"Trommeltoon en spreektoon"

Les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé - Kamina, 8 juillet 1943
 
On a donné, je crois, l'explication suivante de la transmise de messages par l’intermédiaire de tambours: "Les langues bantu sont des langues à tons, et sur le tambour on frappe tout simplement les tons du langage parlé. Puisque les tons ont leur service sémantique de donner aux mots leur signification spéciale, il suffit pour les Bantu d’entendre les tons d’un mot et certainement d’un proverbe (énigme), pour reconnaître le mot, et certainement l’énigme".
On pourrait en conclure, et on en a peut-être conclu, que pour connaître les tons d’un mot, on ne sait faire mieux que de faire frapper les mots sur le tambour. Le système serait en effet facile. Plus d’erreur possible, on n’a qu’à enregistrer: "bas, haut, haut, bas, bas". On a même voulu "mettre la chose à l’épreuve", afin de prouver la solidité et l’exactitude du système. On prenait, par le tambour transmetteur, les tons d’une liste de mots et ensuite celui qui les avait enregistrés prenait à son tour le tambour, frappait un mot déterminé, et les Noirs savaient dire quel mots on frappait!

Nous pensions que maintenant tout était résolu. Et nous croyions appliquer le système sur la conjugaison des verbes en kiluba.. Là, il y a en effet des formes de verbes, identiques au point de vue d’orthographe, mais avec des
significations différentes d’après la hauteur des tons. Mais, il apparut d’emblée:

1) que le ton du tambour différait parfois du ton parlé,
2) que, suivant que les Noirs faisaient remarquer, sur le tambour pas toutes les nuances des tons parlés pouvaient être      rendues.

Je parlais avec M. Possoz de cette constatation "inopportune". Un de ses employés, originaire de la région du Tanganika, disait immédiatement que chez lui aussi il y a une différence entre les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé. Possoz écrivait alors au P. Hulstaert. Celui-ci ne pouvait pas trouver, dans sa région, une différence entre les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé. On lui demandait d’écrire clairement sur ce cas, et, si possible, de donner des preuves et des exemples.

Voici donc:
1) Une réflexion, qui surgit spontanément, APRES que les Noirs nous ont mis sur la voie;
2) L’affirmation des Noirs eux-mêmes;
3) Des exemples.
I. Une réflexion
Pour le tshiluba (Kasaï) on donne cinq tons: haut-bas-montant-descendantmoyen. Dans le kiluba (région Maro-Bukama-Kindu) nous retrouvons les mêmes cinq tons, avec en plus, "pour le faciliter" encore un demi-tondescendant, de haut vers le ton-moyen, et, en quelques cas (dans la conjugaison du verbe) un ton très haut. Or, sur le tambour il n’y a que deux tons... Comment alors tambouriner ces tons?

II. Voici les mots propres des Noirs
1) Les tons du tambour et ceux du langage parlé diffèrent.
2) Quand nous demandions: "bat une fois au tambour le "temps-longtempspassé" de ce verbe..." le tambourineur nous      disait:  "Je ne le sait pas, comment voulez-vous que j’imite au tambour la flexion de notre voix?"
3) Quand nous parlons, nous parlons (plions) notre voix tout à fait comme nous voulons, mais au tambour il n’y a que      deux  moitiés, deux tons.
4) Certains mots, nous ne pouvons les battre au tambour, par exemple mwâna, mwánètù, mulúndà,
     mulozi, kyondo, kóya, Sèngelwa.
5) Pour rappeler quelqu’un des champs au village (avec le tambour), nous crions (tambourinons) son nom et celui de      sa mère,  mais... si le nom de sa mère ne convient pas (kediendelapo pa kyondo), nous tambourinons celui
     de son père.

III. Exemples

Nous ne tambourinons que des formules étalonnées, connues par tout le monde comme des dictons utilisés constamment, et alors aussi immédiatement reconnaissables par les tons. Rendre par le tambour des simples phrases parlées, ne va pas.

