Introduction
L’Afrique en général, le Gabon en particulier, connait des bouleversements socioculturels rapides dont les manifestations apparaissent au niveau des pratiques culturelles, religieuses ou dans la façon de concevoir le monde. En Afrique, la littérature orale même dans son pendant moderne est d’abord et avant tout partage, car toute la communauté participe aux différentes manifestations culturelles. C’est la culture dansson entièreté, les us et coutumes, toutes les pratiques traditionnelles étant en effet le socle qui fonde la littérature populaire.
Or, dans un contexte historique marqué par de profondes ruptures et mutations, les gabonais se retrouvent aujourd’hui écartelés entre deux mondes et produisent par conséquent des discours, des textes qui sont à cheval entre tradition et modernité. L’oralité connait donc maintenant quelques changements liés à la fois à l’évolution temps et aux nouvelles pratiques en vigueur.En prenant comme référence l’époque dite purement traditionnelle, notre réflexion s’attachera à identifier et à analyser les nouvelles formes de l’oralité à travers des pratiques urbaines et contemporaines. Nous partirons du postulat selon lequel, en milieu urbain, des nouvelles tendances sont observables dans les pratiques traditionnelles. Cette étude portera sur la palabre en tant que composante importante de la littérature orale et en tant que pratique sociale qui s’inscrit dans une situation de communication qui impose un enjeu, des contraintes aux différents acteurs sociaux qui échangent des paroles dans un cadre bien précis. Ce cadre est celui de la communication garantissant la cohésion et l’harmonie du groupe dans un contexte de mort ou de mariage à la coutume.Il s’agit donc de voir comment les acteurs de la palabre, les lieux,les discours, les symboles et les pratiques elles-mêmes ont évolué. En d’autres termes,nous voulons cerner les lieux de production des discours oraux actuels en interrogeant les dynamiques sociales et culturelles qui maintenant les portent. Le choix de la palabre nous permet situer, d’indiquer sa place dans la vie moderne. Ainsi, les extraits de textes que nous allons analyser seront vus sous l’angle de leur actualisation renouvelée par des acteurs qui s’expriment soit parce qu’ils ont le droit de dire » qui leur est conféré par la société, soit parce qu’ils sont inspirés ou influencés par les réalités actuelles. Cette réflexion sera abordée dans un contexte sociologique de l’ethnie punu du Gabon.Le développement des villes, la mobilité ainsi que le croisement des populations ayant entrainé un nouveau mode de vie, il s’agira de savoir et d’interroger les changements qu’on note aujourd’hui dans les rites funéraires, au mariage coutumier quant aux usages anciens.Notre analyse s’appuiera sur un ensemble de faits sociaux et quelques extraits de textes collectés lors d’un travail d’enquête menée lors de nos différentes recherches en pays punu. Cette démarche a pour avantage de prendre en compte tout le contexte de production des discours pour en saisir correctement la portée. Pour cette étude, nous retenons deux articulations principales, à savoir : La palabre traditionnelle punu : de la tradition à la modernité ; De la performance dans la palabre traditionnelle punu.
1. La palabre traditionnelle punu : de la tradition à la modernité
La palabre traditionnelle est une pratique qui consiste à réunir les membres d’une communauté dans le but d’échanger, et donc de communiquer, suivant des procédures éthiquement bien définies aux fins de rétablir un ordre momentanément perturbé. Elleest une manifestation culturelle qui fait appel à l’usage de la parole en tant qu’objet esthétique. Elle est aussi une mise en scène codifiée qui obéit à un mode dereprésentation dont la compréhension n’est possible qu’à travers le système social qui la produit ; elle est «la réduction d’un conflit par le langage, la violence prise humainement dans la discussion du verbe, un dialogue s’achevant par la communion» (B. Atangana, 1964, p. 461).La palabre se caractérise par la production d’un discours global qui s’organisetravers trois grandes phases. Il y a d’abord la phase introductive qui se traduit par undiscours bref et concis, une formule rituelle énoncée par un acteur dont le statut estdéterminé par la coutume ou dont la légitimité relève de l’identité sociale. Au cours de cette étape les phrases ci-après sont prononcées :« Bigulu mambwé matudjilimba(que ceux qui écoutent les problèmes prêtent attention) na kodu na kodu bunzombwé(silence de tous les côtés » l’assistance répond en chœur« limba/ yékè ». Celles-ci signifient « à votre attention s’il vous plaît » et ont pour rôle de solliciter et capter l’attention de l’auditoire qui répond «oui/silence ». Dans une sorte de simulacre, dans le cas du mariage, les parents de la jeune fille feignent d’ignorer ceux du prétendant. Dans ledeuxième cas, c’est-à-dire celui de la palabre autour des rites funéraires, ce sont les parents maternels qui font semblant d’ignorer le but de la rencontre. Des questions telles que« fikefikenane vo dimbu diami nane diambu yi »« puel batu nanyangu vave diambu yi?» sont posées.Ces paroles qui traduisent l’étonnement et qui signifient« pourquoi il y a autant de monde aujourd’hui ici» marquent le début de la palabre. Bien plus, elles invitent l’échange, la communication quant à la présence inhabituelle de tant des présences.Ensuite, qu’il s’agisse de la palabre de mort ou de mariage, il y a le débat qui se caractérise d’une part, par unréquisitoire accablant et un plaidoyer solide d’autre part.
