Tableau 12 : Synthèse sur
les caractéristiques des animaux sauvages
Animaux
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Caractéristiques
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Chasse
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Eléphant
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Haute hiérarchie, roi de la forêt, force
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Difficile
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Tortue
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Sagesse, intelligence, malice |
Facile
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Panthère
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Puissance, force, brutalité, souplesse, agilité,
bonne aptitude à la chasse ; gourmandise
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Difficile
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Ratel
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Dangereux, féroce, têtu
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Difficile (rare et dangereux)
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Céphalophe bleu
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Malice et intelligence
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Facile
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Buffle
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Roi des animaux à sabot
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Difficile
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Python
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Roi des serpents
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?
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Aigle
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Roi des oiseaux
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?
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Crocodile
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Roi des reptiles
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Relativement facile
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Bongo
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Beauté
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Facile mais devient rare
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I.2 Connaissances empiriques sur la faune
L'observation de la faune joue un rôle fondamental dans
la tradition africaine. D'une façon globale, les Bakota ont de bonnes
connaissances empiriques sur la faune sauvage qui les entoure. Ces
connaissances sont acquises tout au long de la vie à travers
l'apprentissage (fréquentation de la forêt et des plantations)
mais aussi grâce aux contes. Ces derniers peuvent fournir des
éléments sur les comportements et l'alimentation des animaux.
Dans le conte n°4, par exemple, on trouve quelques
renseignements sur une partie de l'alimentation des animaux cités :
l'Eléphant aime les fruits du moabi (baillonella
toxisperma) ; le Céphalophe de Peters a un faible pour les
atangas ; le Chat doré pour le charbon de bois ; la Nandinie
et la Genette aiment les bananes et pour la Tortue et le Céphalophe
bleu se sont les champignons. En se renseignant, on se rend compte que ces
données sont correctes même pour la Nandinie et la
Genette58(*), que l'on
classe dans les carnivores, mais qui sont en vérité plus ou moins
omnivores, car elles mangent aussi des fruits.
Beaucoup de contes mettent en scène la Panthère
souvent reconnue pour ses qualités de chasseuses (conte n°3), son
goût prononcé pour la viande et plus particulièrement pour
le gros gibier.
A travers les contes, les populations essayent
également de s'expliquer le monde et son organisation. En ce qui
concerne la faune sauvage, on apprend la conception locale des regroupements ou
des séparations d'espèces, pourquoi un tel vit dans les arbres et
un autre, qui lui ressemble, au sol etc. C'est le cas notamment de la
Panthère et de la Genette dans le conte n°2 qui explique pourquoi
la Panthère vit au sol et que de tant en tant elle monte aux arbres,
là où la genette vit la majeure partie de son temps. Dans
d'autres contes (que je n'ai pas retranscrit) on apprend pourquoi le Gorille ne
vit plus en bande avec le Chimpanzé ou pourquoi la Mangouste des marais
vit près de l'eau et ne mange que du poisson et non pas de la viande.
Bien sur, ce qui importe dans ces récits ce n'est pas seulement
l'explication imagée donnée mais l'information finale qui s'en
échappe.
Pour ma part, lors de mes entretiens, j'ai posé
quelques questions sur les connaissances empiriques que les hommes Bakota
pouvaient avoir sur les animaux tachetés. Il est clair que,
contrairement à la majorité des populations ouest-africaines,
celles des forêts tropicales ont des connaissances plus approfondies sur
la faune. Ceci s'explique sans doute par le fait que la faune est encore
très présente dans cette zone tropicale du bassin du Congo. De
plus, en Afrique de l'Ouest les chasseurs faisaient partis d'une caste
spécifique très fermée qui empêchait que les savoirs
empiriques sur la faune soient partagés par l'ensemble de la
communauté.
La plupart des hommes Bakota connaissent l'alimentation des
animaux tachetés59(*), leur comportement nocturne et solitaire, les lieux
où ils dorment et le nombre approximatif de bébés par
portée. Ils ne savent pas les périodes de mise bas, mais ceci
s'explique par le fait que dans les régions tropicales, il n'y a pas
réellement de saison spécifique pour les amours, contrairement
aux régions tempérées. La plupart des mammifères
peuvent donc mettre bas tout au long de l'année.
Si le caractère solitaire est connu des hommes Bakota,
il se concentre sur les périodes de chasse de ces animaux. En effet,
pour eux, la femelle et le mâle chassent chacun de leur
côté, mais le soir, ils se retrouvent dans leur
« logis » avec les enfants, or, ce n'est pas le cas dans la
nature. Je pense, hormis le fait que ces animaux soient toujours en couple dans
la tradition orale, qu'il s'agit là d'une vision sociale du mariage et
du célibat dans la société Bakota, plus qu'une croyance en
ces contes. Le célibat chez les hommes (encore plus que chez les femmes)
est très mal vu et assez mal vécu, d'autant plus que ce
phénomène s'accentue à cause de la flambée des
coûts de la dot. Il est donc inconcevable pour eux qu'un homme puisse
vivre sans femme et ceci même dans le règne animal.
