Jan 6, 2023

Les objets de la science politique Réflexions sur une discipline... sans objet Bernard Voutat

 Il suffit que nous parlions d’un objet pour nous croire objectifs. Mais par notre premier choix, l’objet nous désigne plus que nous ne le désignons et ce que nous croyons nos pensées fondamentales sur le monde sont souvent des confidences sur la jeunesse de notre esprit. Parfois nous nous émerveillons devant un objet élu ; nous accumulons les hypothèses et les rêveries ; nous formons ainsi des convictions qui ont l’apparence d’un savoir. Mais la source initiale est impure : l’évidence première n’est pas une vérité Fondamentale. En fait, l’objectivité scientifique n’est possible que si l’on a d’abord rompu avec l’objet immédiat, si l’on a refusé la séduction du premier choix, si l’on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la première observation. »
Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu.

Remarques liminaires

1L’intitulé de cette contribution appelle la prise en considération de plusieurs dimensions et donc aussi une réflexion sur leur articulation. Il est en effet question d’une discipline scientifique – la science politique – et des objets singuliers qui y sont étudiés, mais aussi de la façon dont ces objets, « travaillés »” au sein de la discipline, en définissent le contenu intellectuel. À cet égard, cette problématique part du constat, apparemment paradoxal, d’un hiatus considérable entre la reconnaissance académique (certes limitée, mais bien réelle) de la science politique et le flou considérable attaché à la détermination de son domaine d’études. Ce hiatus soulève un ensemble d’interrogations concernant la notion même de discipline scientifique. S’agissant de la science politique, peut-elle (et au fond devrait-elle) se définir à partir d’un objet central constituant en définitive son « titre à exister » ? Cet objet lui-même – mais peut-être faudrait-il utiliser la notion moins connotée de « domaine » d’études – renvoie-t-il à une simple énumération des objets particuliers traités dans le cadre de la discipline ou peut-il être caractérisé d’une manière plus générale, à partir de principes théoriques permettant de désigner une réalité empirique déterminée et de relier en eux les objets spécifiques – dits « politiques »– que construisent les politistes ? Ces questions sont complexes et leur résolution nourrit un débat récurrent au sein de la science politique à propos de ce dont elle parle.

2Cette communication n’a pas pour ambition de présenter une position définitive sur les questions évoquées ci-dessus, mais plutôt de développer une réflexion ouverte, inachevée et sans doute lacunaire sur quelques éléments constitutifs de cette problématique. Si, à certains égard, les considérations qui suivent peuvent traduire un certain malaise envers la science politique, elles sont avant tout motivées par le souci d’identifier certains des enjeux de l’analyse politique et donc, tant que faire se peut, de mieux maîtriser ce que notre travail doit à une appartenance disciplinaire, c’est-à-dire à une histoire, à des institutions, mais aussi à des débats intellectuels. C’est dans cet esprit que nous revenons, dans un premier temps, sur l’intitulé même de cette contribution, qui soulève d’emblée deux difficultés : l’une est liée au caractère paradoxal de la science politique qui, considérée comme discipline scientifique, apparaît à la fois légitime sur le plan académique et incertaine quant à son identité intellectuelle ; l’autre concerne plus précisément les objets « politiques » qui, par-delà leur désignation formelle, ne peuvent être simplement décrits, indépendamment des problématiques à partir desquelles ils sont traités.

3Dans un deuxième temps, nous procédons à une évaluation (encore formelle et approximative) des objets abordés en science politique, souvent limités au domaine socialement désigné comme politique, à la fois pour constater une évolution, mais aussi pour relever le déplacement des problématiques mises en œuvre à leur égard.

4Enfin, dans un troisième temps, nous revenons sur le politique comme objet de science, dans l’intention de reconsidérer cette notion même d’objet, et par conséquent d’envisager l’analyse des faits dits politiques au sein des sciences sociales.

I – La science politique comme discipline scientifique

Une discipline paradoxale, sans frontières et sans objet ?

  • 1 Jean Meynaud, « Sciences politiques et science politique », Res Publica, t.°2, 1 (1960), p. 6-11. S (...)