Le principe dans cette phase consiste pour les uns à attaquer, et pour les autres à contre- attaquer. La discussion très vive, repose surpposition Plaignant / accusé, toi/moi, vous / nous et s’articule autour d’un rapport de force qui amène chaque partie à défendre sa position grâce à un argumentaire cohérent nourri de proverbes, de jeux de mots, des techniques oratoires qui font la richesse du verbe chez les punu.Dans le cadre d’une palabre de mort, l’oncle maternel (ou son représentant) du disparu affronte verbalement le père du défunt à qui il demande d’élucider les causesde la mort de leur fils. Lorsque la personne disparue est une femme mariée, c’est-à-dire celle dont les parents ont reçu matériellement la dot, la responsabilité de donner les causes de la mort incombe au mari de cette dernière.Egalement, à l’inverse la femme mariée sera tenue de donner les raisons du décès de son époux. S’agissant du mariage traditionnel, un porte-parole du prétendant (son père, le neveu du père ou un représentant) se retrouve face à celui de la future épouse (voir le cas du prétendant).L’objectif visé au cours de cette étape estla recherche objective d’une résolution du problème posé. Enfin, le dénouement est la dernière phase, celle des décisions finales. Le débat est alors une quête vers un dénouement favorable pour tous, un compromis ou un consensus après une grande négociation qui, elle, procède du respect du « code des usages ».En réalité, la production littéraire orale punu s’inscrit avant tout dans la tradition dans ce cadre, la place des acteurs, les actions, les lieux sont connus et assumés. Il existe des critères de sélection (âge, sexe, statut social) qui fixent le rôle de chaque membre dans l’organisation de la palabre. La catégorie sociale qui a le pouvoir et la direction de celle-ci est constituée du père, de l’oncle maternel, du médiateur (en cas de blocage). Le public est un acteur incontournable de la palabre car il est formé d’une communautédes corps qui constituent l’auditoire. Toutefois, il joue à la fois le rôle de récepteur et d’émetteur, dans la mesure où il est souvent interpellé par les acteurs principauxqu’il peut approuver, désapprouver et même censurer quand c’est nécessaire. Comme l’affirme P.Ngandu Nkashama (1993, p.247), le public est donc un «auditoire susceptible de rentabiliser la parole, le discours de la palabre, la conscience sociale immédiate». En effet, tout propos n’est valable que lorsqu’il a reçu la caution du groupe.
2. Les pratiques traditionnelles et les changements sociaux
L’homme punu se conçoit en même temps comme entité autonome et comme collectivité vivante, c’est-à-dire qu’il a un esprit communautaire. Sa vie sociale, les pratiques quotidiennes qui la sous-tendent, procèdent donc du respect et de la soumission totale aux pratiques socioculturelles en vigueur. Il est un élément d’untout intimement lié et relié par des considérations endogènes de type magique, spirituel :En Afrique noire, l’art n’est pas une activité séparée, en soi pour soi. Elle est uneactivité sociale, une technique de vie et, pour tout dire, un artisanat. Mais il est question d’une activité majeure qui accomplit toute autre, comme la prière au Moyen-Age chrétien (...), il s’agit d’intégrer toutes les activités humaines jusqu’au moindre acte quotidien dans le jeu harmonieux en subordonnant les forces inférieures-minérales, végétales, animales, au jeu de l’existant humain etles forces de la société humaine au jeu de l’être divin par la médiation des états ancestraux (L.-S. Senghor1967, p. 37).Afin de perpétuer son identité, défendre son passé et revivre avec ce passé,l’hommepunu se réfère à l’univers ancestral pré-structuré, aux coutumes qui confèrent au groupe son identité et qui rappellent à la mémoire collective les comportements à observer devant tel ou tel événement de la vie sociale. Les coutumes sont « les traditionsqui englobent l’ensemble des valeurs, des symboles, des idées et descontraintes qui déterminent l’adhésion à un ordre social et culturel justifié par la référence au passé » (G. Balandier, 1963). Les traditions sont la pratique sociale par laquelle sont régulées les conduites ; elles suscitent la conformité. Elles fixent les règles et déterminent les systèmes de relations au sein de la communauté. Au contact d’autres cultures, certaines pratiques subissent malheureusement des changements qui induisent de nouvelles manières de faire, une nouvelle vision du monde. Nous pouvons ainsi nous demander comment se déroulaient le mariage coutumier dans l’optique de la palabre traditionnelle? Qu’en est-il, aujourd’hui, de ce mariage et des rituels qui lui sont liés corrélativement à la palabre traditionnelle?
