Sep 30, 2021

VIII. LA MÉDECINE EMPIRIQUE

Cette médecine est exercée par les praticiens (banganga) qui connaissent les vertus médicinales des plantes. Chaque nganga est spécialisé dans un domaine médical bien précis. TIy a des généralistes aussi. Mais, pour les maladies graves, les patients se rendent chez le praticien qui a fait ses preuves. Ces patients payent mubèmbu nganga en guise de droit de consultation. Le nganga fournit les médicaments et peut demander d'autres potions (bisiému) aux malades. Lorsque le malade est guéri, il vient verser ses honoraires. Toute la relation nganga-malade est basée sur la parole donnée et la confiance. La connaissance des plantes est transmise de génération en génération (père à fils, mère à fille). Parmi les nganga exerçant en milieu punu il y a : Nganga kosi, le praticien qui piège les sorciers. Lorsqu'un village enregistre des décès et des disparitions inexpliqués de personnes, les habitants font appel au spécialiste qui vient u gomine kosi: tendre le piège sur le toit d'une case du village. Ce piège comprend pour tout matériau: des troncs de bananiers, une ficelle, un appât, une essence d'huile empoisonnée qu'on appelle maftingu et une portion de viande. Le piège est installé sur la piste des sorciers. Le sorcier peut voir le piège la journée. Mais, à l'occasion de ses escapades nocturnes, il se métamorphose en oiseau (hibou) ou autre animal lugubre, sa nouvelle condition animale inhibe tout sens humain. TIperd la sensibilité humaine. fi se projette dans la dimension quantique, en tant qu'animal maléfique. Alors, il se fait prendre. Pour toute vérification de l'activité nocturne d'un sorcier, l'on procède à la jauge de la quantité d'huile. Si le piège a été fiable ce dernier ne pourra pas réintégrer son enveloppe charnelle. fi rend l'âme dans son sommeil. Son corps blêmit et se glace. 128 Une autopsie est pratiquée au cimetière dans l'optique de fournir la preuve de la culpabilité du défunt. Cette autopsie montre les traces des essences d'huile et la présence de la viande utilisée comme appât. L'esprit de tout sorcier contrevenant erre au ibungu, le lieu où habitent les fantômes (cf ngongo des initiés). Nganga dipiake est un voyant. TIa saji, c'est-à-dire qu'il possède des dons de voyance. TIest capable de révèler certains mystères de la vie du patient comme s'il décryptait sur un tableau dont le corps et l'esprit ne forment que des entités communicatives. Les gens disent qu'il sait lire comme étudiant, c'est pour cela qu'on le nomme mwane ikole, l'enfant de l'école. Les nécessiteux vont régulièrement le consulter (u rèse) pour démasquer un sorcier, un voleur, un poseur de kumbule, une mine invisible. Pour faire des révélations sur un problème, il demande au patient de tenir dans sa main un morceau de bois et de le cogner à terre, chaque fois que celuici estime exactes les révélations du consultant. Le rituel de voyance consiste en un décryptage d'indices et de symptômes. Lorsque le nganga se trompe le patient s'abstient de cogner au sol. TI s'agit d'un entretien clinique, d'une consultation de type biologique, car le motif de la consultation est à la fois psychique et organique. Ici, le patient écoute le clinicien parler de sa souffrance. Lorsque les deux sont en accord sur le nœud du problème, nganga dipiake peut commencer une thérapie. TI demande la fourniture de certains objets rituels. Tout est fonction de la gravité, de l'intensité de la souffrance à soulager. Si par exemple les gens viennent consulter pour un problème d'envoûtement par le muyame: l'arc-en-ciel mystique (il s'agit d'un genre de mbumba, reptile à plumes de perroquet), le nganga, lors d'une veillée rituelle, s'installe sur les nattes ou le pagne raphia. 129 n entame un voyage d'exploration mystique. Le but est de récupérer l'esprit de son patient. Nganga dipiake possède aussi ses appâts pour détourner l'attention du reptile. Le plus souvent, les nganga effectuent leurs virées exploratrices à travers les mailles de nzande dibube, la toile d'araignée. Le temple initiatique, dibanzi, comporte entre autres un gardien mystique. Cette entité a pour rôle d'assurer les arrières du consultant en cas d'ingérance ou d'attaque inoppinée des sorciers incriminés ou autres rivaux. Le but est de maintenir les liens des fils de la toile mystique. Durant son périple exploratoire, nganga est assisté par une assemblée de choristes actifs. Le retour sur le réel est marqué par un chant de victoire. Le soliste est le consultant. Celui-ci amène le patient à se laver avec mupupu, un bain rituel. Si par mégarde les contre-attaques ennemies ont échappé à la vigilance du vigile mystique, le nganga peut y perdre sa vie. Ces nganga ont souvent plusieurs stratégies mystiques pour pallier ce genre de situations. Nganga malagu est le spécialiste des fous. Cethérapeute soigne les fous avec des bains de vapeur et autres rites complexes. Si le patient se révèle violent, il l'installe dans ivangu, une camisole en bois. Nganga gari est le spécialiste des affections du thorax. L'affection la plus courante est la plaie pulmonaire (u sake gari). Cette plaie survient à la suite d'un accident ou d'une bagarre nocturne entre sorciers. La blessure est physiquement invisible, même les instruments de radiographie moderne se révèlent souvent insuffisants. La médecine du thérapeute consiste dans ce cas à administrer au patient bifulu, des bains de vapeur et mipotu, mixtures de feuilles et de poudre d'écorces à l'huile de palme. 