; ma-suba, urine ; ma-lungu, sang; ma-tedji, salive; mâtsi, graisse... 152 

 2° Au nom de dignité, et beaucoup de noms de personnes, et aussi au pluriel des noms de dizaines, comme : Ma-paru, Ma-ganga, Ma-dibila, Ma-pangu (noms- de personnes) ; etc. . . Noms de dizaines : ma-guma bedji, vingt; ma-gďma na, quarante,... 3° Le préfixe ma- sert à former des noms adverbiaux, dérivés de verbes d'état, comme ma-gudama, à plat-ventre, de u-gudama, être vautré, ma- sangama, sur le dos, de u-sangama, être couché sur le dos ; ma-tsana, dans la position assise, de u-tsana, être assis ; ma-sotama, à croupetons, de u- sotama, être accroupi; ma-ndzinzima, à reculons. . . 4° Ce préfixe sert de pluriel à la classe quantitative, en tant que la masse s'oppose à l'unité, marquée par le préfixe di~ ; par exemple : ma- papi, ailes, pluriel de di-papi', ma-gagala, écailles, plur. dedi-gagala\ ma-kutu, poteau, plur. de di-kutu. o° Ma- sert aussi de pluriel aux noms partitifs de la'classe abstraite, en tant qu'il leur donne l'idée de pluralité; comme ma-ta, fusils, sing, buta (anciennement bu- ta désignait un nombre indéterminé d'arcs, et mata, n'importe quelles armes) ; ma-dilu, morceaux de fer, s'oppose à bu-dilu qui désigne du fer; ma-longo, contrées, s'oppose à bu-longo, contrée qui a le sens premier de la terre entière. Remarque. — Le nom ma-gena, panthère, est invariable ; ce nom doit être rangé parmi les noms marquant la dignité ; en effet l'indigène ressent pour la panthère une crainte superstitieuse, d'où son respect pour elle, respect qui s'exprime par le préfixe -ma. 

 VII. Classe modale.

 Préfixe nominal type rapport nom relatif verbal . sing. plur. sing.. plur. sing. plur. sing- plur. i- bi- i-bèdo bi-bèdo i bi i hi (malade) Principe. 

— A cette classe appartiennent tous les noms ayant, au singulier, le préfixe i-, et au pluriel bi-, substitué à i-. Contraction.

— Devant un radical commençant par une voyelle on a y- à la place de i-, et by- à la place de Ы-. Caractéristique.

 — Tous les noms de cette classe sont d'origine verbale. Le préfixe i- est un véritable relatif. Il peut signifier : celui qui fait, celui qui est apte à faire, celui qui est de telle manière, qui a telle, ou telle qualité, qui resse'mble à telle chose, qui sert à tel usage. C'est la voyelle thématique qui déterminera les différents sens. 

 1° La voyelle thématique -t* désigne un agent ou une qualité active acquise, comme : i-bèn-i, le haïssant, de u-vin-a, haïr ; i-dum-i, le tonnant, de и dum-a, tonner; ivos-i, le reposant, de u-vots-a, reposer ; i-vuni, le dévorant {oiseau de proie), de u-vun-a, dévorer; i-mingits-i, le faisant le beau (coquet), de u-ming-a, orner; i-gang-i, le grillant (petite saison sèche), de u-gang-a, griller; i-lumb-i, l'annonçant (messager), de u-lumb- a, annoncer (verbe vieilli, que l'on retrouve en Swahili).

 2° La voyelle thématique -a, donne aux noms une idée d'état naturel ou acquis, comme : i-dub-a, objet dont la qualité, l'habitude est d'être plongé dans l'eau (nasse), du verbe u-dub-a, immerger: i-ndèl-a, objet dont la qualité est de pendre (boucle d'oreille), de u-lelam-a, être suspendu ; i-lèk-a, le gouttant (source), de u-dèk-a, dégoutter ; i-bind-a, l'état de manquer de quelque chose (malchance), de u-vinda, manquer de... 

 3° Les voyelles thématiques

 -u et -o forment des noms dérivés du participe passif -ul-u, -un-u, des verbes applicatifs, -ul-a, -un-a. Ces noms désignent des objets qui servent à tel ou tel usage comme : i-gang-u-lu, qui sert à saisir (anse), 

de u-ganga, saisir ; i-sal-ul-u, qui sert à travailler (outil), de u-sal-a, travailler; i-kap-u-lu, qui sert à attacher (lien), de u-kapa, attacher; i-bul-ul-u, qui sert à briser (brisoir), de u- bula, briser; i-tsan-un-u,. qui sert à s'asseoir (siège), de u-tsana, s'asseoir ; i-swem-un-u, qui sert à se cacher (refuge), de u-sivema, être caché. . . i-son-on-o, qui sert à graver (poinçon),, de u-sona, graver ;. i-nzond z-ol-o . qui sert à piquer (objet pointu), de u-tsoka, piquer.

 4° Le préfixe г-, appliqué à un nom de' clan ou de tout autre groupement humain, lui donne, selon le contexte, tous les sens indiqués plus haut, et même le sens de lieu géographique ; ainsi, i-punu, selon le contexte, signifiera la manière de parler, le lieu d'habitat, la manière de se comporter de ce groupement ; on dira donc : ni u-wenda о i-punu, je "vais en pays pounou ;

 be vosi i-punu, ils parlent pounou ; bumina i-punu yagu, cesse ta manière pounoue (ton habitude, ta mauvaise manière pounoue de te conduire). 

 Exemples : Bi-gombutsu Ы gatsi ; balais ils ne (sont) pas. Banu na i-kanana, soyez avec ténacité. By-uji bi gatsi ; vivres ils ne (sont) pas. U y aba i- tsororo; tu sais être (ne sois pas) apathie (apathique). Ulu bi-gumbu bi magena ; écoute rugissements de panthère. Maganga a na i-kiba ; Maganga il (est) avec essoufflement. О i-punu u mikongo mipwela ; en pays pou nou là (sont) nombreuses montagnes. 

Rapports des noms I. Rapport de deux noms. (de, du, de la, des, en, pour, à). Le rapport de deux substantifs peut : 

 a) signifier l'attribution, , et correspond au génitif latin, au de français, comme dans : patte d'hippopotame, arbre de forêt. 

 b) ou bien avoir un sens plus étendu, énonçant la nature, le but, et correspondre au français en, pour, à; comme fusil à capsule, sagaie en fer. 

 Principe. — Dans l'un comme dans l'autre cas, la relation entre les deux noms est établie parles préfixes de rapport nominal des différentes classes. (Voir en tête de chaque classe de noms son préfixe de rapport nominal). Ces préfixes de rapport se confondent avec les préfixes des noms, excepté au singulier de. la classe personnelle 

(1°), de la classe locative (II0) et de la classe qualificative (Hl°), où le second nom se place à* la suite du premier, sans aucune liaison. Remarque. 

— Les noms de personnes joints ensemble, pour exprimer la filiation paternelle, suivent le même principe. Quelques exemples. (lre cl.) Mw- ana tadji, frère (de) père, plur. bána ba íadji. — (2e cl.) mu-kata nyoga, peau de serpent, pi. mi-kata mi nyoga. 

— (3e cl.) nzila dimbu, sentier (de) village, plur. nzila tsi dimbu.

 — (4e cl.) du-limi du pasa, langue de buffle, plur. ndimi tsi pasa

. — (5e cl.) dînu di ngandu, dent de caïman, plur. mînuma ngandu

— (6e cl.) bu-dilu bu mu-kuba, fer de forgeron, plur ma-dilu ma mu kuba.

 — Ma-lungu ma koko, sang de volaille. 

— (7e cl.) i-te'gulu i ma mba, puisoir à eau, plur. bi-te"gulu bimamba. Ba-kita ba Musadji, Bakita (fils) de Mausadji. Nziu pitsanga, Nziu (fils) de Ditsanga. 

 Exemples : Mu-gatsi Nzamba atsisumba mi-lunga mi kunga; épouse de Nzamba elle a acheté anneaux de cuivre. 

— Tu ma ba na ndao tsi ma kuku ; nous avons été avec cases d'écorces

. — Peyi i-vyovi i tadji Вouka ; donne-moi (le) chapeau du père de Bouka

. — Mi lunda mi mu-siru, mi-ngani ; fruits de la foret, ils (sont) acidité (acides).

 — U y a singa ndosi tsi bi-bèdo ; tu connais croire (ne crois pas) rêves de malades. 

Kasa a na tsyendi tsi mbari mu mu-lembu di-kulu ; Kasa il (est) avec épines de palmier dans (un) doigt de pied.

 II. Autres termes de rapport. Au lieu d'un substantif, le terme de rapport peut être un adjectif, un pronom, un verbe. 

 ADJECTIFS ET NUMÉRAUX 

I. Adjectifs qualificatifs. Sous ce titre, il convient d'étudier séparément ; 

 1. Les adjectifs qualificatifs proprement dits ; 

 2. Les différentes manières de suppléer au manque d'adjectifs qualificatifs. Place du qualificatif dans la phrase ; A de rares exceptions près, le qualificatif se place après le nom et tout ce qui le détermine : possessif, démonstratif, numéral, indéfini. Ex. : Peyi mi-lunda mi-па mi-bedji mi-boti ; donne-moi fruits ceux-là» eux-deux eux-bons. 

 1° Adjectifs qualificatifs proprement dits. 

 Voici ces adjectifs, très peu nombreux : 

 -neni, ample, gros ; 

-boti, bon, beau ;

 -susu, autre ; 

-biv mauvais ;

 -gulu ancien, vieux ; 

-gana, neuf, nouveau, qui se contracte avec les préfixes singuliers des noms des lre et 2e classes, en môna, pour mu-gona.

 Principe. 

— En général, les adjectifs qualificatifs prennent les préfixes de rapport verbal des noms qu'ils qualifient. Il faut excepter le singulier des lre et 2e classes où l'accord est fourni par le préfixe nominal mu. Ex. : mu-somo môna, fourchette neuve; du-gadji du susm, feuille autre ; tsanda dji gona, pagne neuf; bu-ta bu bi, fusil mauvais ; mu-tu mu boti, personne bonne. 

 2° Manières de suppléer au manque d'adjectifs qualificatifs. On supplée au manque d'adjectifs qualificatifs, soit par des adjectifs verbaux tirés des verbes d'état, soit par des noms qualificatifs, soit enfin par l'indéterminé mu-ngo, plur. ba-ngo. a. Adjectifs verbaux tirés des verbes d'état, 

 Principe. 

— Ces adjectifs prennent les préfixes de rapport nominal des noms qu'ils qualifient.. Il faut excepter le singulier des Iго et 2e classes où l'on a le relatif verbal u. . 156 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES Ex. : mu-geto a gasa, femme maigre, du verbe : ugasa, être maigre ; пги-lunda и bola, fruit pourri, du verbe u-bola, être pourri; i-salu i ran- ga, travail difficile, du verbe u-ranga, être difficile; tsanda tsi pinda, pagnes noirs, du verbe u-pinda, être noir. . .

 b. Noms qualificatifs. Principe. — Les noms qualificatifs suivent envers le nom qu'ils qualifient les règles de relation des deux noms entre eux, p. 154. 

 Ex. : mam-ba ma mudji, eau de feu (chaude) ; 

nyama mbisu, viande (de) crudité (crue) ; 

modjibwali, ventre maladie (malade). . .

 c. Les adjectifs :

doué de, habitué à, dépendant de ; affligé de (selon le. contexte), se traduiront par mu-ngo, plur. ba-ngo. On aura ainsi 1 mu- go bagisi, personne (adonnée) aux fétiches (féticheur) ; ba-ngo malamu, personnes (adonnées) au vin de palme, (ivrognes) ; mu-ngo ikoko, personne (affligée) d'une bosse (bossu) ; mu-ngo djiba, personne (adonnée) au vol (voleur). . . 