Le mariage traditionnel chez les punu se faisait en trois étapes. La première consistait pour un jeune homme et ses parents à proférer des paroles et à poser des gestes en guise de promesse de mariage. Ses paroles et gestes matérialisés par un acte symbolique de grande importance, «ukummudjèb» (réserver/ fiancer sa future femme) symbolisaient un consentement mutuel entre deux familles qui devraient marier leurs enfants. Un don symbolique « ibaanz» ou «mukumunu-munu», (mariage verbal → promesse de 9mariage) était offert par le jeune homme et sa famille à celle de la jeune fille. Dès lors, la future épouse était rattachée à la famille de son mari et devrait être digne de cette dernière, mais également, honorer sa propre famille en affichant un comportement exemplaire «ubokbunumb c’est-à-dire, «tuer l’étatde vie de jeune fille ».Il faut noter que le mariage était d’abord une affaire des deux familles, la jeune fille n’avait souvent pas d’avis à donner sur le choix de son fiancé car sa volonté n’était pasprise en compte : « L’individu n’a pas de place —seul la Tribu ou le clan occupe une place prépondérante dans l’univers culturel. L’important n’est donc pas leconsentement des époux pris isolement mais l’accord des groupes constitués» (G. Balandier, 1963). Aujourd’hui, les nouvelles générations pratiquent ce que les punuappellent « nimadilemughatsi - nimadilemulumi » qui peut se traduire dans le contexte actuel par « j’ai trouvé une femme- j’ai trouvé un mari ». Cette formule traduit les nouvelles mentalités des jeunes qui, pour plusieurs raisons, excluent les parents du choix de leurs conjoints. Elle exprime à la fois la déception et la nostalgie de l’anciennegénération qui a du mal à se départir des pratiques du passé.
La deuxième étape, « diwèl /le mariage » était consacré au versement de « tsombu/la dot » qui n’était composée que des éléments symboliques. Lorsque les composantes de la dot étaient réunies, les deux familles fixaient de commun accord, le jour du mariage de leurs enfants. Les parents du jeune homme se rendaient chez ceux de la jeune fille. Une rencontre restreinte à laquelle prenaient part des parents proches était organisée. Si à l’époque purement traditionnelle, la composition de la dot varie quelque peu selon nos recherches et nos informateurs, il est cependant certain que des éléments tels que le sel, l’enclume, la machette, la hache, la lime, le chapeau (pour le père de la fiancée), la calebasse, la tête de tabac, le foulard (pour la mère de la fiancée), la marmite en terre cuite, le vin de palme, restaient incontournables.
De nos jours, la dot est une longue liste négociable ou non, qui fait l’objet d’une consignation par écrit, des marchandises périssables et non périssables. Des éléments de la modernité auxquels on ajoute d’importantes sommes d’argent font exploser la composition de la dot (cf. listes en annexe). Un repas pour clôturer cet évènement était partagé à la suite d’un rituel de bénédiction et des conseils à l’endroit des jeunes mariés. Autrefois, le jeune marié pouvait partir avec sa femme qui recevait des présents symboliques au même titre que la dot. Il s’agissait notamment des nattes, des poules et coqs, des chèvres, du panier, du mortier et du pilon, de quelques régimes de bananes. Aujourd’hui, la famille de la jeune fille se mobilise et réunit des moyens importants en vue d’accompagner la jeune mariée dans le clan de son mari. Un trousseau complet est
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