Jan 4, 2023

RESOLUTION DE CONFLITS

LES MÉCANISMES CULTURELS DE PRÉVENTION ET DE RÉSOLUTION DES CONFLITS DANS LES SOCIÉTÉS PRÉCOLONIALES AU SUD DU GABON : LES PRATIQUES TRADITIONNELLES

Les études menées sur les sociétés traditionnelles du Gabon ont permis de découvrir que les mécanismes de prévention et de résolution des conflits dans les sociétés empruntaient des procédures issues de la culture traditionnelle dans lesquelles le rôle des chefs traditionnels et spirituels était prépondérant. Dès lors, les structures sociopolitiques telle que la chefferie traditionnelle’ et les sociétés initiatiques secrètes me sont apparues comme des espaces de dissuasion et de prévention des conflits. Enfin, empruntant au principe et à l’organisation de la palabre africaine, les mécanismes oeuvrant à la restauration de la paix ont été décelés. Exemple, des affrontements dans le Mocabe eurent lieu en mai 1905 dans le cadre de ia conquête coloniale française. A ia suite de ces actes, tous les chefs des villages Mwabi, Mukabe, Musamu-Kuhu, Munndi et Buhulu, d’un commun accord s’entendirent pour affronter l’ennemi commun, l’administration coloniale. Ce fut également le cas en pays Awandji où les chefs des villages Awandji et ceux des villages Kota et Shake se joignirent à WONGO, chef de terre, pour lutter contre l’administration coloniale’. I1 se tenait donc des assises solennelles auxquelles assistaient les chefs de clans, de lignages et de villages concernés. Ce lien éphémère ne durait que le temps des assises pour, ainsi que nous l’avons dit, aplanir les différends entre clans ou décider des combats à mener contre l’ennemi extérieur. Au niveau du village, le pouvoir était dévolu au plus ancien, assisté dans l’exercice de ses fonctions par un conseil des anciens. Le recours aux vieux était obligatoire. Car ces derniers constituaient le lien avec le passé dans ces sociétés où le critère de sagesse et de pondération importait dans les prises de décisions pour le contrôle des actions communautaires et le maintien des populations dans un état de paix et de prospérité. Le chef de village, dans cette prise de décisions, ne pouvait décider seul sans l’avis du conseil des anciens. Il ne pouvait prendre de décisions sans leur consentement. Car les anciens l’assistaient, et en retour, il leur demandait leur avis ; les décisions à prendre visant la sauvegarde et l’intérêt de la communauté. En fait, il n’y avait aucune raison de ne pas chercher ensemble une solution, une sorte de consensus qui constituait l’originalité d’une “démocratie” à l’intérieur du groupe au sein duquel le chef de village était le principal porte-parole. Ainsi, les chefs traditionnels du sud Gabon jouaient un rôle important dans ia prévention et la résolution des conflits. Ils encadraient et protégeaient les populations.

Lorsqu’un conflit intervenait entre membres de ia communauté ou entre deux groupes ethniques différents, l’initiative de ia réconciliation. Il revenait à ces patriarches chargés de conclure ia paix. En pays Mbede par exemple, la réconciliation entre belligérants se faisait au cours d’une cérémonie solennelle qui réunissait des chefs de ia même juridiction ou ceux représentatifs des deux groupes belligérant?. Chez ces populations du sud-est du Gabon, la résolution du conflit, selon le Professeur Alihanga, s’effectuait de la manière suivante : un ancien du groupe vaincu allait trouver son homologue vainqueur. Ensemble, ils convoquaient une assemblée générale des chefs. Ces notables apportaient chacun une tige d’amome qu’ils déposaient par terre, témoignage de la volonté de chacun d’eux d’aboutir au rétablissement de la paix.