 Exemples : Ngebi a go mwe ba na ma-kulu ma rekama ; enfant il ne sera plus avec jambes torses. 

Tu go ba na tsanda tsi pasiga ; nous ne. serons pas avec pagnes déchirés.

 — Mw-ana mu geyi a go ba na di-baga di mengu ; enfant petit il ne sera pas avec couteau à tranchant (aiguisé).

 — Ňi na mu-ru bwali ; je suis avec tête maladie (malade). 

— U y a nu ma-mba ma yelili ; tu sais boire (ne bois pas) eau tiédeur (tiède).

 — A tsi bong a du-ru du gulu ; il a pris cuiller usagée. 

Banu ba-ngo musolo ; soyez personnes (adonnées à 1') activité (actives). 

 II. Numéraux. 

 Le système de numération en pounou, est décimal, en harmonie avec la manière de compter des indigènes sur les dix doigts.de la main. Voici à l'état absolu, les nombres qui servent à former les nombres cardinaux et ordinaux; excepté: premier « -tega ».

 -mosi

 -bedji

 -ryeru

-na 

 -ranu 

 -syamunu 

i-sambwali

 i-nana

 i-fu 

i-gumi 10 

 kama 100

 toseni  1000 

 I. Nombres cardinaux. 

 Principes.

 — 1° De 1 à 6, les nombres cardinaux sont adjectifs. Ils se placent donc après le nom qu'ils déterminent, et suivent les règles d'accord des adjectifs qualificatifs .

__ (Voirplus haut.) Ex. : Ba-tu ba-na ; personnes quatre.

 — Ma-baga ma-ranu ; couteaux cinq. 

— Ba-tsoli ba-syamunu ; oiseaux six. 

— Du-paludu-mosi; carquois un. 

— My-endu mi-bedji, voyages deux. Exceptions. a) « Mosi » déterminant un nom des Ie, IIe, IIIe classes ne prend pas de préfixe. Ex. : Mu-tu-mosi; personne une.

 — Рuга mosi; plaie une. 

 b) Les numéros cardinaux, de 2 à 6 déterminant un nom de la IIIe classe, au pluriel simple, ou un nom de la IVe classe au pluriel invariable, prennent les forces spéciales que voici : 2 3 4 5 6 -bedji, i-ryeru, dji-na, i-ranu, syamunu Ex. : ndao bedji; maisons deux. 

— Panguga i-ryeru ; barres trois. 

— Tsala djinay plumes quatre.

 — Nyengo i-i*anu ; marmites cinq.

 — Mbusa syamunu ; filets six. 

 2° De 7 à 10, les nombres cardinaux sont des noms de la VIIe classe. Ils précèdent le nom qu'ils déterminent. L'accord entre les deux noms est celui de deux noms entre eux. (Voir plus haut). On aura en français : septainede. . . ; huitaine de. . . ; neuvaine de... ; dizaine de. . . ; I-sambwali i. . ., i-nana i. . . , i-fu i. . . , i-gumi i. . 

 Ex. : I-sàmbwali i ba-tu ; septaine de personnes. 

— I-nana i pondzi ; huitaine de paniers. 

— I-fu i ma-sambi ; neuvaine de rasoirs. 

— I-gumi i bi-duba ; dizaine de nasses. 

 3° De 20 à 60, les nombres sont des noms de la VIe classe. Ce sont des « ma-gumi », dizaines, qui en composition s'abrègent en « ma-gu ». Ils suivent les règles d'accord des noms du VIe genre. Puisque ce sont des noms, on ne dira donc pas : vingt, trente, etc. . ., mais: dizaines deux de. . . ; dizaines trois de. . . ; dizaines quatre de. . . , etc. ma-gď ma-beji ma. . . ; magu ma-ryeru ma. . . ; ma-gu ma-па ma... ; etc. Ex. : Ma-gď ma-beji ma ba-koko, dizaines deux de volailles. Ma-gď ma-ryeru ma bi-lumbu, dizaines trois de jours. Ma-gď ma-ranu ma tsongi, dizaines cinq d'aiguilles.

 4° De 70 à 90, comme de 7 à 9, les unités multipliant les dizaines sont des noms. Elles se placent en tète et prennent indifféremment les préfixes du ou i.

 — Elles suivent, avec les dizaines, les règles d'accord des noms entre eux. (Voir plus haut.) On dira donc en français : 

Septaine de dizaines de ... ;

 huitaine de dizaines de: . . ;

 neuvaine de dizaines de. . . 

En pounou : du-sambwali du magumi du, ou bien, i-sambtvali i magumi i ; du- nana du magumi du. . . ; ou bien, i-nana i magumi i; du-fu du magumi du. . . ou bien, i-fu i magumi i. . . Ex. : du sambwalidu magumi du batsoli, ou : i sambwali i magumi i bnlsoli; septaine de dizaines d'oiseaux.  « Kama », centaine, et « toseni », millier, sont des noms de la IIIe classe, à pluriel invariable. Ils en suivent les accords. a) De 100 à 600, de 1000 à 6000 ; centaine une à centaine six, millier un à milliers six, « kama », « toseni » précèdent les unités de centaines et de milliers. (Appliquer la règle des nombres cardinaux, exception b).

 Ex. : Kama bcdji tsi batu\ centaines deux de personnes.

— Kamasya- munu fsibilumbu ; centaines six de jours

. — Toseni i-ryeru tsi ma-loba ; milliers trois de hameçons. Exception : « mosi ».ne prend pas de préfixe ; kama mosi i miri, centaine une d'arbres.

 b) De 700 à 900, de 7000 à 9000, on dira : septaine de centaines huitaine de centaines, etc. . . , septaine de milliers, etc. . . On applique la règle des nombres' cardinaux,

- 2°. Ex. : I-sambwali i kama i mamani, septaine de centaines de pierres, ou : du-sambwali du kamadu mamani. - í-fu i toseni i ba-tsongo; neuvaine de milliers de pointes; ou : du-fu du toseni du batsongo

 Remarque.

 — On pourrait poursuivre 10.000 et plus,- d'après les mêmes règles ; mais l'indigène n'emploie jamais de nombres si élevés. 6° Quand 10, 100, 1000, ou leurs multiples sont suivis d'unités additionnelles, on fait précéder ces unités de « na », avec ; et ces unités s'accordent avec la classe des objets comptés. On devra donc décomposer comme nous l'avons fait plus haut. Ex. : 14 jours : dizaine dejours eteux quatre, i-gumi i bilumbu na bina. 45 billes de bois : dizaine quatre de billes et elles cinq, ma-gď mana ma bibunda na bi-ranu. 75 bâtons : septaine de dizaines de bâtons et eux (bâtons) cinq ; du- sambwali du ma-gumidu ngivangu na i-ranu (ou) na ngwangu i-ranu. 97 personnes : neuvaine de dizaines de personnes et septaine ; du-fu du ma-gumi du batu na i sambwali ibatu. 854 oiseaux : huitaine de centaines d'oiseaux et dizaines cinqs et oiseaux quatre ; du-nana [i-nana] du kama du ba-tsoli na ma-gul ma ranu na ba-tsoli ba^na. 

 Nota; 

— Dans l'énumération pure et simple, comme en français, quand nous comptons : un, deux, trois, quatre, etc. . . , on emploie les nombres cardinaux simples, excepté les six premiers nombres, qui prennent : le préfixe i- pour « mosi » ; « i- » pour les autres nombres. C'est le nom i-ma, plur. bi-ma, objet, qui est sous-entendu et rappelé par ses préfixes. On a donc : i-mosi, 1 ; bi-bedji, 2 ; bi-ryeru, 3 ; bi-na, 4 ; bi-ranu, 5 ; bi-syamunu, 6; i-gumi na bi-ranu, 15 ; mais : ma-guma bedjina i-fu, 29. 

 II. Nombres ordinaux. 

 Voici les dix premiers nombres ordinaux : 
 -lega, premier;
 mu-beji, deuxième ;
 mu-ryeru, troisième ; 
 mu-ina, quatrième; 
 mu-ranu, cinquième ; 
mu-syamunu, sixième ;
mu-sambwali, septième 
mu-папа, huitième
 mu-fu ou mu-if a, neuvième 
 mu-gumi (adject.) ou i-gumi (non), dixième. 

 Principes. 
— 1° Les nombres ordinaux, de deuxième à dixième, sont précédés de mu-. Ils suivent les règles d'accord des adjectifs qualificatifs. (Voir plus haut.) 
 Ex. : I-lumbu i mu-ryeru ; jour le troisième.
 — Така dji mu-ranu ; pas le cinquième
 — Di-kedjidi mu-gumi, ou : di i-gumi ; œuf le dixième
 — Bu-ta bu mu-nana ; fusil le huitième. . Remarque.
 — Les noms des Ire et IIe classes ne répètent pas le mu- du nombre ordinal. Ex. : Mu-geto mu syamunu-; femme sixième. — Mwafi mu-ranu ; martin-pêcheur cinquième.

 2°
 a) Le nombre tega, premier, à l'encontre des autres unités, ne prend pas le préfixe mu-, mais, il suit les règles d'accords des adjectifs tirés des verbes d'état. (Voir plus haut, p. 155.) Ex. : Ми-tu и tega; personne la première. — Ми-kolo и téga ; nuit la première. —
 Ndao dji tega ; case la première. — Du-ngandzi du te'ga, racine. la première. 
 
b) « Dernier » peut se traduire de deux manières : Soit par le nom mu-situ, fin, qui, comme nom, suit l'accord des noms entre eux. (Voir plus haut p. 154.) Ex. : I-lumbu i mu-situ, jour de fin (dernier). Soit par sila, adjectif verbal tiré du verbe u-sita, finir, qui suit les règles propres à ces adjectifs. (Voir plus haut, p. 155.)
 Ex. : I-lumbu isita3 jour le finissant (le dernier). 
 3° A partir des dizaines, les nombres sont empruntés aux nombres cardinaux. Ils se placent après le nom qu'ils déterminent, et suivent les règles d'accord des adjectifs verbaux. (Voir plus haut p. 155.) Ex. : Du-gadji du maguma bedji, feuille la vingtième. Mw-endu и magu1 ma ryeru, voyage le trentième.
 4° Quand les multiples sont suivis d'unités additionnelles, on emploie les unités des nombres cardinaux, jointes parna, et accordées à la classe de la chose dénombrée.
 Ex. : I-lumbu i tsungi i i-gumi na i-nana ; jour de lune le dix et huitaine (le 18e jour).
 — Tsoli dji ma-gumana na bi-ranu ; oiseau le quarantième et cinq (le 45e oiseau). 
 Remarque.
 — Les indigènes n'ont pas l'habitude d'employer des nombres ordinaux élevés. Adverbes ordinaux Les adverbes ordinaux : « premièrement, deuxièmement, troisièmement, etc. . . se traduisent par l'adjectif numéral ordinal précédé de du-. Ils ne sont plus employés à partir de dix. Ex. : Premièrement, du-tega. — Deuxièmement, du-mu-bedji. — Huitièmement, du-mu-nana.