Enfin, les connaissances sur le monde qui entoure l'Homme
peuvent être acquises par l'étude de l'univers animal. Ainsi,
l'animal peut être l'intermédiaire entre l'Homme et la nature.
Beaucoup de peuples africains ont en effet appris depuis longtemps à
utiliser la faune comme source d'informations sur leur environnement. Les
oiseaux sont notamment beaucoup utilisés de cette manière. Chez
les Boran du nord Kenya, les cris aigus du pique-boeuf signifient qu'un gros
animal est proche, quant à l'oiseau indicateur, il est un signe
infaillible pour qui veut trouver du miel (Isack cité par Chardonnet
et al, 1995). Chez nos Bakota, l'arrivée des cigognes60(*) annonce le début de la
petite saison sèche qui précède la grande saison des
pluies. Une étude plus approfondie sur ce thème serait fort
intéressante, en particulier dans le domaine de la chasse.
I.3 Classification locale de la faune sauvage
Bien que la classification des animaux chez les Bakota
ressemble à la classification occidentale linnéenne, elle n'est
pas basée sur les mêmes critères. La première est
essentiellement basée sur les ressemblances physiques et
comportementales, ce dernier critère ne rentrant pas dans la seconde
classification. Comme pour le reste, on retrouve des éléments
d'explication de cette classification, dans certains contes. Je tiens à
préciser que la classification qui suit n'est pas exhaustive.
· Les animaux carnivores à
griffes
La plupart des carnivores sont regroupés ensembles et
ils font tous partie de la famille de la Panthère. Leurs
caractéristiques en commun sont les griffes (critère de base) et
leur alimentation à base de viande, même si les fruits et le miel
interviennent parfois. Les animaux à la robe tachetée sont
considérés comme étant les frères de Ngoye
la Panthère, les autres étant leurs cousins.
Famille de Ngoye : la
Panthère ; les genettes servaline et tigrine ; la Poiane
centrafricaine ; la Civette ; le Chat doré ; la
Nandinie ; le Ratel ; les mangoustes et les loutres.
Seule la mangouste des marais61(*) a une place à part dans cette famille, tout en
en faisant partie, car elle reste près de l'eau et mange du poisson et
non de la viande. Cette séparation est expliquée dans un
conte.
· Les animaux à main
Les singes sont tous regroupés
ensembles car ils se ressemblent et ont tous des mains. Les Bakota les
distinguent quand même en deux sous-groupes : le premier est celui
des singes qui vivent dans les arbres avec une queue, il s'agit de la
Famille de Kaku qui comprend le Hocheur ; le Mangabey
à joues grises ; le Cercopithèque de Brazza ; le
Cercopithèque pogonias ; le Moustac ; le Colobe guereza ;
le Colobe noir62(*) ;
le Miopithèque de l'Ogooué ; le second regroupe les singes
vivant principalement au sol et qui ne possèdent pas de queue, il s'agit
de la Famille de Djia avec le Gorille, le
Chimpanzé ; le Mandrill.
Je tiens également à signaler que certains de
mes interlocuteurs m'ont parlé d'un petit singe Maïko qui
se déplacerait toujours avec les chimpanzés mais je n'ai pas pu
l'identifier.
Les Galagos et les Pottos sont
regroupés dans la même famille. Je n'ai pas pu identifier tous les
galagos présents dans la région, mais selon mes notes, les
animaux appartenant à cette famille sont : le Potto de
Bosman ; les galagos de Garnett, d'Allen et mignon du sud.
· Les animaux à sabot
Les petites antilopes sont regroupées dans deux
familles : la Famille de Zibo avec le
Céphalophe à dos jaune, le Céphalophe bai, le
Céphalophe de Peters, le Céphalophe à ventre blanc, le
Céphalophe à front noir et le Sitatunga ; et la
Famille de Héli avec le Céphalophe bleu et
l'Antilope de Bates. Les herbivores de gros port avec des cornes font
partie de la Famille d'Ezona avec le Bongo et le Buffle.
Une dernière famille est la Famille
Ekundé avec l'Oryctérope, le
Potamochère et l'Hylochère (se sont tous des fouisseurs).
· Les pachydermes
Les Bakota regroupent ensemble l'Eléphant et
l'Hippopotame (qu'ils nomment éléphant de
rivière), dans la famille de Zoku. Ceci est
dû à la grosseur de ces animaux qui ont une peau épaisse et
des empreintes semblables.
· Les reptiles
Chez les reptiles ont a deux familles : la
Famille de Ntotché avec le Crocodile nain ;
le Crocidure ; le Faux gavial et le Varan ; et la Famille des
Tadji (pl. Batadji) qui regroupe tous les serpents dont les plus
connus sont le Mamba noir ; le Mamba vert ; la Vipère du
Gabon et le Python.
