Les lamellophones
* Introduction
* Description de l'instrument
* Différentes approches de l'instrument
* Ailleurs
* La mbira, instrument de musique du peuple shona
* Discographie
1. AFRIQUE NOIRE
Il semble que le piano à pouces soit joué un peu partout en Afrique noire. Du point de vue discographique, c’est d’abord par le biais d’enregistrements ethniques réalisés pour la plupart par des collecteurs que nous pouvons nous faire une idée de l’ampleur du phénomène. D’un autre côté, certains artistes africains ont puisé dans leurs traditions et ont intégré les lamellophones au sein d’une musique plus actuelle.
A. MUSIQUES TRADITIONNELLES ETHNIQUES
Difficile de parler des lamellophones dans les traditions africaines sans évoquer la place qu’ils jouent dans la société de chaque peuple. Chaque peuple aborde l’instrument selon des points de vue sociologique et ethno-musicologique spécifiques. Nous allons examiner deux premiers exemples pour clarifier ces pratiques différentes avant d’observer en détail un autre cas représentatif. Il y sera question du lamellophone le plus sophistiqué: la mbira, emblème du Zimbabwe.
Exemple 1 : Les chants à penser accompagnés par la sanza chez les Gbáyá.
L’ethnie Gbáyá a pour territoire la moitié de la partie occidentale de la République centrafricaine et une portion de la partie orientale du Cameroun. En pays Gbáyá, tout le monde chante, danse et peut jouer d’un instrument de musique. Certains atteignent la virtuosité qui est certes appréciée, mais n’est jamais mise pour autant en avant. Personne ne s’autorisera à juger la qualité d’un chanteur, même si celui-ci chante plus ou moins faux.
Dans la tradition Gbáyá, il existe divers types de chants (gima) qui sont liés à autant d’activités: berceuses, chants de divertissements, chants de chasse, chants de deuil… Ici, il est question des chants à penser. Il s’agit d’un répertoire d’hommes où mélodie vocale et mélodie instrumentale sont conçues comme bien distinctes, même si elles sont liées. Ce répertoire est chanté seul ou en petits groupes. Cela nécessite une instrumentation qui fait appel en premier lieu à la sanza.
Pour une exécution en groupe, les musiciens ajoutent une seconde sanza beaucoup plus grosse et plus grave que la première. Un hochet et des bâtons entrechoqués complètent l’instrumentation.
La musique développée dépend étroitement d’une situation de jeu, et reste par là même difficile à définir. En effet, le jeu de l’instrument influence la réflexion du musicien ou d’un autre participant. Le chanteur trouve dans la mélodie de sanza et dans l’ambiance du moment un thème de réflexion qui le pousse à chanter, improvisant des paroles et des syllabes sans signification.
Le terme gima ta mon, chant à penser, s’applique au genre dans son ensemble, qu’il soit instrumental ou chanté, puisque c’est la mélodie jouée qui inspire et entraîne le chant. On trouve dans ce répertoire des chants ou musiques de route (mango) qui accompagnent la marche, des chants qui parlent d’amour et de solitude, des musiques de danse… Les chants à penser sont des musiques intimistes très calmes et d’une grande musicalité.
Exemple 2 : Les lamellophones en République démocratique du Congo (ex-Zaïre)
En République démocratique du Congo, dont la population appartient en majorité au groupe bantou, il est difficile de faire le point sur la question des likembés ou sanzas, vu le nombre de populations différentes.
Principalement, il existe des traces claires sous forme d’enregistrements discographiques de lamellophones chez les Nande, les Shi, les Mangbetu, les Pygmées Bambuti, et les Pygmées Efe. En général, c’est uniquement à l’époque où ils vivent dans les villages, à l’orée de la forêt, que les pygmées jouent du likembé. Le reste du temps, la vie nomade leur impose de se charger le moins possible et les seuls instruments qu’ils utilisent sont des instruments éphémères comme des arcs musicaux qu’ils fabriquent sur place et abandonnent lorsqu’ils changent de campement.
Peu d’objets ethnographiques peuvent être ravalés à un rang aussi bas et jouent un rôle aussi peu occultant que la sanza en République démocratique du Congo. Elle ne semble participer à aucune cérémonie secrète, ne tient que très rarement un rôle dans une parade. C’est au contraire l’instrument de plein jour, l’instrument de solitude. Aucun rôle sociologique marquant n’est tenu par elle, si ce n’est sa participation à certaines danses, aux fêtes pour donner le rythme, en voyage pour soutenir la marche, la nuit pour que les sentinelles restent en éveil. La sanza a donc un rôle modeste, elle n’a pas les honneurs rendus aux instruments bruyants et puissants, mais elle reste confinée dans son rôle de producteur de musique intime qui a trait plus à un divertissement, à un passe-temps. Cet instrument est tombé en défaveur dans les danses depuis assez longtemps au profit de la guitare.
B. MUSIQUES TRADITIONNELLES ACTUALISÉES
Certains artistes africains ont voulu mettre à l’honneur les lamellophones et les faire sortir de leurs carcans traditionnels. Le premier exemple en date est celui d’Antoine Moundanda, figure importante de la musique zaïro-congolaise urbaine qui, au début des années 50, a formé le groupe Likembé Géant. Ils utilisaient trois likembés géants et jouaient de la rumba congolaise, des polkas et de la musique traditionnelle. On peut citer l’exemple bien plus récent de l’Ougandais Geoffrey Oryema, déniché par l’équipe du label Real World de Peter Gabriel, qui a impressionné beaucoup de gens lors de ses nombreux concerts en s’accompagnant au lukémé, piano à pouces issu de sa tradition.
