Jun 16, 2019

Quelques Devinettes Bantu


Devinettes au Moyen-Katanga (1938)
Nous communiquons ici les données que nous avons rassemblées concernant les devinettes au Moyen-Katanga.
La région envisagée s'étend des environs de Kamina, par le Lac Kisale, jusqu'au Lac Mwelu (Moëro). Les Baluba y habitent sur les deux rives du Lualaba; les Bashila sur la rive occidentale du Lac Mwelu; les Bazela entre les Bashila et les Baluba. Ces derniers parlent le Kiluba, les Bashila parlent généralement le Kibemba. Nous traitons des devinettes de ces trois groupements de peuples.
Nous devons d'abord faire la remarque que ni les Baluba, ni les Bazela ni les Bashila n'ont, dans leur langue, réservé un terme spécifique pour "la devinette". Le plus souvent, pour indiquer une devinette, on utilise indistinctement une série de termes qui signifient aussi bien un proverbe, une devinette et même parfois une fable. Il y a toutefois des termes qui signifient exclusivement "devinette": chez les Baluba à l'est du Lualaba, le mot conko ou cinki; chez les Bazela: kipuzyo et kiconeko; chez les Bashila: kiconeko .



Comment le jeu de devinettes se déroule-t-il chez les Noirs de ces régions?
Un des enfants d'un groupe pose rapidement, coup sur coup, toute une série de devinettes, jusqu'au moment où son camarade ne trouve plus la réponse et doit commencer à interroger à son tour.
Dans toute la région du Lualaba jusqu'au Lac Mwelu, il existe encore la particularité qu'on crie avant chaque question: coo! Celui qui veut répondre, crie à son tour: cinka! (Au Lac Mwelu on répond: cirika!). Ensuite, la devinette est proposée et résolue, et le tournoi de devinettes se déroule ainsi:
Coo! Rép. Cinka! Devinette... solution.
Coo! Rép. Cinka! Devinette... solution.
Comme devinette nous prenons une question de quelques mots, pour laquelle un deuxième doit trouver la réponse ou la solution. Nous n'envisageons donc pas les sentences qui sont alléguées par une seule personne.
Ainsi, si nous recueillons toutes les soi-disant devinettes que nous entendons réellement citées par les Noirs dans leurs jeux de devinettes, nous croyons pouvoir les diviser en trois catégories:
A. Des sentences incomplètes;
B. Des devinettes rythmiques;
C. Des énigmes proprement dites (suivant notre conception).

A. Sentences incomplètes
Les Noirs possèdent un trésor riche, inépuisable de locutions figées; le langage des anciens surtout est entrelacé de maximes énigmatiques.
Un grand nombre de ces sentences sont bipartites et il arrive souvent qu'on énonce uniquement la première partie d'une sentence bipartite, la deuxième, connue par tous les assistants, est alors seulement pensée. D'autres fois cette seconde partie est ajoutée, en coeur, par les assistants.
Quand on demande aux anciens s'il s'agit ici d'une devinette, ils répondent décidément non;  La réponse est d'ailleurs trop facile; elle consiste uniquement à compléter une sentence connue universellement.
Pali icatunke
Kuli muswema tawibutúkila
Où quelque chose l'encourage
Là un garçon ne s'enfuit pas.
C'est-à-dire, quand un grand frère s'apprête à l'aider, un petit garçon ose injurier un plus âgé.
Quand on utilise ce dicton comme devinette, la question sera: Pali icatunke... Où quelque chose l'encourage: la réponse: Kuli muswema tawibutúkila... Là un garçon ne s'enfuit pas.
La version kiluba de ce dicton sonne:
Mwanuke katukana kuulu
Munshi mudi múkulu
Un petit garçon injurie d'en haut (d'un arbre par exemple)
En bas il y en a un grand.
Quand un petit garçon a le courage d'injurier un plus âgé, on peut être sûr qu'il y a quelque part un grand qui est caché, prêt à aider le petit. Nous avons entendu proposer aussi ce dicton avec comme question: Mwanuke katukana kuulu... et comme réponse: Munshi mudi múkulu.
Voici encore quelques autres exemples de dictons qui sont aussi utilisés comme devinettes:
Badya ngwena baseka;
Ngwena akadye mwana muntu, badila.
Ceux qui mangent un crocodile rient;
Mais quand le crocodile mange un enfant de l'homme, ils pleurent (les hommes).
Maintenant vous riez sans souci, mais attention, le malheur peut encore vous frapper! Dans la devinette la question propose: Bady ngwena baseka, le reste sert de solution.
Kayo ká nkuti,
Kokenda na mana, kokaya na mana.
D'un côté la trace d'un ramier s'avance par les doigts du pied
De l'autre côté, elle retourne par les doigts du pied.
A la patte d'un pigeon, trois doigts sont tournés en avant, un doigt en arrière. - Quelqu'un qui a de mauvaises intentions se présente la bouche pleine de belles paroles, mais derrière cette amabilité il cache son unique intention: son plan méchant. On ne peut pas se laisser abuser par des témoignages extérieurs, abondants; on doit fixer uniquement son attention sur cette seule chose secrète cachée derrière l'amabilité (c'est cet unique doigt tourné en arrière).
La devinette se présente ainsi:
Q. Kayo ká nkuti
R. Kokenda na mana, kokaya na mana.