5Lors de l’assemblée constitutive de l’Association suisse de science politique, le 24 avril 1959, il était prévu, parmi les points figurant à l’ordre du jour, d’aborder la question de l’objet de la science politique. En fait, cette discussion, dont on peut penser qu’elle pouvait revêtir une certaine importance pour les quelques quarante membres fondateurs de l’association, n’eut pas lieu, faute de temps et sans doute aussi en raison des difficultés qu’elle aurait pu faire surgir. Reportée à une date ultérieure – au profit de questions plus formelles – cette discussion ne sera finalement jamais organisée. Le seul élément tangible de cette journée à cet égard réside dans la conférence donnée par Jean Meynaud, « Sciences politiques et Science politique », au cours de laquelle il relève le changement de perspective scientifique attaché à ce passage du pluriel au singulier, dans le prolongement, du reste, des nombreux débats ayant marqué, en France, la « seconde institutionnalisation » de la discipline1.

  • 2 Pour reprendre une expression de Pierre Favre, dans « La connaissance politique comme savoir légiti (...)

6Par-delà son caractère anecdotique, l’événement apparaît significatif – et c’est là une première difficulté liée à l’intitulé de cette contribution – du hiatus caractérisant la science politique depuis lors (en Suisse, certainement, mais aussi plus largement dans d’autres univers académiques) entre, d’un côté, un contenu intellectuel relativement flou, mais « légitime »2, et, de l’autre, une reconnaissance institutionnelle certes encore marginale, mais bien réelle.

  • 3 Outre ses activités académiques, Jacques Freymond a le grade de colonel dans l’armée suisse et assu (...)

7La fondation d’une Association suisse de science politique, dans le prolongement de celle, suscitée dix ans plus tôt par l’UNESCO, de l’Association internationale de science politique (1949) et à l’image des associations constituées à cette époque en France et dans d’autres pays, marque une première étape de l’institutionnalisation de la discipline, qui va progressivement se développer dans les Universités au cours des années 1960 et surtout 1970. On relèvera qu’une première tentative, initiée en 1951 par le professeur Marcel Bridel, spécialiste de droit constitutionnel, avait échoué devant le scepticisme de ses collègues (économistes, philosophes et historiens) à l’égard de l’autonomie d’une science politique dont l’objet – peu ou mal défini – était à leurs yeux abordé dans le cadre des disciplines existantes. Huit ans plus tard, Jacques Freymond, historien et directeur de l’Institut des Hautes Études Internationales de Genève, parvient à mettre sur pied une Association suisse de science politique sans guère de préambule et de façon très volontariste, en mobilisant les réseaux, scientifiques ou autres3, dans lesquels il se montrait particulièrement entreprenant. Dans l’intervalle, il est vrai, la science politique se développait à l’étranger et commençait à acquérir un statut académique soutenu par de longs débats concernant la légitimité de cette discipline nouvelle dont l’objet, certes largement discuté et diversement défini durant toute la période, semblait être désormais reconnu, du moins formellement, comme renvoyant à l’analyse du pouvoir, de l’État et de l’autorité dite « politique ».

8L’exemple de la science politique suisse, brièvement évoqué ici, permet de souligner l’ambivalence des discussions et travaux concernant l’objet de la discipline, qui se déploient sur le terrain théorique (qu’est-ce que le « politique ») tout en ayant une finalité pratique, institutionnelle (quelle place pour la science politique dans l’univers académique). Et cette ambivalence marque durablement la discipline, non seulement dans son contenu intellectuel, mais aussi en instituant une confusion relativement importante entre, d’un côté, la réflexion théorique relative à la définition du politique et, de l’autre, celle qui concerne plus spécifiquement la légitimité de l’organisation sociale, c’est-à-dire académique, des connaissances scientifiques.

  • 4 Mattei Dogan, « Morcellement des sciences sociales et recomposition des spécialités autour de la so (...)
  • 5 Fred Greenstein et Nelson W. PolsbyHandbook of Political Science, Reading (Mass), 1975.
  • 6 William G. AndrewsInternational Handbook of Political Science, London, Greenwood Press, 1982.