 III. Nombres multiplicatifs.

 1° Les nombres multiplicatifs, rendus en français par « deux fois », « trois fois », etc., en latin par : « bis », « ter », etc., s'expriment, en pounou, par les noms multiplicatifs, suivis du nombre de fois. . . Ces noms sont des pluriels invariables de la 3e classe. Ils se forment des verbes selon les règles exposées plus haut p. 137 et ss. (Voir aussi, p. 146, 3e b.)
 a) de 2 à 6, les numéraux déterminant ces noms de la 3e classe- prennent les formes d'accord prévues pour cette classe (p. 157, exception
 b). Ex. : Ù-fura mfura dji-na, mentir mentis quatre (mentir fois 4). b) de 8 à 10, les nombres étant des noms, ils suivent les règles d'accord données p. 157,
 2°. Ex. : U-rina i-sambwali i tina, fuir septaine de fuites." 2° « Une fois », latin semel. se traduit par le nom di-mosi. Ex. :. U-rina di-mosi, fuir une (fois); 
 3° Tous ces nombres multiplicatifs peuvent aussi se traduire par le nom kumbu, « fois », de la 3e classe. Le nombre est alors un nombre cardinal qui suit les règles ordinaires d'accord des nombres cardinaux avec les noms de la Ve classe (p. 157 et ss., l°à 4°). Mais cette manière d'expression est moins employée pour les nombres de 1 à 10. 
 Ex. : Manduku a ma beruga kumbu mosi, kumbu bedji, kumbu i-rye- ru y ma-gu1 ma bedji ma kumbu, Mandoukou est tombé, fois une; fois deux ; fois trois ; dizaines-deux de fois.

 IV. Nombres distributifs.

Les nombres distributifs sont formés des nombres cardinaux répétés. Ils suivent les principes des nombres cardinaux. (Voir p. 157.)  
 Ex. : Kotanu.u-mos'i u-mosi; entrez un (par) un.
 — Gabanu ma-loba- (sing1. di-) di-rno&t, di-mosi ; distribuez hameçons, un (par) un. — Кара- пи mbamba i-nana inana , magu ma bedji magďma bedji ; kama,kama ; attachez rotins huit (par) huit ; vingt (par) vingt ; cent (par) cent. 

 V. Nombres fractionnaires.

 Les nombres fractionnaires ne déterminent pas des mesures bien précises.
 a) Pour les liquides, « moitié », « demi », se dira di-tingi (plur. ma-). Mu-lingi u ka di-tingi. Dame-jeanne elle est moitié (entamée).
 b) Pour les solides, on emploie « y-asi », « tranche » ; i-buku, « morceau ». Ex. : Tsungi dji ka yasi ; lune elle est tranche (croissant). 
 c) Si on veut déterminer le quart, la moitié, le tiers, le cinquième, etc. , il faut user de périphrases. Prends le quart, pourra se dire : coupe quatre morceaux, prends-en un. Tabula hi-buku bi na, bonga i mosi. Prends les deux cinquièmes : coupe cinq morceaux, prends-en deux. Tabula bi-buku bi řanu, bonga bi bedji, etc.. [A suivre.)  
GRAMMAIRE POUNOU, PAR Le R. P. Joseph BONNEAU, MISSIOIS'NAIHE CATHOLIQUE EN A. E. F.

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ASPECTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE


Tu as raison, Jinn. C'est ce que je pense. Des hommes rationnels ? Les hommes dotés de

un esprit ? Des hommes inspirés par l'intelligence ? Non, ce n'est pas possible. (P. Boulle, 1964 : 128)

Quels sont les aspects majeurs de la philosophie africaine actuelle ? Nous sommes maintenant au-delà de la révolution de Tempels. Cependant, son fantôme est toujours présent. Implicitement ou explicitement, les tendances les plus inspirantes dans le domaine se définissent encore par rapport à Tempels. Un prêtre jésuite africain cultivé en philosophie a écrit récemment que ces Africains qui s'opposent actuellement à Tempels et déprécient le travail de ses disciples en lui conférant la qualification péjorative d'ethnophilosophie sont simplement ingrats envers un homme qui a établi la possibilité de leur philosopher ( Hebga, 1982). En fait, cette affirmation indique un climat post-Tempels et une réorganisation du champ qui manifestent aujourd'hui une nette pluralité de tendances (Sodipo, 1975 ; Maurier, 1976 ; Tshiamalenga, 1981 ; Dieng, 1983). Il est possible de distinguer trois approches principales dans cette nouvelle période. (a) La critique philosophique de l'ethnophilosophie qui découle principalement d'une conférence académique de 1965 donnée par F. Crahay à l'Institut Goethe de Kinshasa sur les conditions d'existence d'une philosophie bantoue. Avec son discours, Crahay a immédiatement imposé une nouvelle orthodoxie sur le terrain. (b) Le courant fondateur qui, depuis les années 1960, de manière délibérée et hypercritique, interroge à la fois les fondements et les représentations des sciences sociales et humaines pour élucider les conditions épistémologiques, frontières idéologiques et procédures de transformation des disciplines. (c) Déconstruction philosophique et herméneutique qui indiquent des voies vers de nouvelles pratiques sur les cultures et les langues africaines.

La critique philosophique de l'ethnophilosophie n'est pas l'envers de l'école de Tempels et Kagame. C'est plutôt ce dernier qui l'a rendu possible et le justifie désormais. C'est un discours politique sur la philosophie qui s'oriente vers un examen des méthodes et des exigences de la pratique de la philosophie en Afrique. En tant que courant, il doit une force convaincante à son statut de discours qui est fermement lié à la fois à la tradition occidentale de la philosophie en tant que discipline scientifique et à ses structures académiques garantissant des pratiques philosophiques valides et institutionnellement acceptées. A ce titre, les critiques de l'ethnophilosophie peuvent être comprises comme subsumant deux genres : une réflexion sur les limites méthodologiques de l'école de Tempels et de Kagame et, d'autre part - à l'autre extrême de ce que représentent les exercices ethnophilosophiques - les pratiques et travaux africains portant sur l'Occident sujets et sujets dans la tradition la plus classique de la philosophie.

Quelle critique de l'ethnophilosphie ?

Comme nous l'avons vu, jusqu'aux années 1960, les anthropologues, les ministres européens et certains ecclésiastiques africains étaient les seuls à proposer des orientations dans le domaine de la philosophie africaine. Cette notion vague traduit le sens de la Weltanschauung, et plus généralement, celui de sagesse pratique et traditionnelle, plutôt que celui d'un système de pensée explicite et critique (Smet, 1980 : 97-108). Une certaine confusion existe dans la mesure où la plupart des hypothèses reflètent, comme dans le cas de l'Homme primitif de Radin comme philosophe (1927), l'autorité de la description ethnographique. Certaines synthèses, comme celles de Frobenius (1893) et Delafosse (1927, 1932), ou encore Tempels (1959), Griaule (1965) et Kagame (1956, I 976), tirent leur nécessité textuelle d'une interprétation de motifs opposés ou intégrer nature et culture pour éclairer ou nier l'existence d'une rationalité régionale. Un autre élément de confusion est l'omniprésence de l'héritage de Lévy-Bruhl. Elle fut longtemps entretenue par les anthropologues, les coloniaux et les missionnaires à travers des notions telles que la conscience collective dans des sociétés fragmentaires, des peuples connaissant encore la simplicité de l'état de nature, des Noirs enfantins incapables de gérer rationnellement leur vie et leurs affaires et, surtout, , les thèmes de la mission civilisatrice et la politique des chrétiens (conversio gentium (Lyons, I 975 : I 23-63 ; Tempels, I 959 : 26-29 ;Taylor, 1963 : 26-27 ; Onyanwu, 1975 : 151).

Dans ce contexte, la notion même de philosophie africaine telle qu'utilisée par Tempels et ses premiers disciples semblait absurde d'un point de vue technique. Considérée comme une clé passe-partout pour une entrée dans les systèmes et modes de vie « indigènes » au sens proposé par Tempels, elle est généralement acceptée comme utile. Cependant, depuis 1945, certains professionnels craignent qu'elle ne conduise à des hérésies intellectuelles, car elle favorise des possibilités de commentaires ambigus sur la rationalité « primitive » (Boelaert, 1946 : 90). De plus, il semble clairement évoquer un processus intellectuel de rotation de l'expérience et des traditions africaines (Sousberghe de, 1951 : 825).

Telles sont quelques-unes des questions centrales que F. Crahay a adressées dans son célèbre discours du 19 mars 1965 à l'intelligentsia de Kinshasa et Conditions d'une Philosophie Bantoue" (1965). Ancien étudiant en lettres classiques, philosophie et psychophysiologie aux universités de Louvain, Paris, et enfin Liège où, en 1954, il reçut un doctorat en philosophie, F. Crahay fut, en années 1960, enseignant la logique et la philosophie moderne européenne à l'université de Lovanium (Kinshasa}, institution catholique créée par l'université de Louvain au milieu des années 1950. Il n'avait aucun intérêt à s'opposer au double projet de Tempel : guider les colonisateurs vers « l'âme africaine » et pour stimuler des études ethnographiques originales, au contraire, il respecte le projet, sa praticité et sa sympathie (Crahay, 1965 : 61-65).

A prendre ce livre pour ce qu'il voulait être au premier chef-une sorte de guide vers l'ame bantoue ... -on devrait se borner a lui reprocher sans trop d'insistance, son titre. A le prendre pour ce qu'il souhaitait etre par sucroit-une incitation a des etudes systematiques dans la direction indiquée- on aurait encore mauvaise grace a lui faire grief d'etre incomplet,

souvent trop general et, sur quelques points de detail. contestable ... A travers le double propos du livre on ne peut manquer de rendre hommage a l'oeuvre d'agissante sympathie avec laquelle ii temoigne.

L'intervention de Crahay est une leçon philosophique qui ne prétend clarifier la confusion qui entoure la notion même de « philosophie bantoue » en évaluant le livre de Tempels et en déterminant les conditions de possibilité d'une pratique rigoureuse de la philosophie en Afrique.

Ainsi, il ne remet pas en cause la pertinence, ni l'utilité de la description par Tempels d'une Weltanschauung bantoue centrée sur l'idée de force vitale, mais interroge plutôt trois faiblesses de l'entreprise :

1. le titre du livre qui repose sur une confusion intellectuelle de vecu

et reflexif, le sens vulgaire de la philosophie et sa signification professionnelle ;

2. le mélange de ces différences tout au long du livre, même lorsque Tempels traite de notions aussi spécifiques que la métaphysique, l'ontologie et la psychologie ;

3. le flou de la terminologie philosophique de Tempels conduit par conséquent à suspecter la validité d'un grand nombre de ses propos (Crahay, 1965 : 63).

Afin de délimiter les frontières d'une discussion professionnelle, Crahay propose une définition de la philosophie. La philosophie est une réflexion présentant des caractères précis : elle est « explicite, analytique, radicalement critique et autocritique, systématique au moins en principe et néanmoins ouverte, portant sur l'expérience, ses conditions humaines, ses significations ainsi que les valeurs qu'elle révèle » (1965 : 63). D'une manière négative, ce qu'implique cette compréhension de la discipline, c'est qu'il n'y a pas de philosophie implicite, ni de philosophie intuitive ou, immédiate ; que le langage philosophique n'est pas un langage de l'expérience mais un langage sur l'expérience. Partant de cette prémisse, ce que Tempels décrit n'est pas, à proprement parler, une philosophie. Dans la mesure où son langage témoigne et commente l'expérience, il ne signifie que la possibilité d'une réflexion philosophique. En tout cas, le livre de Tempels semble, au mieux, une rationalisation d'une Weltanschauung (Crahay, 1965 : 64-65) :

une vision du monde, pour autant qu'elle s'exprime, nous pouvons dire qu'elle est Jangage du vecu, language de l'experience (collant a une certaine

experience), langage de vie ou d'action, poetique ou non, et de toute maniere, charge de symboles; qu'elle est langage immédiat, non critique; que rien ne l'empeche d'être rhapsodique et, jusqu'à un certain point, irrationnelle (Crahay, 1965 : 64-65).