1.2- Les sociétés secrètes initiatiques Forme culturelle par excellence des peuples du sud Gabon, les sociétés secrètes initiatiques répondaient aux exigences d’éducation, de respect, d’obéissance aux lois comme le voulait la communauté ethnique, clanique et lignagère. Elles veillaient au contrôle, à ia gestion de la communauté, de ia chose publique ainsi qu’aux risques de violence auxquelles elles étaient confrontées. Organes dominants au sein des sociétés du sud Gabon, elles jouaient un rôle de pouvoir invisible. A vocation politique et sociale, elles participaient au respect des institutions sur lesquelles le chef de village s’appuyait en vue de faire respecter la loi afin que la gestion de la société’ soit harmonieuse. Les chefs traditionnels du sud Gabon faisaient partie des sociétés secrètes initiatiques, véritables fondement du pouvoir; Ils détenaient des pouvoirs visible et invisible, parce que le pouvoir politique était indissociable du pouvoir spirituel. Le premier se légitimait par le second et avait, à travers ce dernier, un caractère sacré. Les deux oeuvraient dans le sens de l’ordre et de la discipline. En fait, nous dit LE TESTU, le véritable pouvoir était d’ordre spirituel car les chefs étant les aînés de tous, ils n’avaient pas sur chacun des membres de ia communauté, pas plus d’autorité qu’un père de famille sur ses enfants, un oncle sur ses neveux ou un aîné sur ses cadets. La prééminence était donc le fondement de leur pouvoir visible. I1 leur fallait alors posséder des moyens de coercition leur permettant de combattre toutes sortes d’abus, de désordre, de violence auxquelles ils étaient confrontés afin d’éviter la rupture des équilibres internes et externcs pouvant entraîner la décadence de la communauté. Les sociétés secretes initiatiques à caractère social et de diffusion large telles que le Mwiri pratiqué. dans tout le sud Gabon, d’autres comme le mungala des Adouma, des Awandji, ainsi que le Ndjobi des Teke et des Ambama dont l’assise était territoriale, d’autres encore mies en place pour gouverner, comme le Ngodji des Punu, le Bwiti des Tsogo et des Apindji, le Ndokwe des Akele, I’Onkani, le Nkala des Ambama et des Teke, étaient à même de dissuader, de prévenir, de régler les conflits et d’imposer la paix au regard de leurs manifestations lors des initiations et des règlements des conflits, lors des débats autour des questions engageant la communauté. Ainsi, dans le sud Gabon, les sociétés secrètes initiatiques demeuraient les derniers réceptacles, les gardiennes de traditions transmises de génération en génération. Les populations, dans des zones géographiques déterminées, perpétuaient ces traditions au sein des sociétés secrètes qui étaient et sont encore l’expression d’un fond traditionnel commun même s’il s’exprime dans la diversité. Elles enseignaient une sagesse dont les préceptes utilisés par leschefs traditionnels nourrissaient le dialogue nécessaire à la résolution de tout conflit. Ces préceptes que sont la tolérance, l’acceptation de l’autre, le souci du compromis étaient à la base du succès de toute négociation.

2- LES PRATIQUES TRADITIONNELLES DE LA PREVENTION ET DE LA RESOLUTION DES CONFLITS Les peuples du Gabon étaient en contact les uns avec les autres. Ils entretenaient des relations de bon voisinage entre différentes communautés. Ces relations donnaient naissance à des alliances de type amical entre familles au sein des clans et des lignages d’ethnies différentes.
2.1- La correspondance clanique et lignagère comme moyen de prévention des conflits Les équivalences au niveau des clans et des lignages dévoilaient et justifiaient de solides liens de parenté. Par exemple le clan Bumweli de l’ethnie Punu correspondait au clan Bumwedi chez les Gisir, au clan Bavonda chez les Nzcbi et au clan imondu chez les Lumbu etc. L‘établissement de ces correspondances était une sorte d’extension de la parenté. Ce phénomène d’extension permettait aux populations d’ethnies différentes d’entretenir des relations privilégiées. Un adage répandu chez les peuples Adouma, Nzebi, Akelè, Punu, Gisir etc. du sud Gabon selon lequel “le clan ne connaît pus de frontière” illustre à suffisance le caractère extensif de la parenté et constituait un facteur de paix intercommunautaire pendant la période pré coloniale. II y avait donc une interdépendance et une complémentarité au-delà des limites du territoire de I’ethnie. Cette parenté établie, il n’était pas rare de trouver des membres d’ethnies différentes vivre en parfaite harmonie dans un méme village, dans une même Ndokwe des Akele, I’Onkani, le Nkala des Ambama et des Teke, étaient à même de dissuader, de prévenir, de régler les conflits et d’imposer la paix au regard de leurs manifestations lors des initiations et des règlements des conflits, lors des débats autour des questions engageant la communauté. Ainsi, dans le sud Gabon, les sociétés secrètes initiatiques demeuraient les derniers réceptacles, les gardiennes de traditions transmises de génération en génération. Les populations, dans des zones géographiques déterminées, perpétuaient ces traditions au sein des sociétés secrètes qui étaient et sont encore l’expression d’un fond traditionnel commun même s’il s’exprime dans la diversité. Elles enseignaient une sagesse dont les préceptes utilisés par les chefs traditionnels nourrissaient le dialogue nécessaire à la résolution de tout conflit. Ces préceptes que sont la tolérance, l’acceptation de l’autre, le souci du compromis étaient à la base du succès de toute négociation. 2.2- Le partenariat commercial