9Le constat du hiatus entre le caractère relativement indéterminé de la science politique sur le plan intellectuel (comprenant la question de son objet et de son analyse dans d’autres cadres disciplinaires) et, néanmoins, sa reconnaissance institutionnelle est du reste assez largement partagé. Ainsi, par exemple, Mattei Dogan estime que la science politique est probablement « la plus éclectique de toutes les sciences sociales »4, dont il diagnostique par ailleurs le morcellement. À l’appui de cette affirmation, il évoque en particulier la préface à l’ouvrage majeur de Greenstein et Polsby5, dans lequel les deux éditeurs avouent leur embarras devant l’éclatement et la diversité de la science politique. Mais il se réfère également au politologue américain William Andrews6, pour qui « l’existence de la science politique ne se justifie pas » du fait, notamment, qu’elle n’a ni une méthodologie distincte ni un objet clairement défini, lequel, de plus, est revendiqué par d’autres disciplines (histoire politique, anthropologie politique, sociologie politique, géographie politique, philosophie politique, psychologie politique) pouvant se prévaloir d’aborder les « questions politiques » dans leurs propres cadres intellectuels. Mattei Dogan souligne enfin que ce flou pourrait être imputable au caractère « hybride » des phénomènes ou problèmes sur lesquels travaillent les politologues, mais qui peuvent intéresser au premier chef également les praticiens d’autres sciences sociales, auxquelles d’ailleurs les spécialistes de science politique empruntent nombre de leurs problématiques.

  • 7 Bernard Pudal, « Science politique : des objets canoniques revisités », Sociétés contemporaines, 20 (...)

10C’est dire, finalement, que la « Science politique [label renvoyant en France à une discipline enseignée dans les IEP et les facultés de droit, dont l’unité tient à un processus d’institutionnalisation spécifique] ne représente qu’une fraction des sciences du politique et que, en un certain sens (c’est nous qui soulignons), toutes les sciences sociales traitent du politique ou doivent être convoquées pour traiter du politique »7. Tel est l’avis exprimé, dans une contribution récente, par Bernard Pudal, qui ajoute : « Même si l’on restreint le politique, ne serait-ce que pour des raisons analytiques, aux relations de pouvoir politique (les formes structurées d’organisation étatique et leur histoire, les processus d’élaboration et de prise de décision politique, les champs politiques nationaux ou locaux différenciés, les actions concertées ou non visant à modifier ou transformer, voire subvertir, ces relations), les sciences du politique désignent l’ensemble des recherches en sciences sociales qui ont pour objet tel ou tel aspect du politique ainsi préalablement défini. En ce sens, elles couvrent un champ plus large que les études qui relèvent de la Science politique. En réalité donc, d’un point de vue épistémologique, la science politique tient aussi sa légitimité des disciplines extérieures pour l’essentiel à son univers ».

11Cette remarque impliquerait ainsi une distinction entre les objets dont se saisit la science politique et les objets « politiques », les premiers étant limités à ce que les politistes considèrent comme pertinent selon les cadres théoriques développés au sein de leur discipline, les seconds répondant à des critères plus larges ou plus souples de délimitation et de définition de l’univers politique. Une confusion paraît dès lors s’installer entre les objets de la science politique et les objets dits politiques.

12On ajoutera à ces considérations liminaires que les politistes eux-mêmes sont loin de s’accorder entre eux sur le contenu intellectuel de leur discipline, à laquelle ils peuvent revendiquer l’appartenance tout en étant fortement divisés au sujet de son contenu, de son objet et de ses limites par rapport à d’autres démarches scientifiques. Certes, cette absence de consensus n’est pas le fait uniquement de la science politique, mais concerne sans doute, bien qu’à des degrés divers, toutes les sciences sociales, qui se caractérisent par la coexistence de « paradigmes » ou « schèmes d’intelligibilité du monde social » différents et concurrentiels. Encore qu’il s’agisse, dans le cas de la science politique, de divergences portant non seulement sur le contenu, mais aussi sur le territoire ou le domaine propre à la discipline, et donc, par conséquent, sur les objets qu’il est légitime d’appréhender ou qu’il convient d’écarter, parce que relevant d’autres cadres disciplinaires.

  • 8 Pierre Favre, « La question de l’objet de la science politique a-t-elle un sens ? », dans Mélanges (...)
  • 9 Pierre Favre, « Retour à la question de l’objet ou faut-il disqualifier la notion de discipline ? » (...)