Les autres grandes familles d'animaux sont celles des
Oiseaux Bonodji dont le chef est l'Aigle
mbéla ; des chauves-souris
indémé et des écureuils dont les
plus communs sont l'Ecureuil nain bwandamwéli et les
finisciures rayés hendé et à pattes rouge
éboko.
Il existe aussi des animaux qui ne rentrent pas dans une
catégorie spécifique soit parce qu'ils peuvent vivre dans des
milieux différents, soit parce qu'ils ont des caractéristiques de
plusieurs catégories. C'est le cas pour la Tortue, à la fois
terrestre et aquatique, du Pangolin qui a des griffes (aux pattes avant mais
pas aux pattes arrières) sans être un carnivore et aussi du Daman
des arbres qui vit dans les arbres sans avoir de queue, ni de main.
Nous pouvons conclure de cette classification que les Bakota
organisent le monde dans lequel ils vivent en basant leur logique
classificatoire sur des connaissances approfondies des qualités
biologiques et comportementales des animaux.
I.4 Vie Quotidienne et éthique sociale
I.4.1 Evènements importants dans la vie d'un Bakota
La mise en situation des contes met en valeur les pratiques et
les évènements importants dans la vie du Bakota. C'est pourquoi,
la majorité des contes se déroulent :
1) lors d'une partie de chasse collective au
filet, au campement ou au piége (contes n° 1, 2 , 3)
2) lors de partie de pêche (conte
n°7)
3) lors d'un mariage ou plus exactement lors
de la dot de la future mariée (conte n°6)
4) lors d'une naissance (conte n°1)
5) lors des circoncisions (conte n°5)
Nous remarquons que tous ces contes se situent dans un
contexte traditionnel, où la modernité est absente. Nous pouvons
aussi dire que les contes, et sans doute toute la littérature orale,
sont à la fois vecteur mais aussi mémoire de traditions qui ont
à l'heure actuelle disparu. C'est le cas par exemple de la chasse aux
filets, les pièges à fosse ou encore les dots où la viande
de brousse a été remplacée par l'argent.
I.4.2 L'éthique sociale
Les contes, comme les proverbes, sont vecteur d'une morale
socialement admise par l'ensemble de la société. Comme me le
disait un vieux Mahongwé de Zadindoué, « Les contes
sont des enseignements qui nous disent comment nous comporter »,
que cela soit lors de la vie quotidienne ou lors d'événements
particuliers. Ils nous permettent de mieux comprendre les problèmes que
la société et la vie posent aux membres de la communauté
qui les produits. Les solutions proposées à ces problèmes
sont soumises au jugement des membres du clan, jugement de la
société sur elle-même. Ainsi « les contes
sont des témoins de l'intérieur, non des observateurs
étrangers » (Lacoste-Dujardin, cité par Chardonnet
et al, 1995).
Je ne vais pas m'appesantir sur ce sujet, qui n'est pas
l'objet central de ma recherche. J'ai tout de même souhaité mettre
en avant la notion de partage qui semble être
très importante pour les Bakota, car elle se retrouve dans à peu
près tous les contes. En effet, nous voyons que dans les contes n°
1, 2, 3 et 6 le fait de ne pas partager le gibier chassé est
stigmatisé. Il est mal vu qu'un chasseur chanceux ne partage pas ses
proies avec les autres membres de sa communauté.
Ceci est assez commun dans les sociétés
forestières où l'égalité entre ses membres est
maintenue principalement par le « nivellement » : qui
cherche à changer de statut, à profiter d'une position de
dominance politique ou sociale, ou à vouloir s'enrichir au
détriment des autres membres de sa communauté, est très
rapidement ramené, par le groupe, à un comportement plus modeste,
par la critique, l'ostracisme, voire la sorcellerie.
Chez les Baka du Sud-Est Cameroun, Christian Leclerc (2001)
explique aussi cette notion de partage à travers l'étude des
contes et des mythes de cette ethnie. On y découvre une ambivalente
duplicité chez les Esprits qui peuplent la forêt, notamment
Kosè, esprits d'approvisionnement mais aussi esprit du sorcier
à l'origine de la jalousie. Kosè veut que tous soient
égaux, c'est-à-dire que les ressources dont il permet
l'accès soient partagées entre tous, et il n'est satisfait que
lorsque toute la communauté dispose de nourriture, sans quoi la jalousie
survient (Leclerc, 2001 : 295).
Je n'ai pas connaissance d'un Esprit tel que
Kosè chez les Bakota. Par contre, il existe bien le
« sorcier jaloux » mais qui, là, est un homme et non
un Esprit. En fait, il s'agit de sorciers malfaisants et jaloux
possédant donc de bonnes connaissances en sorcellerie et qui ont le
pouvoir de se métamorphoser en n'importe quel animal pour attaquer ses
victimes en pleine nuit. Les Bakota nomment ces sorciers, que personne ne
connaît, les « Vampireux » et c'est sur eux (ou en
tout cas la peur qu'ils suscitent) que repose l'équilibre social du
groupe, car bien que tous les craignent, ils sont les garants de
l'équité sociale entre tous les villageois.
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