Le problème de Tempels et de ses disciples est d'ordre méthodologique : la confusion dans laquelle ils se livrent en ne distinguant pas une « vision du monde », ses potentialités réflexives, et la pratique philosophique qui peut les travailler. Crahay n'hésite donc pas à affirmer qu'à moins de chercher à aveugler et à mystifier, il n'existe pas à ce jour de philosophie africaine (Crahay, 1965 : 68) :

Palons net: si !'on ne veut pas compromettre, en Afrique, le projet meme de la philosophie, confondre l'emploi informe de ce terme avec son emploi distrait, reduire la philosophie a une simple vision du monde, ii faut bien avouer qu 'il n'existe pas, a ce jour, de philosophie bantoue. Ce qui existe, certes, c'est une vision du monde propre aux Bantous cohesive et originale, noyau d'une sagesse. Moyennant un ensemble de circonstances favorables, elle eut pu, jadis, générer une philosophie proprement dite.

La philosophie en tant que pratique intellectuelle est différente en nature de la Weltanschauung et radicalement différente des descriptions ethnographiques paraphrasant une tradition, sa sagesse et sa richesse linguistique. Or la philosophie concerne l'expérience des humains, bien qu'elle ne puisse lui être assimilée : la philosophie porte sur l'expérience, reflète l'expérience mais coïncide avec l'expérience. Et pour la promotion de la philosophie en Afrique, Crahay propose cinq conditions déterminant la possibilité d'un décollage conceptuel :

1. l'existence d'un corps de philosophes africains vivant et travaillant dans un milieu culturel intellectuellement stimulant et résolument ouvert sur le monde ;

2. un bon et critique usage des réflecteurs philosophiques qui, par la patience de la discipline, actualiseraient en Afrique une inspiration interculturelle semblable aux exemples des Arabes médiévaux héritant du système d'Aristote et le repenseant, et des scolastiques européens dépendant alors de l'héritage de l'Arabe ;

3. un inventaire sélectif et flexible des valeurs africaines - qu'il s'agisse d'attitudes, de catégories ou de symboles - qui donnerait peut-être un penser au sens récemment proposé par l'herméneutique de P. Ricoeur, ou en tout cas, permettrait de l'Afrique s'aventure comme celle de Spinoza à reconstruire une philosophie morale et politique sur une lecture critique de la tradition juive ;

4. une nette dissociation de la conscience réflexive de la conscience mythique qui impliquera et, en tout cas, amplifiera des contrastes majeurs : sujet versus objet ; moi contre l'autre; nature contre surnature ; sensible versus métaphysique, etc.

5. un examen des principales tentations des intellectuels africains. D'une part, l'idéologie du court-circuit qui, par exemple, rend compte de choix de systèmes philosophiques apparemment conformes aux urgences africaines, comme dans le cas du marxisme. D'autre part, les implications d'un culte omniprésent de l'altérité qui pourrait devenir une fin en soi à travers ses objectifs tout à fait respectables : affirmer une originalité et une altérité africaine, restaurer et réinterpréter un passé, une tradition, une culture ; enfin, revendiquer le droit à un avenir à l'image de la personnalité africaine.

En somme, dans la critique de Crahay, la philosophie tire son privilège d'une tradition scientifique. On pourrait débattre de la validité de la définition, et donc des implications, proposées comme conditions de possibilité d'une future et réelle philosophie bantoue (voir Tshiamalenga, 1977a). Par conséquent, la véritable contrepartie de La leçon de philosophie de Crahay est à voir dans sa propre reproduction et le débat qu'elle a initié. En tout cas, la dichotomie formulée qui établit l'opposition entre philosophie et non-philosophie comme condition préalable et nécessaire du philosopher coïncide une fois pour toutes avec une mutation historique dans la brève histoire de la philosophie africaine (Ruch, 1974 ; Maurier, 1976 ; Tshiamalenga, 1977a, 1981; Yai, 1977). Trois philosophes africains-F. Eboussi-Boulaga (Cameroun), M. Towa (Cameroun) et P. Hountondji (Bénin)-se chargent d'achever la mutation en orientant le débat vers deux enjeux principaux : comment et pourquoi la question même de la possibilité de une philosophie africaine peut et doit être justifiée. Qu'est-ce que la philosophie peut et ne peut pas permettre exactement ?

Eboussi-Boulaga, dans un texte (1968) qui n'a pas plu au Comité de Présence Africaine (voir NDLR du Bantou Problématique d'Eboussi-Boulaga, 1968 : 4-40), s'attarde sur la philosophie bantoue. Il commente d'abord la pauvreté de la méthode de Tempels qui, parce qu'elle n'est pas confrontée au problème de sa propre origine (à savoir, comment l'anthropologie peut-elle être une source ou un fondement de la philosophie ?), se définit comme une technique de transcription de valeurs exprimant à lui-même ce qui est fondamentalement inexprimable (Eboussi-Boulaga, 1968 : 9-10). Dans un second temps, Eboussi Boulaga développe une analyse de l'œuvre de Tempels, en mettant l'accent sur l'ambiguïté de l'hypothèse ontologique qui selon lui réduit finalement le Muntu à la primitivité d'un ordre de forces amoral et absolument déterminant (Eboussi Boulaga, 1968 : 19-20) . Enfin, Eboussi-Boulaga met en avant les contradictions socio-historiques du traité de Tempels à partir de la question radicale de Césaire (1972 : 37-39) : pourquoi ce livre a-t-il été possible et comment interpréter la similitude structurelle entre le simulacre d'une hiérarchie ontologique et la hiérarchie socio-économique dans l'expérience coloniale ? (Eboussi-Boulaga, 1968 : 24-25). Marcien Towa, dans deux fascicules complémentaires (1971a, 1971b), à travers une évaluation générale des travaux de Tempels (1959), Kagame (1956), N'Daw (1966) et Fouda (1967), relie la critique de l'ethnophilosophie à l'ambivalence politique de la Négritude. (Towa, 1971 b : 24-25). Selon lui, les seuls résultats apportés par le courant ethnophilosophique sont deux réalisations controversées : une distinction terminologique douteuse entre les produits européens et africains au sein d'un domaine de la philosophie ambiguë élargi, et une confusion entre les arrangements anthropologiques d'ensembles de croyances, de mythes et de rites. , et, d'autre part, la métaphysique. A ce titre, l'ethnophilosophie doit être considérée comme une idéologie dont la méthodologie trahit à la fois la philosophie et l'anthropologie.

Ce que l'ethnophilosophie valorise dans le passe. n'est pas en fait nécessairement imposer par la considération du passe. La retro-jection, c'est le procede par lequel ii altere et defigure la realite traditionnelle en y introduisant secretement des le stade descriptif, des valeurs et des idees

actuelles pouvant etre tout a fait etrangeres a l'Afrique, pour Jes retrouver au

stade de la profession de foi militante, "authentifiés en vertu de leur prétendue africanité". (Towa, 1971b : 32)

La seconde phase de la critique philosophique de l'ethnophilosophie débute avec les articles militants de Hountondji qui ont fortement internationalisé le débat en paraissant très régulièrement dans une grande variété de revues et publications professionnelles prestigieuses à partir des années 1970 : Présence Africaine (Paris, 1967, 61), Humanisme africain-Culture scandinave : un dialogue (Copenhague, 1970), Éludes philosophiques (Paris, 1970, 1), Diogène (Paris, 1970, 71 ; 1973, 84), La Philosophie Contemporaine (Firenze, 1971, vol. IV, R . Klibansky éd.),  Cahiers Philosophiques Africains (Lubumbashi, 1972, l; 1974, 3-4), Conséquence (Cotonou, I 974, I), etc. Il en réunit finalement certains dans un livre Sur la Philosophie Africaine (1977; version anglaise, I 983 ) qui, depuis sa parution, est devenue la « bible » des anti-ethnophiles. La fabuleuse autorité intellectuelle de Hountondji, du moins dans les pays francophones, tient à plusieurs facteurs. L'un d'eux est qu'il est un ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm à Paris, l'une des écoles les plus select et les plus prestigieuses au monde, qui en philosophie a produit des penseurs modernes tels que Merleau-Ponty, Sartre, Aron, Althusser, qui ont influencé ou révolutionné le domaine. Deuxièmement, son agrégation de philosophie lui confère un pouvoir-connaissance indubitable : en France comme dans tous les pays francophones, les agrégateurs sont généralement considérés comme les plus brillants des meilleurs des concurrents intellectuels. Enfin, on pourrait aussi penser que la carrière d'enseignant et d'universitaire de Hountondji au Bénin, en Allemagne de l'Ouest, en France et en Zélande ainsi que ses responsabilités dans des institutions philosophiques internationales ont énormément contribué à la diffusion de ses idées. Néanmoins, il n'est que juste de dire que l'éclat de ses textes, la solidité de son raisonnement et la pertinence de ses arguments constituent probablement le véritable facteur de réussite de sa critique contre l'ethnophilosophie.

La position de Hountiondji peut être décrite à partir de deux points : d'une part, ses deux raisons principales de rejet de l'ethnophilosophie ; de l'autre, deux autres raisons de critiquer et d'améliorer la leçon de Crahay. Examinons la première série de raisons. (a) L'ethnophilosophie est une interprétation imaginaire, semblable à un ivrogne, qui n'est jamais appuyée par aucune autorité textuelle et dépend totalement des caprices de l'interprète. Elle prétend traduire un texte culturel inexistant et son œuvre même ignore sa propre activité créatrice et donc sa propre liberté. Dès lors, on peut dire que l'imagination ethnophilosophique s'interdit a priori d'atteindre toute vérité, puisque la vérité présuppose que la liberté s'appuie sur un ordre non imaginaire et soit consciente à la fois de l'évidence d'un ordre positif et de sa propre marge de créativité. (b) Si les institutions occidentales ont valorisé l'ethnophilosophie, c'est, selon Hountondji, en raison d'un biais ethnocentrique. Quand, par exemple, des notables comme G. Bachelard,

A. Camus, L. Lavelle, J. Wahl, J. Howlett, ou G. Marcel acclament volontiers la philosophie bantoue (voir Présence Africaine, 1949, 7), cela signifie qu'en raison des normes internationales actuelles ils accepteraient n'importe quoi (n 'importe quoi, le premier ouvrage venu, Hountondji, 1970) à condition qu'il offre un regard sympathique sur les Africains, même si, ce faisant, ils se mettent en totale contradiction avec les implications théoriques de leur propre pratique philosophique. Quant à la critique en deux points par Hountondji de la leçon de Crahay, elle porte sur la notion de décollage conceptuel et sur la destination du discours philosophique. (a) Pour Hountondji, la notion de décollage conceptuel n'a pas de sens comme condition générale d'existence d'une philosophie africaine. Il affirme que dans toutes les civilisations un décollage conceptuel est toujours déjà accompli même lorsque les acteurs humains utilisent ou intègrent des séquences mythiques dans leur discours. On pourrait, en vertu de cette caractéristique, comparer les discours de Parménide à ceux de Confucius, Platon, Hegel, Nietzsche ou Kagame. (b) Enfin, Hountondji estime que Crahay a complètement raté un point majeur : la destination du discours. Il insiste à juste titre sur le fait qu'elle soit mythique ou idéologique, la langue évolue dans un environnement social, développant sa propre histoire (Hountondji, 1970 ; 1983). De ce point de vue, Hountondji soutient que Mulago, Kagame et la plupart des ethnophilosophes sont

certes des philosophes dans la mesure où ils peuvent reconnaître que leurs propres textes sont philosophiques, mais ils se trompent totalement lorsqu'ils prétendent restaurer une philosophie traditionnelle africaine. Il écrit : « nous avons produit une définition radicalement nouvelle de la philosophie africaine, le critère étant l'origine géographique des auteurs plutôt qu'une prétendue spécificité de contenu. Cela a pour effet d'élargir l'horizon étroit qui a jusqu'ici été imposé à la philosophie africaine. et de la traiter, telle qu'elle est conçue aujourd'hui, comme une enquête méthodique ayant les mêmes buts universels que ceux de n'importe quelle autre philosophie dans le monde » (Hountondji, 1983 : 66).