13Pierre Favre évoquait du reste à cet égard l’échec fondamental qui, selon lui, devait être constaté s’agissant des définitions multiples et contradictoires de l’objet de la science politique8. Depuis lors, la situation n’a guère évolué et l’on pourrait très certainement allonger la liste dressée alors par Pierre Favre des nombreuses tentatives s’efforçant, chacune à sa manière, d’assigner à la science politique un domaine spécifique dont elle aurait prioritairement la charge et dont elle rendrait compte selon des critères distincts des autres disciplines des sciences sociales9. La diversité en la matière tendrait alors, de l’avis encore de Pierre Favre, à remettre sérieusement en cause l’idée selon laquelle une discipline scientifique se définirait fondamentalement à partir d’un objet central qui lui appartiendrait en propre, bien que, mais c’est une question différente, les débats sur l’objet de la discipline s’inscrivent pleinement dans le processus de son institutionnalisation.

14Cette perspective est largement reprise dans la préface de Madeleine Grawitz et Jean Leca au Traité de science politique, dans laquelle ils affirment que la « progression » de la discipline tendrait à rendre secondaire, et même inutile, la définition de son objet :

  • 10 Traité de science politique, Madeleine Grawitz, Jean Leca dir., Paris, PUF, 1985, vol. 1, p. XII.

« Si le progrès [de la science politique] en ces différents sens est incertain, ou du moins discutable, la « progression » en tant que développement d’un processus d’autonomisation et de professionnalisation ne saurait être contestée. La preuve la plus évidente : nous n’éprouvons plus le besoin de définir longuement en quoi consiste la science politique, ni même de débattre de son intitulé, « Science politique », « sciences politiques », « science du politique ». L’idée qu’une discipline doit avoir une loi fondamentale, un objet construit et bien identifiable et des frontières incontestables n’est plus aujourd’hui la conception dominante de la science. Comme le rappelle Pierre Favre, la notion de discipline n’a épistémologiquement pas de sens. Une discipline progresse à partir du moment où elle a fait ses preuves par la pratique de ses recherches obéissant à quelques règles épistémologiques simples : dépasser la définition abstraite et a priori de son “objet” ; reconnaître la validité de la méthode scientifique ; admettre que cette méthode n’est pas exclusive d’autres modes de connaissance qui peuvent également servir à une critique utile de la méthode scientifique, pourvu qu’ils ne relèvent pas de la foi (ou de l’idéologie), mais se prêtent à un protocole de discussion et d’observation (...) La « progression » [de la science politique] est ainsi identifiée par le processus de son développement. Celui-ci comprend, comme toute activité scientifique (ou plus largement cognitive), professionnalisation, spécialisation, collectivisation, universalisation »10.

  • 11 Pierre FavreNaissances de la science politique en France, Paris, Fayard, 1989, p. 319.
  • 12 Pierre Favre, « La question de l’objet de la science politique a-t-elle un sens ? », art. cit. p. 1 (...)

15Mobilisé par les éditeurs du Traité, le point de vue de Pierre Favre soulignait, non sans raison, le fait que les disciplines scientifiques sont en quelque sorte « à géométrie variable », parce que « la science à chaque fois construit ses objets ». D’où le caractère mouvant des sciences et des disciplines scientifiques, dont les problématiques, et donc aussi les objets, se modifient dans le temps : « L’invention d’une science nouvelle est dans un puissant rapport avec les objets qu’elle se donne »11. Cela signifie, en d’autres termes, que si la question de l’objet de la science politique est dépourvue de sens (sur le plan épistémologique) et doit donc être abandonnée, il n’en reste pas moins que cette discipline a des objets sur lesquels travaillent les politistes. Or, comme le précise encore Pierre Favre : « Une science se définit par ce qu’elle fait », de sorte que la question de l’objet de la science politique cesse d’être une question théorique pour devenir une question empirique, appelant des enquêtes sur la « construction sociale d’un territoire scientifique institutionnellement et collectivement délimité »12, et non une réflexion (abstraite, pour ne pas dire académique et, en tous les cas, vouée à l’échec) sur un objet central à rechercher, le cas échéant, dans le plus petit dénominateur commun supposé relier entre eux les différents objets traités en science politique.

