Parole de vivant

Dans Parole de vivant, l’écrivain gabonais Auguste Moussirou-Mouyama présente une république où sévit l’implacable loi de la « sécurité intérieure ». Rentré dans son pays pour se faire soigner, l’étudiant James Ytsia-Moon est arrêté à l’aéroport de Suakopmund, la capitale du Demi-pays. Ce pays est dans un état d’urgence depuis qu’un nganga (un sorcier) avait dit au leader qu’un complot était ourdi contre lui de l’étranger. Fait prisonnier, James Ytsia-Moon va connaître l’arbitraire policier avec Van der Volk et l’arbitraire de la justice. Le Demi-pays est en somme un pays des arbitraires qui provoquent la morts de plusieurs personnes dont la grand-mère du personnage principal. Curieusement ce Demi-pays semble désigner une certaine Afrique. Auguste Moussirou-Nouyama présente un système où l’homme politique n’a aucune faculté à produire les « grandes choses ». Il y a au contraire une tendance à commettre les grands crimes : « Il (Van der Volk) avait dit à ses soldats : “raclez les bas des clairières, fouillez le fond des forets et qu’il ne reste aucun homme debout, aucune femme qui bouge, aucun enfant qui vive.” Et l’armée de l’Empire obéit aux ordres de Van der Volk. Soixante mille morts et beaucoup d’os indénombrables dans la poussière, ce n’était pas si grave. »



Son roman intitulé Parole de vivant (1992) relate en deux temps la maturation intellectuelle du héros Ytsia Moon, partagé entre les pôles antagonistes de la tradition et du modernisme. Nourri dès son enfance au lait des croyances ancestrales, celles que lui transmet sa grand-mère, devenue sa tutrice après la mort de ses parents, il est, au fur et à mesure qu’il grandit, le témoin de la déchéance pathétique de son environnement. Cette rupture, il la consomme lui-même à Fouturama (France) où il est admis à parachever ses études. Là-bas, il se lie à une jeune Française qui le force à violer un tabou en mangeant de la viande interdite. Rentré chez lui pour suivre un traitement spécifique, il est arrêté dès l’aéroport par les milices de la dictature en place. Un procès expéditif et parodique le condamne à mort, mais il est sauvé in extremis par un coup d’état militaire. Désormais la voie est ouverte pour la reconstruction du pays et de son âme.


Critique
On s’en aperçoit, malgré les compétences de l’auteur, le roman ne laisse pas sombrer dans un certain conformisme. Le personnage de l’orphelin, avatar du conte oral ; ambigüité culturelle et existentielle ; le réquisitoire anticolonialiste ; les motifs de la dictature aveugle et burlesque, etc., sont des composantes classiques du roman négro-africain. Seule une verve et même une veine particulière de l’écriture auraient pu les transcender. Bien sûr, Moussirou multiplie les virtuosités techniques, le maquillage de la réalité historique (sinon autobiographique) ; l’enchaînement des instances narratives, qui correspondent au deux grands mouvements du récit ; la combinaison de différents niveaux de langue ; la discontinuité du récit qui évite la linéarité, l’ingénuité apparente de la narration, mais l’ensemble demeure peu convaincant, parce que peut-être trop forcé. L’ensemble tombe dans un certain intellectualisme. Certains néologismes (Fouturama, Swakopmund, James Ytsia Moon, etc.), proches du baroque congolais, sonnent creux, du fait de l’atmosphère réaliste dans laquelle baigne le roman. La relation au mythe fondateur tourne vite court, au profit de la satire sociale et de l’ubuesque moderne. ....
Laurent Emane Obiang.

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