La critique de Hountondji montre la supériorité d'une conception critique de

philosophie. Disciple de Canguilhem et d'Althusser, Hountondji aborde les pratiques philosophiques africaines d'un point de vue strictement normatif. Sa philosophie semble impliquer une thèse controversée pour beaucoup : que, jusqu'à présent, l'Afrique n'a pas philosophé et que dans son passé il n'y a rien qui puisse raisonnablement être qualifié de philosophique (Koffi, 1976 ; Yai, 1977 ; Tshiamalenga, I 977a, Laleye, 1982). D'autre part, il est important de noter que pour Hountondji, la philosophie doit être comprise comme métaphilosophie, c'est-à-dire comme « une réflexion philosophique sur un discours qui [est lui-même] ouvertement et consciemment philosophique ».

Les textes de Hountondji ont suscité dans toute l'Afrique un vif débat sur ce qu'est la philosophie africaine. Généralement stimulantes (Ruch, 1974 ; Odera, 1974 ; Sumner, 1980), parfois un peu trop rauques (Yai, 1977 ; Koffi, 1977), les critiques des positions de Towa et Hountondji s'attardent sur trois problèmes principaux. La première porte sur la validité et le sens de la question : existe-t-il une philosophie africaine ? A cela Yai répond par une autre question : « quelle est la source de cette enquête ? Qui, dans des moments comme ceux-ci, s'arroge le droit de poser une question qui ne peut être innocente qu'en apparence ? (Yai, 1977 : 6). Le deuxième problème concerne la réduction de la philosophie par Hountondji à un corps de textes explicitement auto-définis comme étant de nature philosophique. Et le dernier concerne la relation nécessaire entre l'émergence de philosophes individuels et l'existence de la philosophie. A travers ces problèmes, on obtient facilement deux reproches violents envers Towa et Hountondji, mais d'une manière particulière contre ce dernier : l'élitisme et la dépendance occidentale. C'est une opposition presque guerrière à tous les intellectuels africains « agrégés par le conclave du sacré collège des agrégés et docteurs en philosophie » (Koffi et Abdou, 1980). Selon Yai, les tenants de ce qu'il qualifie de philosophie spéculative sont « des jeunes Turcs qui ont plusieurs points communs avec les jeunes hégéliens fustigés par Marx dans L'idéologie allemande » (Yai, 1977 : 4) qui « trouvent dans toutes les discussions antérieures à leurs propres, rien que des mythologies" (Yai, I 977 : 4). C'est une « élite par définition » qui est devenue « l'élite des élites, un piédestal dont on se garde bien de descendre dans un but aussi humble que la recherche empirique parmi les masses » (Yai, 1977 : 16). En tout cas, selon Koffi et Abdou, cette élite représente le néo-colonialisme ( I 980 : 192).

Dans un numéro spécial de Recherches Philosophiques A.fricaines (1977, I) sur l'Afrique  Philosophie, membres de l'Ecole de Kinshasa-Mutuza, Smet, Tshibangu-wa Mulumba et Tshiamalenga- parviennent de façon élégante à un compromis provisoire mais organique entre l'héritage de Tempels et les exigences critiques de la pratique de la philosophie africaine. Tshiamalenga (1977a), par exemple, rejoint Crahay et Hountondji sur les erreurs méthodologiques de l'ethnophilosophie, notamment sur l'absurdité de parler de philosophie collective implicite. D'autre part, il signale les caractères dogmatiques et idéalisants de la conception de la philosophie de Crahay, Towa et Hountondji qui, même au sein de la L'expérience philosophique occidentale ne correspond vraiment à aucune pratique historiquement attestée (Tshiamalenga, 1977a). A partir de ces positions, Tshiamalenga se distingue au sein de la philosophie africaine des deux domaines. L'une est celle de la philosophie traditionnelle négro-africaine constituée d'énoncés explicites de la tradition orale (mythes cosmologiques et religieux, proverbes didactiques, maximes, apothegmes, etc.) sur ce qu'est la société humaine, le sens de la vie, de la mort et de l'au-delà. L'autre est celui de la philosophie africaine contemporaine, c'est-à-dire l'ensemble des recherches signées sur des sujets similaires utilisant une interprétation de la philosophie traditionnelle ou jaillissant d'une réflexion sur la condition contemporaine de l'Africain ( Tshiamalenga, 1977a : 46). Dans le même numéro, Smet résout les oppositions méthodologiques et idéologiques entre l'ethnophilosophie et ses détracteurs en termes de complémentarité diachronique des écoles (Smet, 1977a ; voir aussi, Elungu, 1978a). Un an plus tard, Elungu explicite la proposition de Smet en précisant trois courants historiques (Elungu, 1978b) : une philosophie anthropologique ou ethnophilosophie ; une philosophie idéologique ou politique - deux courants qui dans une générosité mythique ou nationaliste ont contribué à la promotion de la dignité africaine et de l'indépendance politique - et, enfin, un courant post-indépendance : le courant critique qui - avec Crahay, Hountondji, et d'autres - exige une réflexion rigoureuse sur les conditions de la philosophie ainsi que sur celles des individus et des sociétés existantes (voir aussi Wiredu, 1977 ; Mudimbe, 1983b).

A l'autre extrême de l'ethnophilosophie et de ses critiques, on note des ouvrages qui n'ont ni la forme d'exégèses anthropologiques, ni le vocabulaire anti-ethnophilosophique à la mode. Non seulement ils s'inscrivent fidèlement dans le plus pur courant dominant de la philosophia perennis mais parfois de sujets occidentaux occidentaux. De nombreux docteurs en philosophie, doctorats ou masters présentés dans les universités européennes par de jeunes universitaires - j'ajouterai qu'un très grand nombre d'entre eux en ce qui concerne la France et ses anciennes dépendances africaines - en témoignent. Ils pointent du doigt « l'historicité universelle de l'Occident » et la grandeur d'une méthode royale. On peut sûrement commencer par se référer à la philosophie appliquée comme, par exemple, illustré par le genre d'article qu'Aguolu a publié sur "John Dewey's Democratic Conception and Its Implication for Developing Countries" (Aguolu, 1975), et plus récemment l'article subtil de Ngoma sur « Verbe et substantif de l'être » (Ngoma, I 98 I), ou encore aux publications annuelles du Département de philosophie de Kinshasa (Za1e) dont les références majeures coïncident fortuitement mais heureusement avec l'orthodoxie Il serait également possible de faire allusion à la magnifique philosophie britannique et à une culture africaine de Wiredu (1980) qui, entre autres choses passionnantes, nous enseigne comment « c'est un fait que l'Afrique est à la traîne de l'Occident dans la culture de l'enquête rationnelle » ( Wiredu, 1980 : 43) et indique que « le moyen idéal pour réformer les coutumes arriérées en Afrique doit, assurément, être de saper leur fondement dans la sup erstition en encourageant chez les gens... Wiredu, 1980 : 45).

Il existe cependant dans ce domaine particulier une entreprise orthodoxe et purement spéculative tout à fait remarquable. Le brillant essai de Bodunrin sur « L'alogicalité de l'immortalité » (1975) et « Logique et ontologie » de Wiredu (1973) pourrait être considéré comme des modèles paradigmatiques. En termes de contributions volumineuses, je peux suggérer trois modèles : l'étude systématique d'Elungu sur le concept d'étendue dans la pensée de Malebranche (1973b), le beau livre d'Ugirashebuja sur le dialogue et la poésie selon Heidegger (1977) ) et les recherches approfondies de Ngindu sur leproblème philosophique du savoir religieux dans la pensée de Lanberthonnière (1978). Comment justifier ces options ? La question, j'en ai peur, n'a pas de sens, car il est très difficile de trouver des moyens décisifs qui permettraient des tests crédibles de l'esprit des auteurs. D'ailleurs, une réponse possible semblerait assez triviale : le contexte social et intellectuel dans lequel ces philosophes se sont développés pourrait expliquer leurs choix (Sodipo, 1975 : 121), comme ce serait le cas pour des cas aussi notoires du XVIIIe siècle que la carrière intellectuelle de l'Africain AG Arno. dans ce qui n'était pas encore l'Allemagne, et ses hypothèses sur De Humana lvfentis Apatheia (I 734), Tractatus de Arte Sobrie et Accurate Philosophandi (1738), et le De Jure Maurorum perdu en Europe (1729) ; ou l'autre cas, tout à fait scandaleux, de Jacobus Capitein, un Africain, qui fit et dévoila publiquement une étude remarquable à l'Université de Leiden aux Pays-Bas sur l'opposition inexistante entre esclavage et liberté chrétienne : De Servitude, Libertati Christianae non Contraria (1742 ). En tout cas, nos étudiants contemporains de philosophia perennis peuvent aussi être troublants. On est sûrement interloqué quand, dans ces types d'analyses très classiques, sous couvert de déduction logique, on rencontre des présupposés sur l'altérité africaine. Ainsi, par exemple, c'est une surprise de suivre Ugirashebuja découvrir dans l'écriture de Heidegger la langue des banyarwandas comme signe d'être et sa nomination, et d'entendre à travers le texte du philosophe rwandais Heidegger nous inviter tous - Occidentaux, Africains, Asiatiques - à écouter d'être dans notre langue respective ! (Voir Ugirashebuja, 1977 : 227 ; Dirven, 1978 : 101-6.) l'impérialisme culturel" en Afrique et sa force épistémologique de réduction (Ngindu, I 978 : I 9).

De cette frontière extrême, que l'on aurait pu penser comme totalement étrangère à la culture africaine ou simplement comme un espace marginal mais puissant où s'élaborent seules des manières de domestiquer l'expérience africaine, surgissent des lapsus et des murmures proches des rêves ethnophilosophiques. . En revanche, il n'est pas du tout certain, comme l'a démontré l'Ecole de Kinshasa, que Hountondji et ses confrères anti-ethnophiles soient des démons néo-colonialistes empêchant les gens de célébrer leur altérité. Ses réponses aux critiques (Huntondji, 1980, 1981, 1982), assez étrangement, reflètent un imaginaire philosophique et nationaliste bien équilibré : « comme disait à juste titre Gramsci, seule la vérité est révolutionnaire » (Huntondji, 1982 : 67).

Foundations

Le courant ethnophilosophique et l'école critique convergent tous deux sur une chose. Ils s'accordent par leur opposition même à l'existence de la philosophie comme exercice et discipline en Afrique. Considérée dans son expression organique, cette pratique peut être décrite sous au moins quatre angles différents : l'héritage éthiopien, la solidité d'une tradition empiriste dans les pays anglophones, le fondement épistémologique d'un discours africain en sciences sociales et humaines, et l'universalisme marxiste.