130 Le traitement repose sur trois prises par jour avant les repas. D'autres écorces et feuilles sont appliquées sur la partie douloureuse. Nganga mioji (le soignant des ventres) s'occupe des patients qui souffrent des maux de ventre, des règles douloureuses. Cette médecine s'adresse aussi aux femmes qui ne font pas d'enfants. Nganga bangébi est le spécialiste des affections infantiles. Ce praticien emploie une médication à base de mikému, feuilles macérées et mélangées à l'eau. Les dosages tiennent compte de la toxicité des plantes. En général, quelques gouttes suffisent. C'est le cas lorsque l'enfant a une infection nasale ou auditive. Ce clinicien a entre autres missions de pallier les difficultés du développement psychologique du nourrisson. Le nganga sait préparer milunge pour prévenir les difficultés en rapport avec la rivalité fraternelle. n sait aussi protéger l'enfant des mauvais esprits (u kélise mwane). Le rite de milunge consiste à faire porter à l'enfant deux gourmettes préparées avec des feuilles et des écorces qui ont la propriété de renforcer les liens de solidarités entre pairs. Ce rite est nécessaire lorsqu'une mère allaite un enfant et tombe une nouvelle fois enceinte. L'enfant peut être affecté par mile, état de faiblesse générale accompagné de fréquentes crises d'anorexie et de vomissements. La protection d'un enfant est assurée par l'usage de bisièmu. L'une des composantes est le kaolin ocre rouge. Le soignant procède à la tonsure du crâne du nourrisson. TI badigeonne une couche de kaolin sur la touffe de cheveux laissée au niveau de la fontanelle. Le jeune patient est ensuite paré de ngubi, un petit bateau en bois accroché à une courroie de fibres végétales tressées (duvunge du va su). Cette amulette est suspendue au coup de l'enfant. 131 Pour d'autres affections comme la conjonctivite, makape, le clinicien extrait mukému d'une zingibéracée, dijombu. TIgratte la partie charnue et blanchâtre proche des racines. Le contenu est placé dans un égouttoir, itoru. Les gouttes qui en résultent sont administrées dans les yeux du malade au moins quatre fois par jour en début de traitement. La posologie est variable en milieu et fin de traitement. Dans le cas de la constipation, la médication repose sur l'administration des gouttes de sève de tsondu dède, arbre de vieux champs (mafutu). Cette sève est appliquée sur le bout des seins de la jeune mère. Le but est de mixter les molécules brutes du végétal avec celles des glandes mammaires dont se nourrit le bébé. C'est la synthèse de ces deux gammes de molécules qui produit l'antidote à la constipation infantile. Nganga mavande est le spécialiste des fétiches ou gris-gris. Les nécessiteux consultent pour diverses raisons: la réussite, la richesse, le succès, etc. Nganga bunge est le spécialiste des fractures, foulures, entorses ou tout autre accident affectant le squelette humain. Lorsqu'un patient nouvellement accidenté vient le consulter, il tente de remettre les os en place si cela est possible. Une période d'observation est nécessaire. Le patient est alors interné dans ndagu bunge, une maison de soins spécialisée. Le tradithérapeute prépare ifulu, un bain de vapeur à base d'écorces, des feuilles, des fèces d'arc-en-ciel mystique, les parties du tronc de bananiers découpés et mélangés à l'eau de pluie conservée dans le creux d'arbres, ndingi. Tous les médicaments sont placés dans mugèngu, une vieille marmite en argile cuite. Ensuite, il casse une patte de coq ou de poule. Celle-ci constitue un témoin dont se servira le guérisseur pour suivre l'évolution clinique de l'affection du patient.C'est un « procédé comparatif. » 132 La volaille ainsi fracturée est placée ô ndagu bunge en accompagnement du patient. Les soins sont prodigués à la tombée, puis au milieu de la nuit (gari wisi), et dès le premier chant de perdrix, vers quatre heures -du matin. On dit de ce genre de soignant qu'il a «les mains préparées », car il applique les soins pendant que la marmite est en train de bouillir sur le feu. Le patient est astreint à la stricteobservance d'interdits rituels, gage de guérison intégrale. Les premiers signes de guérison portent prioritairement sur l'état de la volaille témoin. Lorsque le coq qui suit le même régime médical que le patient commence à poser sa patte cassée à terre, une nette amélioration de l'état du membre du patient s'inscrit synchroniquement. A condition qu'aient été respectés les interdits rituels. Une non amélioration pose le sempiternel problème du respect de l'interdit. Bunge constitue en effet l'une des thérapies incontestées chez les Punu. Le patient est tenu de ne pas consommer des plats salés ni serrer la main aux visiteurs. TIlui est interdit tout rapport sexuel pendant la durée du traitement. L'efficacité de la phytothérapie, des mélanges biochimiques qui en résultent, reste un mystère.

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