Les peuples du sud Gabon ne menaient pas une vie autarcique. Ils entretenaient des relations d’échanges inter ethniques. Mais de toutes les formes d’échanges, seul le commerce favorisait l’établissement de solides liens d’amitié entre les populations de la côte et celle de l’intérieur du pays. II s’agissait d’un large réseau d’échanges commerciaux de type complémentaire auquel prenaient activement part les chefs traditionnels. Il se développa ainsi un partenariat commercial fondé sur la confiance et garantissant le bon déroulement du commerce entre les Lumbu, Vili de la côte, les intermédiaires Punu, Gisir et même Ambama et les Sangu, Tsogo, Apindji, Aduma, Nzébi etc., peuples de l’intérieur du pays. Associés, potentiels agents privilégiésdans la résolution des conflits et la restauration de la paix, les chefs qui, par ce biais, protégeaient leurs intérêts, alimentaient ces échanges de produits et de cadeaux. La fonction de ces échanges était de générer un climat de confiance favorable à la bonne marche des affaires. Ce climat permettait ainsi, tout comme la relation parentale établie au niveau des correspondances claniques, lignagères interethniques, la garantie de la paix propice à la circulation des personnes et des marchandises. Mais du fait de la pénétration européenne à l’intérieur des terres, ces rapports de partenariat s‘estompèrent, et l’établissement par ces populations des relations commerciales directes avec les commerçants européens fut un facteur de conflits inter communautaires. Car, le commerce, bien qu’ayant favorisé, dans un sens, de bonnes relations entre les peuples, n’en avait pas moins engendré de nombreux conflits dus en partie à l’attrait et à la convoitise des marchandises européennes. Le climat de paix qui caractérisait l’ensemble de la région fit place, ainsi, à un climat de tension et d’insécurité.

2.3- Les alliances matrimoniales,
gages de la paix Les chefs traditionnels qui se trouvaient au cacur des échanges commerciaux et qui détenaient le monopole des transactions commerciales grâce auxquelles ils amassaient des biens, des richesses et nouaient des relations interpersonnelles entre eux par des échanges, au niveau matrimonial, de femmes d’ethnies différentes. Ces alliances matrimoniales contractées entre ethnies voisines par le biais des chefs traditionnels avaient permis de renforcer les positions des uns et des autres dans le commerce et de garantir la bonne marche de celuici. 3- LES MECANISMES DE RESOLUTION DES CONFLITS ET DE LA RESTAURATION DE LA PAIX Les chefs de clans, de lignages et de villages formaient un collège qui représentait les peuples en conflit. Des émissaires étaient mandatés afin d’obtenir l’assentiment des groupes belligérants en vue de leur participation à la palabre en qualité de négociateurs. Ils choisissaient des médiateurs dont la mission était de retenir les points d’accord, éléments positifs susceptibles de déboucher sur ia résolution des conflits et la restauration de la paix.
3.1- Les principes et l’organisation de la palabre Lorsqu’un conflit survenait entre les peuples voisins du fait d’antagonismes sérieux, des procédures multiples étaient employées. Il y avait, tout au début, l’envoi d’émissaires. Leur rôle consistait à déterminer avec les parties adverses, des procédures et des personnes habilitées à conduire les négociations. En un mot, ils organisaient les modalités d’échange entre les belligérants. Les négociateurs dans les sociétés précoloniales du sud Gabon jouaient un rôle capital car ils permettaient de sortir les parties en conflit de l’impasse, de parvenir à un compromis et de mettre un terme aux conflits. Pour cela, ils devraient être détenteurs du verbe et avoir une connaissance parfaite des proverbes et adages, facteurs valorisant de leurs discours. Au cours de la palabre, ces éléments leur permettaient de mieux étayer leurs propos ou d’expliquer et de clarifier des situations. Le proverbe, en particulier, était l’arme principale du “Givovi” en pays Gisir, le meilleur était celui qui savait l’utiliser à bon escient. Les décisions émanant de la négociation étaient consacrées dans le cadre de ia médiation, elle-même composante de la palabre. La médiation requérait l’intervention des personnes susceptibles de faciliter ia communication, de servir de courroie de transmission entre les belligérants. Les médiateurs conduisaient ia médiation. Ils ne bénéficiaient pas du pouvoir de décision mais de ia confiance des protagonistes. La fonction de médiateur, dans les sociétés précoloniales d’Afrique au sud du Sahara, nécessitait des qualités particulières. Les médiateurs étaient choisis ou désignés en fonction de leur âge, c’étaient des vieillards, des anciens, des notables. Le critère de la sagesse prévalait ainsi que celui de ia connaissance de l’histoire de leurs clans, de leurs lignages mais aussi des clans et lignages des groupes en conflit. Le rôle des médiateurs consistait à faire entériner les décisions émanant des négociations entreprises par le collège des chefs traditionnels composé des chefs de clans, de lignages et de villages choisis par les belligérants en vue de restaurer la paix.
3.2- La procédure de ia restauration de la paix Chaque chef traditionnel selon l’engagement qui était le sien oeuvrait à l’application, dans son village, son lignage et son clan, des accords et décisions retenus par la médiation. La restauration de la paix collective découlait de l’application de ces décisions et résolutions dans chacune des aires géographiques composant l’espace où se déroulait le conflit.
CONCLUSION