La brève présentation que j'ai faite des éditions Sumner des textes éthiopiens a montré la situation particulière de la tradition éthiopienne dont le christianisme remonte au IVe siècle. Les arguments intellectuels, les commentaires théologiques et politiques et les traductions ont depuis lors été une tâche appréciée pour les moines savants et les savants. Au fil des siècles, une philosophie a pris forme et, selon Sumner, Le Livre des philosophes sages (voir Sumner, 1974) et Le Traité de Zar'a Yacob (Sumner, 1976) en sont de bons exemples. La première « se présente comme la quintessence de ce que divers philosophes ont dit sur un certain nombre de sujets, pour la plupart éthiques (Sumner, 1974 : 100). Ainsi la philosophie, falasfa, est comprise principalement comme étant une sagesse qui comprend à la fois une connaissance de l'univers et du but de l'homme dans la vie. Des maximes adaptées du grec, de l'égyptien ou de l'arabe ou à venir, comme dans le cas de nombreux proverbes numériques, des racines éthiopiennes, guident l'auditeur ou le lecteur sur des sujets tels que la matière, la physiologie humaine et la psychologie, la dimension sociale de l'homme et les préoccupations morales (Sumner, 1974 : chapitre 9-13). Le Traité de Zar'a Yacob présente également des propositions sur des questions morales (Sumner, 1983) et des conseils sur la connaissance. Pourtant, c'est un signe important qui suggère un regard critique sur la culture éthiopienne du XVIIe siècle au point que

A. Baumstark l'a comparé aux « Confessions d'un compatriote africain, saint Augustin » (In Sumner, 1978 : 5). La méthode de Zar'a Yacob est décidément nouvelle : elle pose la lumière de la raison comme « critère discriminant entre ce qui est de Dieu et ce qui est des hommes » et peut être comparée à l'idée claire de Descartes (Sumner, 1978 : 70-71) .

Un autre angle du fondement de la pratique philosophique africaine est la solidité de la méthode empiriste dans les pays anglophones. Leurs universités et départements de philosophie sont généralement plus anciens que ceux d'Afrique francophone, et le corps professoral semble plus mature. Van Parys (1981 : 386) après avoir visité vingt pays ayant des départements de philosophie, a noté dans sa synthèse évaluative que « !es institutions des pays anglophones paraissent plus solides dans leurs traditions deja eprouvees, mieux organisées. Elles ont des bibliotheques plus fournies, !es publications y sont plus regulieres, !es corps professoraux nationaux plus etoffes et plus murs." De manière plus évidente, la qualité des articles de Second Order et de son programme préserve clairement un sens de l'héritage académique. Un journal bi-annuel, Second Order, déclare sur son édition couvre:

son objectif est de publier des travaux philosophiques de première classe de toutes sortes, mais il est particulièrement soucieux d'encourager la philosophie avec une référence particulière au contexte africain. Bien que les initiateurs appartiennent à la tradition anglo-saxonne de la philosophie, ils voient comme leur devoir d'interpréter leur sujet assez largement : considérer les frontières interdisciplinaires comme faites pour l'homme, pas l'homme pour eux, et surveiller les points de croissance dans leur sujet en s'appliquant à de nouveaux problèmes.

L'élégant livre de K. Wiredu (1980) est un bon exemple de cette ambition. En fait, ce qui précise la configuration de cette pratique empiriste, c'est la relation très étroite qui existe entre les philosophes anglo-saxons et leurs collègues africains. Par exemple, D. Emmet (Cambridge), E. Gellner (Cambridge), DW Hamilyn (Londres), R. Harre (Oxford), R. Horton (lfe), D. Hudson (Exeter), S. Lukes (Oxford) , JJ MacIntosh (Calgary), A. MacIntyre (Brandeis) et d'autres siègent au conseil des consultants de Second Order. En termes d'enseignement et de recherche en philosophie, la discipline est acceptée comme un acquis et, en même temps, clairement distinguée des départements des religions africaines ou de la sociologie.

Quelques cas éclaireront la tâche africaine de fonder un terrain épistémologique pour un nouveau discours : le débat sur la théologie africaine, la discussion sur les limites de l'anthropologie, et la doctrine de la déconstruction en philosophie. Le débat sur la théologie africaine a eu lieu en 1960 (Tshibangu et Vanneste, 1960). L'origine était une discussion publique entre A. Vanneste, doyen de l'École de théologie de l'Université Lovanium et l'un de ses anciens étudiants, T. Tshibangu, qui devint par la suite l'évêque auxiliaire catholique de l'archidiocèse de Kinshasa et recteur de l'Université. Lorsque l'université a été nationalisée en 1971 par le gouvernement Mobutu, Mgr Tshibangu est devenu président de l'Université nationale de Za1e. Le débat porte sur la possibilité d'une théologie scientifique chrétienne africaine. D'un côté, Tshibangu a invoqué que dans les conditions actuelles du monde, il est logique de promouvoir la faisabilité d'une théologie chrétienne d'orientation africaine qui aura épistémologiquement le même statut que les théologies judéo-chrétienne, orientale et occidentale. De l'autre, le doyen Vanneste qui, bien que croyant à l'avenir de la théologie chrétienne en Afrique, insistait sur les exigences de la théologie entendue dans son sens culturel très strict et la définissant comme une discipline universelle (voir Nsoki, I 973 ; Mudimbe, 1981 ; Ngindu, I 968, 1979 ; Tshibangu. 1974).

Il s'agit d'une question de légitimation d'une enquête exploratoire : comment concilier une foi universelle (le christianisme) et une culture (africaine) au sein d'une discipline scientifique (la théologie) qui est épistémologiquement et culturellement marquée (Tshibangu et Vanneste, 1960 : 333-52). Des savants européens et africains dans un désordre fabuleux ont pris position pour ou contre la thèse de Tshibangu ou de Vanneste. Parmi les plus notables je citerai J. Danielou, A. M. Henry, H. Maurier, V. Mulago, Ch. Nyamiti, A. Janon et G. Thils (voir Bimwenyi, 1981 ; Mudimbe, 1981). En somme, le débat a aussi remis en question indirectement des contributions aussi importantes que l'analyse philologique d'Atal du prologue de Jean (1973), la synthèse de Kinyongo sur le sens de Jhwh (1970), l'étude sémantique de Monsengwo sur la Bible (1973) et les livres de Ntendika sur la philosophie patristique et théologie (1966, 1980). Mais le problème, de facto, peut être étendu à toutes les sciences sociales et humaines - et a été élargi comme problème à la fois épistémologique et politique par la deuxième réunion philosophique de Kinshasa des philosophes zaléens en 1977 (voir aussi Adotevi, 1972 ; Bimwenyi, 1981 ; Buakasa, 1978 ; Mudimbe, 1974, 1982b ; Sow, 1977, 1978). Grâce à une filiation épistémologique provisoirement identique, tous les africanistes - Occidentaux ou Africains - peuvent, en principe, se référer à la même langue malgré leur ethnocentrisme et leurs idiosyncrasies. Nous avons vu que le discours anthropologique était un discours idéologique. Le discours africain contemporain sur la théologie ou sur les sciences sociales est aussi dans la même veine idéologique. Discours du pouvoir politique, il repose souvent sur le même type d'idéologies (Hauser, 1982 ; Elungu, 1979).

Gutkind note que « l'intensification réelle du contrôle capitaliste sur les moyens de production en Afrique réduit de plus en plus des sections de la population à un prolétariat rural ou urbain sans terre dans la vie duquel les traditions ancestrales, aussi modifiées soient-elles, ne signifient plus rien » (MacGaffey, 1981). J'ajouterais que cela a une autre signification pour l'analyse marxiste. De larges pans du peuple africain n'ont rien à voir avec les organisations actuelles du pouvoir économique et politique dans leur propre pays, ni avec les projets des intellectuels et des universités de lier l'expérience occidentale au contexte africain. C'est sur le fait de ce scandale qu'aussi bien les marxistes africains que les « déconstructionnistes » - et ces derniers coïncident avec le courant anti ethnophilosophique - fondent leurs arguments. Pour Towa (1971) l'entreprise critique est une vocation totale. L'« esprit critique » doit s'appliquer indistinctement aux impératifs intellectuels européens comme aux constructions africaines, la seule « vérité » acceptable étant qu'il n'y a rien de sacré que la philosophie ne puisse interroger (Towa, 1971 : 30). Hountondji va plus loin, expliquant que la philosophie est essentiellement histoire et non système, et donc, il n'y a pas une doctrine qui puisse s'identifier avec la vérité de manière absolue. La meilleure compréhension de ce qu'est la vérité réside dans le processus de sa recherche. Ainsi, « la vérité est, en quelque sorte, le mouvement par lequel nous enoncons des propositions en demandant de les justifier et de les fonder » (1977 : 82). Des positions philosophiques similaires ont permis à Th. Obenga pour « réécrire » les relations culturelles qui existaient entre l'Égypte et l'Afrique noire. Dans la foulée, il critique les thèses européennes et pointe aussi les faiblesses méthodologiques de Cheikh Anta Diop. J. Ki-Zerbo (1972) a publié son histoire générale de l'Afrique, générant de nouveaux moyens de penser la diversité des fonctions des cultures africaines.

Toutes les sciences sociales et humaines ont vécu cette expérience radicale entre 1960 et 1980. Fondamentalement, elle repose sur le « droit à la vérité » et implique jusqu'ici une nouvelle analyse de trois paradigmes : idéal philosophique versus détermination contextuelle, autorité scientifique versus sociologie. -pouvoir politique, et objectivité scientifique versus subjectivité culturelle. Pourtant, on pourrait découvrir des signes qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont signifié la possibilité de nouvelles théories dans le domaine africain. Les théoriciens européens semblent donc inverser certaines valeurs des sciences coloniales et analyser l'expérience africaine dans une perspective qui institutionnalise progressivement les thèmes de la détermination contextuelle et de la subjectivité culturelle. Dans les années 1950, J. Vansina et Y. Person envisagent un nouvel agencement du passé africain, interprétant les légendes, les fables et les traditions orales comme des « textes » et des « documents », qui, à l'aide de données archéologiques, pourraient contribuer à la fondation de une "Ethno-Histoire" (Vansina, 1961), discipline alliant histoire et anthropologie. G. Balandier écrira les premiers livres de « sociologie africaine ». De plus, avec son « anthropologie dynamique », il réorganise la discipline et décrit l'« objet » traditionnel de l'anthropologie, le « natif », comme le seul « sujet » possible pour sa propre modernisation. Dans le domaine psychologique, des personnalités comme A. Ombredane (1969) ont réexaminé, sur une base régionale, les hypothèses sur la psychologie et l'intelligence des Noirs. Plus récemment, Frantz Crahay (I 965), a confronté l'héritage de Tempels, les généralisations de J. Jahn sur la culture africaine et les limites de la philosophie de Nkrumah, et a exposé les conditions d'une maturité philosophique critique en Afrique. Dans les années 1970, G. Leclerc avec Anthropologie et Colonialisme (1972) et J. L. Calvet avec Linguistique et Colonialisme (1974), entre autres, réécrivent l'histoire des conditionnements idéologiques dans les sciences sociales et humaines.

