Le présent travail est envisagé comme une sorte d’autopsie de la dénomination des lieux chez les Punu. Le corpus sur lequel il s’appuie est tiré du livre de Mukumbuta Lisimba778. Il est question, dans cette entreprise, de la formation des noms de villages punu se rapportant ou non à la nature, en montrant comment les punu, en particulier, et les Gabonais, en général, relatent « des expériences sociales, couvrant des activités humaines et même des attitudes mentales (…) mais aussi comprendre les valeurs, (…) et l’histoire (…) du peuple gabonais779.» Notre apport vise à mettre en évidence des catégories de noms de lieux, en mêlant quelques notions de l’analyse quantitative comme les tris à plat, métrant judicieusement les typologies780 les plus fréquentes dans cette étude. Un autre point exploité par l’auteur du corpus, est magistralement souligné par Mouguiama-Daouda en ces termes: « Les hypothèses de Lisimba, un des rares chercheurs à exploiter systématiquement les noms des villages pour faire l’histoire, s’accordent avec ce que les autres outils de la linguistique historique suggèrent. Lisimba utilise un axiome simple pour sa démonstration : l’utilisation des termes de l’environnement (arbres, rivières, montagnes, etc.) pour désigner les villages est proportionnelle à la durée d’implantation de l’ethnie à cet endroit. Donc un nombre élevé de termes de l’environnement dans les dénominations des villages est un indice d’ancienneté. Les dénominations qui font référence à des valeurs sociales traduisent au contraire une installation récente. L’étude des noms des villages a mis en évidence le caractère récent des migrations fang à l’intérieur du Gabon, et son orientation suivant un axe nord>sud. Elle révèle une implantation ancienne des Duma-Nzébi dans leur espace, au contraire des Myènè, Punu, Tsogo dont l’implantation dans leur actuel espace est relativement récente. Il faut bien comprendre que ce travail nous renseigne sur des migrations qui se sont déroulées à une époque relativement proche781.» Sur le plan des migrations et de l’attribution des toponymes, nous en tirons profit. Tel n’est pas le cassur le plan de la linguistique quantitative. Mais cela constitue, tout de même, une indication nécessaire à partir de laquelle nous partirons pour scruter le corpus de Lisimba782 en vue d’établir des catégories de toponymes. C’est un travail liminaire qui interpelle la sociolinguistique africaine. La sociolinguistique, de manière générale, s’efforce de comprendre les phénomènes observables (l’empirisme), de les analyser tels qu’ils se pratiquent réellement en prenant en compte les facteurs politiques, géographiques, démographiques et sociaux auxquels ils sont toujours associés. Sociolinguistique africaine pourquoi ? Tout simplement, parce que cette étude porte sur un terrain africain. Il faut préciser que ce n’est pas de la sociolinguistique à la mode ou à la sauce africaine mais que l’Afrique, de manière générale, ou le Gabon, de manière particulière est perçu « comme terrain et pas seulement comme lieu d’enquête783. » Notre dessein est de « dégager ce que ces situations ont de spécifique, et donc construire une approche spécifique de ces situations784.» Notre motivation première est d’appréhender et de saisir comment les Punu habitant les villages nomment et occupent leur territoire. En parcourant le livre qui fait l’objet de notre corpus, nous avons remarqué une kyrielle de d’attributions différentes les unes des autres présentant diverses attitudes et contextes de nomination de lieux. Pour « pénétrer » ces faits, un survol de la situation sociolinguistique du pays punu est nécessaire.
I. Situation sociolinguistique du pays punu
1. Contour général Le pays punu est vaste. Il est situé au sud du Gabon dans les provinces plurilingues de la Nyanga et de la Ngounié. Il partage ses frontières avec le pays nzebi vers Lébamba au sud-est, au Nord-centre avec le pays vungu-gisir (à 12 Km de Mouila), au sud-Gabon avec le pays lumbu-vili aux environs de Mayumba. Les locuteurs disent parler le ipunu et l’ethnonyme est donc punu. A l’origine, on trouvait les Punu ou les Bapunu dans des villes ci-après : Mouila, Ndendé, Moabi, Tchibanga, Mayumba et les départements suivants: Douya-Onoye (Mouila), Dola (Ndéndé), Mougoutsi (Tchibanga), Douigny (Moabi), une partie de la Basse-Banio (Mayumba), Dutsila (Mabanda), Mongo (Mulengui-Binza). Mais à partir des indépendances, on a assisté à un exode rural des Punu dans les villes de Port-Gentil, de Gamba en raison des activités pétrolières qui s’y déroulent, à Moanda et à Mounana pour travailler dans les industries minières, à Lambaréné et dans les environs de Libreville pour exercer dans l’industrie oléagineuse et dans celle du caoutchouc. Ils sont localisables sur la Nationale 1 en partant de Libreville jusqu’à Kango en tant que cultivateurs et producteurs de banane, de taro, d’igname et de musungu785.