Les conflits politiques d’aujourd’hui, dans 1’Etat moderne, requièrent une compréhension culturelle et sociologique, en ce sens qu’ils mettent en opposition des segments sociaux d’une même culture dans un cadre plus éclaté que celui des sociétés traditionnelles. Au coeur des conflits, on note des problèmes d’organisation sociale, de gestion des richesses naturelles, d’occupation des terres qui sont, en réalité, pensées et négociées en tenant compte des réalités culturelles des populations. Dès lors, les principes et les modalités de la prévention et la résolution des conflits sont tirés de la culture de ces populations. Il s’agit d’une culturetraditionnelle qui, malgré ia modernisation, a conservé les mécanismes qui sous tendaient l’organisation sociale tant à l’intérieur du village, du lignage que du clan. La question que nous nous posons est celie de savoir si les formulations modernes des mécanismes de prévention et de résolution des conflits, en Afrique, ne se résument pas à une modernisation des mécanismes anciens et traditionnels qui ont pour fondement la culture africaine de la paix. Il s’agit de prendre en compte et de valoriser les mécanismes de prévention et de règlement des conflits avec recours à la médiation des chefs traditionnels religieux, des leaders d’opinion et des représentants des communautés. villageoises, lignagères et claniques. L‘organisation moderne de la médiation pour la prévention et la résolution des conflits ne respecte-t-elle pas la démarche qui, transposée de la période précoloniale à nos jours donne à distinguer des protagonistes regroupés en négociateurs selon les espaces et les pôles de conflits, un ou des médiateurs choisis par eux, et le souci du négociateur de s’appuyer sur une ou des instances supérieures afin d’entériner les décisions ou les résolutions ? Les protagonistes sont les populations d’hier et d’aujourd’hui dont les représentants sont admis comme négociateurs. Le médiateur d’hier a gardé sa dénomination et sa fonction, puisque son rôle n’a pas changé : celui de recueillir les points d’accord et de divergence qui constituent l’armature de l’accord final et des engagements pour l’avenir. Le “conseil des anciens” de la période précoloniale regroupant les chefs de villages, de lignages et de clans est matérialisé aujourd’hui par la présence de représentants d’instances régionales et internationales comme l’Union Africaine (U.A.)e t l’organisation des Nations Unies (O.N.U.d) dont la compétence sert à mettre en oeuvre l’accord et les engagements pris.

Notes bibliographiques Alihanga M. Structures communautaires traditionnelles et perspectives coopératives dans la société Altogovéenne (GABON), Rome, 1 976. Loubamono Bessacque G.C., “Une lecture des rivalités lignagères chez les Ambama du Gabon”, dans lignage et territoire en Afrique aux XVIIIe & XIXe siècle, Pans Karhala 2000. Koumba-Manfoumbi M., Les Punu du Gabon, des origines à 1899 essai d’étude historique, thèse pour le doctorat de 3e cycle d’Histoire, Université de Paris I Sorbonne, 1987. Bah Tierno, les mécanismes traditionnels de prévention et de résolution des conflits en Afrique noire, disponible: http :www.unesco.org/cpp/publicatiodmécanismesedbah. Nsenguiyaremye D. et Gakusi Aie., “L‘environnement politique pour la résolution des conflits : le cas des pays des grands lacs”, dans Afrique 2000 Revue africaine de politique internationale n027/28, Avril- Octobre 1995. Touzard H., La médiation et Ia résolution des conflits, étude psychologique, Paris, PUF, 1995. 163
Monique Bouyou est une intellectuelle Punu qui a soutenue une thèse de doctorat de 3e cycle d’histoire, Université de Paris I Sorbonne, 1987 sur les Punu du Gabon, des origines à 1899 essai d’étude historique.

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