Cette tendance de l'érudition occidentale a eu un certain impact sur les Africains

entraine toi. Néanmoins, ce n'est ni un ancêtre direct ni la référence majeure et unique du courant africain que nous examinons. Bien que les deux concernent le même objet et présentent tous deux essentiellement le même objectif fondamental, il existe, au moins, deux différences majeures qui les distinguent. La première différence explique un paradoxe. Ces courants ont la même origine dans l'épistémè occidentale mais leurs débuts n'ont pas coïncidé, et à l'heure actuelle, malgré leur similitude, ils constituent deux orientations autonomes. Elles se sont toutes développées dans le contexte européen comme une « amplification » de thèses issues de deux « loci » : d'une parFrobenius, Delafosse, Théodore Monod, Robert Delavignette, B. Malinowski et Marcel Griaule ; et d'autre part, l'atmosphère intellectuelle des années 1930-1940 qui, redécouvrant Marx, Freud et Heidegger, réévaluent de manière critique la signification des liens existant entre objectivité et subjectivité, histoire et raison, essence et existence. A partir de ces questions, de nouvelles doctrines sont apparues : néo-marxisme, existentialisme, etc., mais aussi Négritude et personnalité noire ; doctrines soulignant diversement la pertinence et l'importance de la subjectivité, de l'existence inconsciente, de la relativité de la vérité, de la différence contextuelle et de l'altérité. Dans cette atmosphère, l'africanisme s'est développé et a pris un nouveau visage. Dans les années 1950-1960, alors que dans les pays anglophones, 8. Davidson a établi l'intérêt de l'histoire africaine. Dans les pays francophones, les écoles les plus dynamiques de l'africanisme européen étaient dominées par le marxisme et fortement influencées par les notions d'« altérité » et d'« esprit sauvage » de Lévi-Strauss. C'est un africanisme des « grands frères ». Y. Benot, C. Coquery-Vidrovitch, L. de Heusch, Cl. Meillassoux, H. Moniot, J. Suret-Canale, B. Verhaegen et d'autres lient l'émergence de nouvelles approches scientifiques et méthodologiques à la tâche paradoxale d'apprendre aux Africains à lire leur altérité et de les aider à formuler des modalités qui pourraient exprimer leur être et leur vocation dans le monde. Parallèlement, dans le monde anglophone, des chercheurs tels que J. Coleman, Ph. Curtin, J. Goody, T. Ranger, P. Rigby, V. Turner et Crawford Young ont apporté et mettent en lumière de nouvelles représentations de l'histoire africaine (Curtin , Ranger) et des analyses synchroniques des « profondeurs » socioculturelles (Rigby, Turner, Young).

La « déconstruction » des sciences coloniales représentées par ces courants occidentaux ne coïncide cependant pas tout à fait avec les présupposés des courants critiques africains de J. Ki-Zerbo, Th. Obenga, ou F. Eboussi-Boulaga. Le conditionnement épistémologique est évidemment le même et, dans certains cas, on peut même observer qu'à la surface visible des programmes, des projets et des actions sont orientés vers des finalités identiques comme dans le cas de Terence Ranger et de l'Ecole de Dar es Salaam, Peter Rigby et l'équipe africaniste de Makerere, et 8. Verhaegan et l'école zéléenne de science politique. Cependant, une différence majeure existe. Il est rendu explicite par la nouvelle génération d'universitaires européens-J. Bazin, J.F. Bayart, J.P. Chrétien, B. Jewsiewicki, J. Cl. Willame - qui sont plus conscients des limites objectives que leur propre subjectivité et leurs déterminations socio-historiques régionales imposent à leurs rapports avec les questions africaines. M. Hauser, par exemple, introduit un ouvrage aussi complet que son Essai sur la poétique de la négritude (1982) en reconnaissant que les présupposés qui fondent le projet et les méthodes d'analyse utilisées, déterminent son étude dans « un lieu d'écriture subjectif », lui-même marqué idéologiquement (1982 : 27).

D'autre part, depuis les années 1960, les théoriciens et praticiens africains, plutôt que de se confier et de dépendre des « grands frères », ont eu tendance à user de la réflexivité et de l'analyse critique pour s'ériger en « sujets » de leur propre destin et devenir responsables de « l'invention » de leur passé ainsi que des conditions de modernisation de leurs sociétés. Ainsi, le dialogue avec les « grands frères » a été dès le départ ambigu, fait de compréhension et de rejet mutuels, de collaboration et de méfiance (voir Wauthier, 1964). Negritude et Negro/agues (1972) d'Adotevi peut être considéré comme une bonne illustration de cet esprit. Bien que, épistémologiquement, ce livre soit une amplification de la crise occidentale de la signification des notions sociales et humainest, la « bibliothèque » construite par des savants comme sciences, il rend compte des limites de l'africanisme et propose sa négation absolue comme nouvelle « explication » de l'intégration africaine dans « l'histoire » et la « modernité » : « la révolution ne se fait pas avec des mythes, fussent-ils fracasses » (Adotevi, 1972 : 81). On peut aussi se souvenir du modeste livre de Mabika Kalanda qui, en 1966, fonde le principe de la « remise en question » comme moyen de libération intellectuelle et politique.

La seconde différence est une conséquence de la première. Dans ses prospectives, le courant critique africain affiche sa puissance comme le seul « lieu commun » à la fois pour une connaissance positive des tensions dynamiques et pour des discours sur le fondement et la justification des sciences humaines et sociales africaines. Ainsi, elle tend à définir sa mission en termes de trois paradigmes : la renaissance culturelle des nations africaines, la nouvelle vocation scientifique et les applications développementales.

De ce climat intellectuel naissent les idéologies organisatrices qui soutiennent les stratégies de nouvelles relations entre savoir et pouvoir, et les cadres originaux des études sociales et humaines en Afrique. Hountondji représente l'idéologie néo marxiste et insiste sur trois actions complémentaires (1981 : 68) :

1. la promotion d'une critique philosophique et d'une clarification idéologique afin de s'opposer aux illusions, mystifications et mensonges qui perdurent en Afrique et sur l'Afrique.

2. étude rigoureuse, assimilation et compréhension réelle du meilleur de la "philosophie internationale", y compris le marxisme, qui selon l'auteur, est la seule théorie fournissant des concepts et des moyens pertinents pour analyser l'exploitation de l'Afrique.

3. une tâche paradoxale : sortir de la philosophie pour rencontrer et dialoguer avec la réalité sociale.

La plupart des théoriciens, cependant, sont favorables à des points de vue différents. Eboussi-Boulaga et Sow, par exemple, proposent une critique plus systématique de l'anthropologie occidentale comme préalable à la construction de nouvelles interprétations. Au niveau le plus profond, ils sont d'accord avec Hountondji sur la nécessité de nouveaux choix. Leurs stratégies, cependant, expliquent la possibilité de perturber radicalement les arrangements épistémologiques qui rendent compte de l'africanisme et aussi du marxisme. L'hypothèse de base est relativiste. Les cultures, toutes les cultures, sont aveugles au regard des valeurs qu'elles incarnent et promeuvent (Eboussi-Boulaga) ; ou, une critique du concept de nature humaine : la nature humaine est une construction et, en tout cas, les sciences sociales et humaines ne se préoccupent pas de cette abstraction (Sow).

Nous ne sommes pas persuadés que l'objet précis des sciences humaines, à y regarder de près, soit l'étude d'une nature humaine Universelle posée a priori, parce que nous ne savons pas si une telle nature humaine existe quelque part concrètement. II se pourrait bien que la Nature Humaine (ou l'homme en general, l'homme nature!, etc.) soit une fiction theorique de la philosophie generale, ou alors, la generalization activiste d'une experience concrete limite (Sow, 1977 : 256-58).

Sow explique que la réalité de la nature humaine n'a de sens que lorsqu'elle est mêlée aux représentations d'une tradition ou d'une perspective anthropologique donnée. La conclusion qui en ressort est une thèse. Contre la dialectique et l'anthropologie, comment les intellectuels africains peuvent-ils penser la nature humaine et dans quel but ?

A un niveau plus concret, on peut observer les alternatives offertes par le courant critique en Afrique comme dans le cas de Wiredu, qui fait face empiriquement aux contradictions sociales africaines. D'autres théoriciens indiquent des politiques pratiques pour l' mise en œuvre des principes stratégiques dans les formules socioculturelles. Premièrement, le paradigme de la renaissance rend compte des théories qui, dans leur essence, affirment la positivité de l'être soi, comme l'ont récemment illustré Chinweizu, Onwuchekwa Jemie et lhechukwa Modubuike dans leur Vers la décolonisation de la littérature africaine (1983). Cela signifie aussi le droit de douter des valeurs « pérennes » et « universelles ». En ce sens, il existe une corrélation entre l'idéologie du relativisme culturel, les débats sur la littérature africaine et les politiques concrètes de promotion des langues africaines et des traditions « authentiques » en tant qu'institutions culturelles.

Mais ce n'est qu'un aspect d'un processus complexe. Mabika Kalanda (1967 : 163) a posé un principe sévère : pour se réapproprier ses propres consciences culturelles et inventer de nouveaux paradigmes pour sa « renaissance », il est impératif pour l'Africain de réévaluer le contexte général de sa tradition et de l'expurger de manière critique.

Le milieu global bantou est dissolvant et deprimant pour l'individu. Sa philosophie erige en Joi sacrée la dependance, la soumission, l'effacement, la dégénérescence mentale et done physique de l'homme. Un tel milieu

prédisposer à l'esclavage.... L'impuissance mentale individuelle ou de groupe

intuitivement ressentie ou meme constatée dans Jes realites objectives pousse inconsciemment a l'agressivite a l'egard des etrangers plus avances que nous.

C'est à partir d'une hypothèse similaire qu'Eboussi-Boulaga (1977 : 223) proposera plus tard la forme d'un « récit pour soi », un moyen critique pour comprendre le passé et les échecs d'une vie historique, afin de pouvoir agir différemment à l'avenir.

Deuxièmement, les paradigmes de la vocation scientifique et des applications développementales de la science sont probablement les plus faciles à analyser. Dans les années 1960, ils signifiaient l'africanisation du personnel des universités et des centres de recherche. En d'autres termes, ils expliquaient le transfert du leadership intellectuel et de l'autorité administrative en général. Cette lutte pour la responsabilité scientifique a rapidement conduit aux mythes et aux théories de « l'africanisation des sciences ». Pendant plusieurs années, l'influence de Cheikh Anta Diop fut importante, car elle permit l'hypostase des civilisations africaines. Les centres d'études africaines se sont multipliés et les matières africaines ont été introduites dans les programmes universitaires. Au thème classique de « tout ce qui est européen est civilisé ; tout ce qui est africain est barbare » s'en substitue un nouveau : « tout ce qui est africain est civilisé et beau ». Ce « nationalisme intellectuel » dépendait fortement du nationalisme politique. Comme Hodgkin l'a noté à juste titre : 957 : 175-76).

La caractéristique majeure des années 1970-1980 est la relative autonomie du versant intellectualiste du nationalisme africain. L'échec des rêves d'indépendance pourrait expliquer la redistribution du pouvoir. Les politiciens et les managers sont devenus les "gestionnaires" des contradictions aiguës existant entre les processus de production et les rapports sociaux de production, "l'économie" du pouvoir et la rhétorique politique. Les intellectuels définissent généralement leur mission en termes de « déconstruction » des systèmes existants de contrôle économique, politique et idéologique. Au sein du groupe intellectuel, il existe deux tendances majeures : la première, de plus en plus dominée par le marxisme, met l'accent sur les stratégies de majorité économique et de libération politique ; la seconde, « libérale », se concentre essentiellement sur les implications épistémologiques d'une philosophie de l'altérité. On pourrait penser que le premier groupe, fondamentalement, promeut de nouvelles théories pour l'occidentalisation de Afrique. En revanche, le second groupe semble jusqu'ici pris dans des paradoxes créés par la jonction d'une volonté de puissance politique et de postulats d'analyse symbolique.

Néanmoins, ces orientations ont, à ce jour, produit les

promesses dans les bourses africaines d'aujourd'hui. Déjà, dans de nombreux domaines - anthropologie, histoire, philosophie, théologie - l'orthodoxie officielle héritée de la période coloniale a été remise en cause. Les universitaires africains affirment de nouvelles alternatives, des compatibilités régionales et, surtout, la possibilité d'une nouvelle économie entre pouvoir et savoir.