B. Devinettes rythmiques
Dans certaines devinettes le sens de la question ne semble pas donner la moindre indication pour trouver la solution. On ne trouve pas un point de comparaison et les Noirs aussi ne peuvent pas dire, pourquoi cette question-là leur suggère telle réponse déterminée.
Dans d'autres cas, la question même ne semble pas du tout avoir de signification et elle ne consiste qu'en une suite de sons, et pourtant, tous connaissent l'unique réponse correcte.
Palata pálata, est une devinette kiluba; la réponse:
Lwayo kamweka búfuku.
(Palata pálata... La trace n'est pas visible la nuit).
Palata paláta,ainsi on présente une deuxième question, avec comme réponse:
Lwayo kamweka pa mála
(Palata paláta... La trace n'est pas visible sur le rocher).
Dans ces deux exemples on voit clairement que c'est uniquement le glissement du ton qui donne lieu à une réponse différente. Dans la première question on a pálata, dans la deuxième paláta.
On aura remarqué également que dans les deux devinettes le rythme de la question et de la réponse s'accorde:
Palata pálata Palata paláta
... kamweka búfuku ...kamweka pa mála
Le sujet lwaya ne compte pas dans l'accord du rythme, mais il est placé au début comme un élément nécessaire de la phrase.
Il y a d'autres devinettes dont la question a bien un sens, mais alors un sens qui ne semble avoir que peu ou pas de rapport avec la signification de la solution. Comme exemple cette devinette kiluba:
Q. Kashinda kunkunku ne kwa Umpungu Lenge.
R. Bakutumine tombolwe, abe kokaleta kyadi.

Q. Un petit sentier qui se prolonge jusqu'à Umpungu Lenge (et s'arrête là).
R. On vous a envoyé chercher un coq, alors n'apporte pas une poule.
Concernant de pareilles devinettes, où nous n'arrivons pas à trouver de rapport entre la question et la réponse, nous avons souvent demandé: "Mais comment connaissez-vous la solution, si vous ne comprenez même pas la question?" La réponse se réduisait chaque fois à ceci: "C'est une devinette! C'est ainsi, voilà tout". Jusqu'à ce que, enfin, un de nos séminaristes nous donne la réponse; Nous connaissons la réponse par l'accord des sons", et par quelques exemples il était clair qu'il visait le rythme.
Ce même séminariste y ajoutait que chez lui, chez les Baluba du Lualaba, on doit chercher la solution de la plupart des devinettes dans le rythme de la question et non pas dans son sens.
Cette explication pourrait peut-être manifester un aspect plus rationnel et plus intéressant dans beaucoup de devinettes qu'on estimait jusqu'à présent être stupides et privées sens, et, aussi dans d'autres régions du Congo, on doit sans doute chercher dans leur rythme et non pas exclusivement dans le sens, l'importance de certaines devinettes.
Voici encore quelques devinettes rythmiques:

Q. Kashibi mú saka.
R. Moyanga bantumbi míkila.

Q. Un petit pot sur le toit.
R. Les souris y lavent leur queue.
L'accord du rythme commence par bantumbi.
Q. Conconkendé conconconkedénde.
R. Kibayo wa nkuvu kasendwa mikánda.
Q. Co... etc.
R. On ne peut couper en bandes le bouclier de la tortue.
Q. Papápala.
R. Twakóile ne bakwetu... memá noto.
Q. Papápala

R. Moi et mes camarades nous allions nager... l'eau était pleine de boue.
L'accord du rythme: Papápala... memá ntoto.
Q. Nkinkídi kidiba.
R. Mbwa wibyaa kuulu kenyáa kuboko.
Q. Nkindíki...

R. Le chien se gratte les pattes, non pas son bras.
(Avec ses pattes de derrière, il peut se gratter les pattes de devant, mais pas ses pattes de derrière). L'accord du rythme: Nkindíki kidiba... Kenyáa kuboko.
Q. Kishiki mwíbulu.
R. Mamwenepo... kishiki ná ntapo.

Q. Un tronc d'arbre sur la plaine devant la case du chef.
R. Coupez-vous jamais un tronc d'arbre avec tatouage?
Chez les Baluba on ne peut pas circuler librement sur cette plaine. On croit y voir quelqu'un et on demande: "Qu'est-ce que c'était là?" Si on veut vous faire croire que c'est un tronc d'arbre que vous avez vu, vous savez bien que cet homme ment et vous lui dites: "Coupez-vous jamais un tronc d'arbre avec du tatouage? Ce que je voyais, était tatoué (c'était bien un homme)".
Q. Nsengo pa kuyulu tébatéba.
R. Bali bankasampe kebabulwe léka léka.

Q.Des cornes qui se dressent sur une termitière.
R. Il y a là des gamins, ils ne peuvent pas rester tranquilles.
Des gamins ne peuvent pas se tenir tranquilles.
Les exemples Kiluba de devinettes rythmiques proviennent des Baluba et des Bazela. Chez les Bashila cette espèce de devinettes semble moins fréquente. Voici tout de même quelques exemples:
Q. Kalindi kamposhónga.
R. Pita kule wintonénka.

Q. Un puit grand ouvert.
R. Garez-vous pour ne pas vous faire du mal (en tombant dedans).
Q. Pose nsono kwishília.
R. Ulase noko kwibéle.

Q. Jette un caillou sur l'autre bord.
R. Vous frappez votre mère sur la poitrine.

C. Enigmes proprement dites (suivant notre conception).
Ici on n'a pas besoin d'explication. Dans les devinettes rythmiques, l'énigme consistait dans le rythme; dans cette troisième catégorie, elle consiste dans la signification de la question. Le mot de l'énigme se laisse deviner à partir du sens de la question. Par exemple cette énigme des Bashila:
Q. Nganda yabulo mwinshi.
R. Liyai.

Q. Une maison sans porte.
R. L'oeuf.
Et cette autre:
Q. Wa mukonzo umo.
R. Bowa.
Q. Avec une seule patte.

R. Le champignon.
Q. Koni kalalika pa mulalingi.
R. Ninda.

Q. Un oiseau qui siffle au sommet d'un arbre.
R. C'est le pou (sur un seul cheveu).
Q. Mwanda wapyata Lesa.
R. Nsoka.
Q. Une corde faite par Dieu.
R. Un serpent.
Q. Kalimo kalibomba.
R. Lipala.
Q. Un travail qui progresse par soi-même.
R. La calvitie.
Encore quelques exemples kiluba:
Q. Ntando watema, bashala enka babidi bemene.
R. Matwi.