2. Situation démolinguistique des Punu
Sur le plan démographique, les locuteurs du ipunu sont inclus dans le groupe ethnolinguistique sira-punu qui englobe les locuteurs parlant des langues telles que : le ilumbu, le gisira, le isangu, le ibwisi, le givarama, le givungu, le irimba786 et le ngubi.Le RGPH estime le groupe sira-punu à 24 % de la population gabonaise787. Sur le plan migratoire, « tous les récits de migrations des Punu du Gabon ne débutent pas aux sources du Kasaï: tous par contre évoquent leur séjour au royaume du Kongo: Venus du sud (tous d’accord ; du Congo en traversant le Niairi (tradition de Mouila) : du Niairi, de Loango et de Mossendjo (tradition de Ndendé), de Bibaka aux sources de la Nyanga (tradition Tchibanga). Guidés par les Pygmées (Babongo) qui faisaient la boussole » vers le bon pays, ils ont suivi les savanes de la Ngounié. Ne connaissant pas le taro, ils vivaient d’ignames et de bananes. La recherche de nouveaux espaces fertiles et giboyeux provoque le départ de nombreux clans (…) du Niairi788.» Sur le plan linguistique, le pays punu est marqué, à ses frontières administratives, par une pluralité linguistique comme la plupart des régions gabonaises. A travers cet espace, le ipunu est une langue vernaculaire. Il est quelquefois en concurrence avec le français, langue exogène qui joue, depuis 1849, date de la fondation de Libreville, le rôle de langue véhiculaire au Gabon. Le ipunu a ses variétés dialectales qui ont déjà fait l’objet d’un examen du moins sur le plan lexical789. Le pays punu a, actuellement, sur son territoire des Pygmées-bantu et des Bantu qui sont d’ailleurs les plus nombreux790. Le nombre effectif des langues au Gabon est problématique. Certains chercheurs l’estiment autour d’une soixantaine, d’autres l’évaluent à plus d’une soixantaine. Parmi ces innombrables langues bantu, Pierre Ondo Mébiame a réalisé, en 2009, une compilation des classifications qui existent sur les langues gabonaises. Il en signale 15 qui sont toutes différentes les unes que les autres. « A ce jour, aucun de ces travaux ne tranche véritablement sur le nombre de ces langues, ni sur une classification qui rassemble. Hormis la volonté des chercheurs et des structures auxquelles ils appartiennent, de s’attaquer (en vue de les résoudre) à ces deux aspects qui aideraient fortement à fournir une photographie précise de notre situation linguistique, il y a aussi la difficulté de parvenir à la distinction nette entre les notions de langue et dialecte. C’est pour cela que, à la suite de Kwenzi Mikala (1987), nous opérons ici avec le terme de parler, en raison, de sa neutralité791.» Voir la carte n° 1,des langues du Gabon.
3. Hypothèse
Nous partons d’un constat : les toponymes abondent en pays punu. Cela traduit l’existence d’une population nombreuse qui est en concurrence linguistique avec d’autres populations dans le territoire ou dans l’espace. Dans un contexte monolingue, peut-on avoir une typologie plus importante que toutes les autres ? Quels en sont les chiffres ? Il est question d’analyser les contextes de dation de noms de lieux et opérer un calcul à plat de ces mêmes énoncés toponymiques en vue de relever la vision du monde des Punu. Il importe de comprendre à quoi sert la sociolinguistique africaine et ce qu'elle peut nous révéler sur l'état des noms de villages dans les sociétés.
africaines (à tradition orale) en général et gabonaises en particulier. Pour mener à bien cette étude, nous suggérons le plan suivant:
i. Caractéristiques syllabiques de noms de villages punu;
ii. Quelques traits de la morphologie de noms de villages punu;
iii. Approche sociolinguistique des noms de villages : perspective de sociolinguistique africaine;
iv. Typologies des toponymes en pays punu;
v. Tris à plat des typologies en pays punu; vi. Synthèse de l’étude.
4. Caractéristiques syllabiques de noms de villages punu
Il faut rappeler qu’au départ la langue ipunu a été analysée sur toutes ses structures du moins sur le plan phonologique, morphologique, pragmatique, ethnolinguistique et sociolinguistique, respectivement par Moussounda Ibouanga792, Kwenzi-Mikala793, Nsuka Nkutsi794, Blanchon795,Puech796. Dans la plupart des noms de villages, la syllabe est ouverte quand les items se rapportent aux noms communs. Notre corpus se caractérise par les types de syllabes, ci-après:
Première partie
Source: Firmin MOUSSOUNDA IBOUANGA