Le processus est le plus visible, on l'a vu, dans le domaine de la théologie chrétienne, qui est aussi, de loin, le domaine le mieux organisé. Elle a fait face, chronologiquement, à des questions majeures successives dans son développement (Mveng, 1983). Tout d'abord, à la suite des mythes sur « l'africanisation » du moment nationaliste, il s'est penché sur le défi d'une critique du christianisme occidental. Il s'agissait alors de rechercher les causes de confusion existant entre colonialisme et christianisme, de favoriser une meilleure compréhension du christianisme historique, et la mise en place d'un christianisme africain. La théorie du tremplin, l'approche d'adaptation et l'interprétation de l'incarnation sont les solutions les plus connues proposées pour la promotion d'un christianisme africain (Bimwenyi, 1981 a: 263-81). Une seconde question est apparue presque aussitôt : quel fondement épistémologique proposer pour la théologie africaine ? Trois types de réponses et de stratégies sont prévues :

(a) Une lecture africaine de l'expérience occidentale du christianisme. je peux difficilement

entrer dans les détails en raison de la complexité de ses objectifs. Notons néanmoins deux points méthodologiques principaux : d'une part, le choix d'une analyse rigoureuse et très classique du processus historique occidental d'indigénisation de l'Évangile ; de l'autre, une interprétation critique de ce processus fondée sur la signification idéologique des sélections culturelles stratégiques et des règles asservies, et visant à expliquer la constitution progressive de la doctrine de l'Église et le développement de sa liturgie. Les travaux de Mgr Tshibangu sur l'histoire des méthodes théologiques en Occident (1965, 1980) et les études scrupuleuses de J. Ntendika (1966, 1971) sur la théologie patristique en sont de bons exemples. En philosophie, la même tendance à investir dans une bonne compréhension de la pratique occidentale de la philosophie, comme étape utile avant de promouvoir la philosophie africaine, peut être observée dans plusieurs cas. On peut citer à titre d'exemples la philosophie du Second Ordre, l'étude d'Elungu (1973b) sur les concepts d'espace et de savoir dans la philosophie de Malebranche, l'analyse d'Ugirashebuja (1977) des relations entre poésie et pensée chez Heidegger et la présentation de Ngindu du savoir religieux selon Laberthoniere (1978 ).

(b) Cette lecture critique de l'expérience occidentale est à la fois une manière de « inventer » une tradition étrangère pour en maîtriser les techniques et une stratégie ambiguë de mise en œuvre de l'altérité. Il est admis que « Ies theologiens Africains n'ont rien a gagner a se replier sur eux-memes », « ils se condamneraint totalement a rester des theologiens de seconde zone » (Tshibangu et Vanneste,

1960 : 333-52). En 1974, T. Tshibangu a publié Le Propos d'une théologie africaine, un bref manifeste, qui se concentre sur le relativisme linguistique et culturel et soutient, avec le fait qu'il existe une variété de systèmes de pensée, l'évidence de la compréhension et des expressions ethniques du christianisme. Le livret de Tshibangu est devenu un classique et a une énorme influence. Il est déjà possible d'étudier l'issue de sa thèse. Il y a maintenant un sérieux intérêt m un examen de la tradition chrétienne selon les méthodologies les plus critiques. D'autre part, les investigations anthropologiques et linguistiques sur les traditions africaines se multiplient et repèrent des régions de compatibilité et de diffraction entre christianisme et religions africaines, dont le Discours théologique africain de Bimwenyi (1981a), la Sorcellerie et Priere de Delivrance de Hebga (1982), ou le livre publié par JM Ela et consorts, Voici le Temps de Héritiers (I 981) en sont des illustrations. Plutôt que d'insister sur l'économie des constellations culturelles et religieuses et leur compatibilité possible, cette tendance tend à souligner la pertinence de la diffraction et sa valeur relative dans un système régional de révélation. Les Cahiers des religions africaines de Mulago sont le lieu et le véhicule les plus remarquables de ce projet depuis 1965.

(c) La dernière tendance aborde une question délicate : est-il sensé d'être chrétien et africain ? Plus concrètement, comme l'a exprimé E. Mveng, comment et pourquoi un Africain devrait croire et promouvoir un christianisme, qui est non seulement devenu un produit d'exportation de la civilisation occidentale, mais a également été utilisé et est toujours utilisé comme moyen de discrimination raciale et de classe. exploitation (Mveng, 1983 : 140) :

Le malheur, c'est que !'Occident est de moins en moins chrétien, et le christianisme, depuis longtemps, est devenu un produit d'exportation de la civilisation occidentale, c'est-a-dire un parfait outil de domination, d 'oppression, d'annihilation des autres civilisations. Le Christianisme sujet aujourd'hui non seulement en Afrique du Sud, mais par !'Occident en tant que puissance et civilisation, est loin, tres loin de l'Evangile. La question est done posee, radicale: quelle peut etre la place des peuples du Tiers-Monde dans un tel christianisme? Et cette question concerne en tout premier lieu, Jes Eglises officielles.

Pour faire face à cette question, Eboussi-Boulaga a proposé son Christianisme sans fétiche. Révélation et Domination (1981). C'est une "déconstruction" complète du christianisme. Abandonnant les dogmes, les critères traditionnels et les théories des Églises officielles, il propose une interprétation directe de l'émergence de la révélation comme signe de libération. Dans cette perspective, le temps et la dignité de l'être humain deviennent le lieu du rêve de Dieu pour l'incarnation. En conséquence, selon Eboussi-Boulaga, la question la plus importante pour les disciples de Jésus est la libération de leur propre foi et sa conversion en un moyen pratique pour une véritable transformation du monde ; une conclusion qui est, par exemple, le postulat des théologies de la libération en Afrique du Sud (voir, par exemple, Boesak, 1977). L'une des illustrations les plus solides de cet « esprit de l'Exode » a été donnée par J. M Ela avec son Le Cri de !'Homme Africain. Questions aux Chrétiens et aux Eglises d'Afrique (1980), un « éloignement radical du Dieu de théologie naturelle prêché par les missionnaires » et une promotion du Dieu de l'Exode intéressé par l'histoire et les conditions socio-économiques de l'homme.

L'orientation herméneutique est apparue dans ce contexte comme champ d'une possible théologie africaine. Je pense que la thèse d'Okere (1971) a été la première invitation à cette possibilité. Depuis, Tshiamalenga et Nkombe se sont imposés comme les maîtres les plus crédibles. Okolo, ancien élève du Kinyongo, a explicité les choix philosophiques de la méthode (1980) en s'inspirant d'un texte bref et stimulant de son professeur (Kinyongo, 1979). En 1983, Okere publie un modeste ouvrage sur les fondements de la méthode dans lequel on trouve des orientations claires fondées sur un principe solide : « la langue semble affecter la culture et pensée à un certain niveau », mais on ne peut pas partir de cette déclaration « pour parler de la pensée philosophique et métaphysique comme d'une manière ou d'une autre envisagée linguistiquement » (Okere, 1983 : 9). par Tshiamalenga (eg, 1974, 1977b, 1980) et Nkombe dans ses propositions méthodologiques (eg, 1978, 1979). En termes de classification intellectuelle, il est possible de distinguer deux courants principaux. Le premier est celui de l'herméneutique ontologique qui, à à Kinshasa (Za1e), coïncide avec la reconversion de l'héritage de Tempels et Kagame vers des modalités plus rigoureuses de exemple philosophe (voir, par, Okere, 1971 ; Tshiamalenga, 1973 , 1974, 1980). herméneutique socialement orientée qui intègre les enseignements des méthodes phénoménologiques (eg, Laleye, 1981 et 1982 ; Nkombe, 1979).

La question de la signification de ces nouvelles stratégies intellectuelles de « conversion » est également dessinée à partir d'autres horizons. Sur les sciences sociales, T.K. Buakasa, par exemple, a analysé les déterminations socioculturelles de la raison scientifique, sous un titre provocateur, les sciences occidentales, pour quoi faire ? (Buakasa, 1978 ; voir aussi, Okonji, 1975). Inspiré par M. Foucault et, principalement, les travaux de J. Ladrière sur la philosophie des sciences, Buakasa ré interrogé l'historicité et l'architecture de la raison scientifique - "la science est la seule pratique vraiment rationnelle, le seul lieu, actuellement , de manifestation privilegiee de la rationalité" -afin d'introduire des techniques de conversion de la "mentalité" africaine en termes de raison scientifique. Un autre philosophe, P. E. Elungu, bien qu'acceptant la réalité de l'authenticité africaine et l'autonomie de son expérience socio-historique, fonde ses propositions de libération africaine sur une condition unique : une conversion à « l'esprit philosophique ». Et, selon lui, « l'esprit critique » apparaît comme la seule voie possible de modernisation, dans la mesure où elle signifie la possibilité d'une rupture épistémologique, et par la suite, l'émergence d'un « esprit scientifique ». C'est-à-dire un nouvel environnement culturel caractérisé par :

1. la capacite qu'a l'homme de rompre avec ce qui est simplement donne",

dans la recherche de ce qui est essentiel et spécifique.

2. la saisie de cet essentiel-spécifique dans la liberté du discours.

3. la constatation que cette liberté du discours n'est pas la liberté tout court, que cette autonomie du discours n'est pas independance (Elungu, 1976 ; voir aussi Sodipo, 1975 et 1983).

A propos de ces nouvelles règles du jeu, on peut rappeler les objectifs de M. Foucault dans Le Discours du langage (1982) pour la libération du discours. Des références explicites aux schémas occidentaux sont également perceptibles dans le programme de Hountondji sur la pratique africaine des sciences qui s'appuie sur L. Althusser, et dans les recherches de 0. Nkombe (1979) sur les « symboles » africains inspirés par P. Ricoeur et Lévi-Strauss. Mais l'existence de ces filiations intellectuelles signifie un projet de synthèses méthodologiques et idéologiques plutôt qu'une capitulation de l'altérité.

Pour résumer l'essentiel des règles de cette déconstruction, je peux retenir comme grands principes :

1. Une hypothèse : comprendre et définir la configuration de la pratique scientifique en sciences sociales et humaines comme un lieu idéologique déterminé par trois variables majeures : le temps, l'espace et la (non)-consciente du scientifique.

2. Une thèse : analyser et valoriser les expériences africaines comme formées à partir d'une histoire particulière et comme témoins  à une région Weltanschauung.

3. Un objectif : réfléchir et proposer des modalités raisonnables d'intégration des civilisations africaines dans la modernité, dans le respect de " !'esprit critique " et de la raison scientifique, le but étant la libération de l'homme.

Il se peut que tous ces thèmes aient été rendus possibles par certaines des conséquences de la rupture épistémologique, qui selon Foucault (1973) est apparue en Occident à la fin du XVIIIe siècle. L'hypothèse prend tout son sens si l'on regarde le recul, au cours du XIXe siècle, des théories sur la « fonction », le « conflit » et la « signification », et d'autre part l'émergence d'une nouvelle intelligence sur les potentialités des paradigmes. de « norme », « règle » et « système ». En théorie, ce renversement rend compte de toutes les idéologies de la différence. Mais il n'est pas certain qu'elle explique pleinement l'agencement fonctionnel de la « bibliothèque coloniale » et son efficacité omniprésente au cours des XIXe et XXe siècles, ni les relations ambiguës qu'une séquence chronologique établit entre les beaux mythes de « l'esprit sauvage » et les stratégies idéologiques africaines de l'altérité.

African Gnosis Philosophy and the Order of Knowledge: An Introduction Author(s): V. Y. Mudimbe