Q. La brousse est brûlée, seules deux (choses) restent (dressées) debout.
R. Les oreilles (après qu'on a rasé la tête de quelqu'un).
Q. Kadilo katema pa mulu.
R. Katema mu mpala ya ngee.

Q. Un petit feu qui brûle sur la hauteur (sur le sol).
R. Cela brûle dans la tête du léopard (ses yeux qui brillent dans l'obscurité).

N.B. - Pour la clarté, nous avons précisément cherché les devinettes de chaque catégorie qui appartiennent uniquement à la première, la deuxième ou la troisième catégorie. Pareilles devinettes sont plutôt rares. Une "sentence incomplète" est souvent rythmique et fait alors aussi partie des "devinettes rythmiques". Parfois les devinettes rythmiques suggèrent aussi la solution, par leur sens et se rattachent ainsi à la troisième catégorie, celle des "énigmes proprement dites".
Nous nous tromperions en croyant que l'on peut classer tout le trésor des devinettes des Noirs en trois catégories bien distinctes. Ce qui est certain, c'est que les trois catégories existent et que les devinettes peuvent être rangées dans un de ces groupes; mais, souvent, elles présentent en même temps des caractéristiques de deux catégories et appartiennent donc aussi bien à l'une qu'à l'autre. Pour ne citer qu'un seul exemple:
Q. Ami mwine kunso.
R. Ngoma yami konzi.

Q. Ce n'est pas moi que vous aimez.
R. Mon tam-tam pour votre danse (c'est lui seul que vous désirez).
Comme on peut le voir, cette sentence des Bazela appartient à la première et à la deuxième catégorie; en tant que devinette elle est une sentence incomplète et en même temps une devinette rythmique
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6. Classement des devinettes par thèmes
Nous proposons ici un choix tiré d'un recueil de plus de 1500 devinettes que nous avons notées à Lukonzolwa et à Kilwa, sur la côte occidentale du lac Mwelu.
Puisque les riverains du lac sont régulièrement en contact avec les gens de l'intérieur, on peut dire que la plupart de ces devinettes forment un héritage commun des Bashila, des Bazela, des Bakatsha et des Bakunda, quatre groupements de peuples qui habitent ensemble une région de près de cent km...
Ces quatre groupements de peuples parlent un mélange de kiluba et de kibemba, chaque tribu ayant ses différences et ses particularités locales... Bien entendu, les devinettes ont été notées à l'ouïe, telles qu'on les proposait. Il sera donc inutile de vouloir y trouver du kiluba ou du kibemba à l'état pur. Les spécialistes du kiluba et du kibemba y trouveront de nombreuses inexactitudes et irrégularités. Mais j'estime que ce recueil ne doit pas être considéré principalement comme une étude de langues, mais plutôt comme un fragment de littérature orale nègre, qui peut nous apprendre, à sa façon, la mentalité et le tempérament des groupements de peuples qui forment la transition entre deux peuples puissants: les Baluba et les Babemba.
En effet, dans ses devinettes comme dans ses fables et ses proverbes, le Noir nous livre inconsciemment une image naturelle, fidèle et authentique de ce qu'il est et de ce qu'il pense intimement.
Chaque devinette est une sorte d'instantané, vu par l'oeil du Noir lui même, et ainsi ces quelques 1500 devinettes, classées par thèmes, nous montreront le Noir de cette région comme il se voit lui même, comme il se sait assis près de sa case, en marche autour d'elle, dans son village, ou en route par les sentiers sans fin de son pays.

I. Partie
1. L'Africain. Son apparition extérieure. Son corps. Ses besoins corporels.
2. La case et le village. Les occupations domestiques. Le mobilier. Ce qu'on trouve dans le village.
3. Des devinettes sur différents objets.

II. Partie
1. La brousse.
2. Les rivières.
3. Les plantes.
4. Les animaux.
5.Les phénomènes de la nature.

III. Partie
1. Les coutumes. Les proverbes. La sagesse nègre.
2. Le monde invisible.
3. Des anomalies et des devinettes rythmiques".

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