Outre ces deux artistes, ne pas oublier Francis Bebey et Hukwe Zawose, deux personnalités importantes de la culture africaine qui méritent une attention particulière. En effet, on peut les considérer comme des passeurs qui, à travers leurs albums, leurs concerts et parfois même leurs écrits, ont fait découvrir à un plus grand nombre cette percussion intimiste qui fut longtemps ignorée, occultée par les percussions africaines plus puissantes.
Enfin, il faut souligner la démarche originale de Konono N°1, un groupe congolais qui tourne beaucoup en Europe.
1. Francis BEBEY (1929 – 28 mai 2001)
Écrivain, compositeur, romancier, guitariste, journaliste, philosophe, musicologue, ciseleur de textes et fin musicien, le Camerounais Francis Bebey fut l’un des pionniers de la world music. Il a été l’un des premiers à faire monter sur scène la sanza qui est, selon lui, l’une des plus jolies inventions musicales des Bantous qui connaissent cet instrument depuis la nuit des temps. La sanza, instrument du marcheur, du conteur, était faite pour Francis Bebey. Tout au long de sa marche autour du monde, il en jouait merveilleusement et (ra-)contait avec elle les légendes de la création du monde. Dans le conte intitulé Africa Sanza, il affirme que, grâce à une sanza, «Nyambé» (Dieu) a pu éviter la mort par ennui et créer l’univers.
Francis Bebey a étudié différentes traditions musicales africaines et les a mélangées. Au sein de ses enregistrements, il inclut souvent des lamellophones. Il ira même jusqu’à leur consacrer plusieurs albums entiers. La particularité de ces enregistrements, c’est que Bebey mélange les rythmes et les sonorités du piano à pouces avec d’autres instruments ethniques tels que la flûte pygmée et diverses percussions mais aussi, et surtout, avec des instruments actuels comme le synthé ou la basse électrique: une fusion qui respecte les traditions dans lesquelles il a grandi.
2. Hukwe ZAWOSE (1938 – 30 décembre 2003)
Hukwe Zawose fut l’ambassadeur musical de la Tanzanie par excellence : éducateur, fabricant d’instruments, fervent défenseur de la culture de son pays, et surtout chanteur charismatique et musicien hors pair qui a permis au monde entier de découvrir la musique de son peuple: les Wagogo, originaires de la région aride de Dodoma en Tanzanie centrale.
Après s’être produit pendant près de vingt ans dans le monde entier, Hukwe ne s’adressait encore qu’à un public averti d’aficionados de world music. Jusqu’au jour où Peter Gabriel décide qu’il est grand temps pour cet artiste d’élargir son public.
Gabriel avait déjà édité Chibite (1996), premier opus international de Hukwe Zawose. Sa musique y était encore très proche des traditions des Wagogo et mettait en valeur le son stupéfiant des lamellophones chilimba et ilimba. L’ilimba de Zawose est particulier en ce sens qu’il y a inclus entre soixante-six et septante-deux clés accordées dans une tonalité juste, dont beaucoup de celles-ci sont utilisées en tant que résonance sympathique.
En 2000, Peter Gabriel propose alors au producteur et instrumentiste canadien Michael Brook de collaborer avec Hukwe Zawose pour réaliser un projet consacré à la musique tanzanienne traditionnelle et au talent unique de cet artiste, avec des arrangements et des sons accessibles à un plus large public. Assembly, le fruit de cette collaboration, mêle savamment la poésie et la finesse des mélodies wagogo avec un funk futuriste, résultant de l’association entre une formation traditionnelle et les technologies numériques.
3. Les likembés de KONONO N°1
À Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, on constate un phénomène particulier: celui des «Musiques urbaines». Des orchestres s’y sont formés pour animer chaque événement ou fête familiale. Lorsqu’un deuil survient dans une famille par exemple, l’orchestre doit être là pour «faire le prestige de la tribu» et il jouera sur les lieux avant l’enterrement et après. Plus il jouera (une semaine parfois), plus le prestige sera grand.
La plupart de ces orchestres utilisent principalement des likembés, le tout accompagné par une section rythmique plus moderne. Ces likembés sont trafiqués, c’est-à-dire qu’on leur a adapté des micros «déments» afin de leur donner des sonorités saturées.
Konono N°1 existe depuis près de vingt-cinq ans. Ce groupe est certainement celui qui a le mieux porté cette révolution de la musique urbaine. Empruntant largement aux musiques de transe bazombo, le groupe va pour la première fois se faire entendre des ancêtres à l’aide de micros faits maison avec des pièces mécaniques de voiture, des aimants de récupération et des fils de cuivre, s’aidant à l’occasion d’un lance-voix (une sorte de mégaphone). C’est là le secret de la «toute puissance», celle qui relie ces trois petits instruments (un aigu, un médium, un grave) aux six haut-parleurs de 175 watts connectés en série. L’électrification de fortune a provoqué une mutation radicale du son, introduisant des distorsions peu à peu intégrées. Malgré sa puissance dansante capable de conquérir le moindre dancefloor gavé de sonorités électroniques, Konono N°1 reste un groupe traditionnel.
Un jour, cette étrange et puissante mixture sonore a dépassé les frontières de Kin la Belle grâce à un enregistrement amateur diffusé par la radio zaïroise. Bernard Treuton, réalisateur à Radio France, l’entend. Cet amoureux du son décide d’enregistrer ce drôle d’orchestre. Quelques années plus tard, un producteur belge passionné de musique congolaise, Vincent Kémis, entend son émission et décide de retrouver Konono N°1 pour les enregistrer à son tour. Depuis, Konono N°1 tourne un peu partout en Europe, et surtout en Belgique.