1. Pour appeler: Numbi fils de Monga:
Kyàmúlùndùlà Nùmbì,
Númbí wá Móngà (ton tambouriné)
Kyàmûlùndùlà Nùmbì,
Nùmbì wà Móngà (ton parlé)
Pour qu’il arrive vite, on y ajoute:
Iyà lúbíló wìtábè (ton tambouriné)
Iya lubilo wìtábè (ton parlé)

2. Pour appeler quelqu’un de très loin:
Mùntù wábúlwá tùnángú wìfwánà ngùlùwè;
nábúlwé mùntù wá kútùmá, nàtúmé
kìlàmbà làmbà kyá mùsí (ton tambouriné)
Muntu wábùlwa túnàngù wìfwàna nguluwe;
nábùlwe muntu wa kútùmá, nátùme
kilamba lamba kyà músí (ton parlé )

Traduction: Celui qui n’a pas de pensée (d’intelligence, d’attention), est comme un porc. Quand je n’ai pas une personne pour l’envoyer, j’envoie un morceau d’arbre couché au sol (tambour)

3. Le soir, pour dire qu’il est temps de se coucher, et qu’on désire le silence dans le village:
Bùbáìlé, bùbáìlé bù Ngòi yà Màlèmbà.
Mùntù pándí, mùntù pándí. Wàkápìtá,
pà múkwàbò wábíngwà mwàndà (ton tambouriné)
Bùbáìlé, bùbáìlé bù Ngòi yà Màlèmbà.
Muntu pàndì, muntu pàndì. Wàkápìtá,
pà múkwabo wàbíngwa mwándà (ton parlé)

Traduction: C’est le soir, c’est le soir (la nuit) de Ngoi des nuages. Chacun chez soi (à la maison), chacun chez soi; qui va chez son voisin (et il y aurait querelle), sera mis dans son tort.

Ces données suffiront pour faire comprendre ce que nous avons expérimenté pour les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé en kiluba.
On ne demandait qu’une description plus détaillée de ce fait nouveau, poursavoir précisément ce qui, pour d’autres langues est peut-être à rechercher et à découvrir.
Il est impossible de donner des raisons correctes, des principes fixes et des règles générales concernant ces tons tambourinés. Que les spécialistes des 5 langues recherchent d’abord pour les autres langues bantu l’accord et les
différences des tons du langage tambouriné et du langage parlé.

Je crois, toutefois, que pour le kiluba, on pourrait dire ce qui suit:

1) La thèse "le langage tambouriné ne fait que rendre les tons du langage parlé", est incorrecte. On peut bien dire que le langage parlé et le langage tambouriné sont des langages à tons.

2) On doit peut-être dire, que le langage tambouriné est une imitation, un rendu approximatif ou imparfait du langage parlé? Si, du langage parlé on devait uniquement frapper sur le tambour les tons: haut-bas en supprimant
les tons montant-descendant-moyen, on pourrait parler "d’un rendu imparfait". Mais puisque toutes les syllabes sont battues au tambour, on est bien obligé de battre sur un tambour à deux tons, à la place des tons montant-descendant-moyen, des tons haut ou bas, donc des tons incorrects. Bien entendu, dans le cas où l’on veut imiter avec le tambour le langage parlé.

3) Mais... en réalité, les tons du langage tambouriné sont souvent opposés aux tons du langage parlé. Voir les exemples. Un ton bas du langage parlé devient un ton haut du langage tambouriné et vice versa. Les Noirs euxmêmes
disent ici que les tons du langage tambouriné diffèrent des tons du langage parlé.

4) Puisqu’on ne bat sur le tambour que des phrases, des formules et des dictons stéréotypés, ne devrait-on alors supposer que les sentences ont des tons propres, différents de ceux de la langue parlée? Par contre, il y a le fait qu’on donne les mêmes dictons avec le langage tambouriné et le langage parlé.

5) Le système d’enregistrer les tons du langage parlé moyennant le langage tambouriné doit être abandonné. Il reste incomplet = erroné, même si le tambourineur essaye de rendre les tons du langage parlé. Mais, s’il y a quand même des tons différents pour le langage tambouriné et le langage parlé, le danger existe que le tambourineur frappe spontanément le ton du tambour. Et alors il n’aide pas de mettre la chose à l’épreuve en frappant soi-même un mot, et de faire dire par le Noir quel mot on a frappé. Cela pourrait peut-être uniquement prouver qu’on a correctement enregistré le "ton du langage tambouriné", mais cela ne démontre pas nécessairement
qu’on a enregistré le "ton du langage parlé".

No comments :

Post a Comment