16Les remarques qui précèdent reposent, on le voit, sur une critique sérieuse à l’égard de la classification des différentes disciplines scientifiques et des différents critères ou principes éminemment discutables entrant dans de telles opérations. S’agissant de la science politique, elles indiquent la nécessité de mettre en évidence les fluctuations qui interviennent dans l’analyse de certains objets classiques, qui tantôt disparaissent, tantôt changent d’appellation, tantôt encore subsistent comme tels, mais sont appréhendés selon des approches très différentes, au point qu’il devient très difficile de repérer des permanences autres que simplement formelles.

Problématiques et objets politiques

  • 13 Pierre Favre, « Retour sur la question de l’objet... », art. cit., p. 149.

17L’intitulé de cette intervention soulève dès lors une seconde difficulté, qui repose sur une constatation banale, que relève fort opportunément Pierre Favre, et dont il convient de mesurer les conséquences : les objets dont se saisissent les politistes sont inséparables des problématiques mises en œuvre ou des points de vue adoptés pour construire ces objets et en rendre compte13. Encore que cette remarque doit être précisée.

  • 14 Frédéric Bon, « Qu’est-ce qu’un vote ? », Histoire, 2 (1979), p. 107.
  • 15 Alain Garrigou, « Le secret de l’isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, 71- 72 (mar (...)

18Ainsi, par exemple, Frédéric Bon, s’interrogeant à propos du vote, « objet » classique de la science politique, souligne à juste titre la complexité du phénomène : « Il est à la fois individuel et collectif ; il peut être abordé comme processus ou comme résultat, dans sa distribution spatiale ou sa répartition sociale, sous l’angle de ses motivations ou de ses effets. Il existe plusieurs façon de l’étudier ou de l’interpréter ; chacune révèle certaines dimensions du phénomène en cachant ou en minimisant les autres »14. En d’autres termes, à une même catégorie (ici le « vote ») correspondent plusieurs dimensions d’analyse débouchant, en chaque cas, sur des objets particuliers et différents : le « comportement électoral », la « composition des électorats », « les opinions politiques », la « politisation », les « campagnes électorales », la « citoyenneté », etc. De même, lorsque Alain Garrigou parle du vote, il appréhende cet objet des plus légitimes en science politique par son biais sans doute le moins légitime, soit l’instrumentation du vote (à travers l’isoloir) en tant que dispositif matériel associé aux représentations dont l’acte de vote lui-même est investi15. Par extension, cette analyse porte sur la construction sociale du citoyen et rend compte de la genèse de la notion d’opinion politique.

19Par-delà la permanence de certains objets désignés (au moins dans le langage ordinaire) sous une appellation reconnue – partis, groupes de pression, mouvements sociaux, État, etc. – les angles d’attaques et les problématiques diffèrent, engageant dès lors des constructions d’objets distincts. De telles transformations commandent, parfois, des changements dans l’appellation même de ces objets, comme le suggère l’utilisation de la notion de « groupe de pression » chez certains auteurs et le recours à celle de « groupe d’intérêts » chez d’autres. De plus, l’apparition (ou la disparition) de problématiques ou « paradigmes » s’accompagne presque inévitablement de l’émergence d’objets nouveaux, respectivement de la mise à l’écart d’objets anciens. La science politique connaît en outre des spécialisations internes désignant des « secteurs » de recherches spécifiques considérés dans un cadre infra, mais aussi quasi disciplinaire (comme par exemple les relations internationales). L’essor, en Suisse notamment, de l’analyse des « politiques publiques » est particulièrement révélateur de certains déplacements qui se sont opérés dans l’analyse de l’État et de son fonctionnement.

  • 16 Pierre Favre, « Retour sur la question de l’objet... », art. cit., p. 151.
  • 17 Pierre AnsartLes sociologies contemporaines, Paris, Seuil, 1990, p. 27.

20Bref, la notion d’« objet » reste confuse, et le recours à d’autres termes – « domaine », « secteur », « thème », « terrain » ou encore « sujet » de recherche – accroît la difficulté plus qu’elle ne l’annule. Si, comme le suggère Pierre Favre, la constitution d’une science est en étroite relation avec les objets qu’elle se donne (et qui s’imposent à elle du fait de leur existence sociale), le fait de « resserrer les liens entre objet et problématique rend beaucoup plus complexe tout programme qui viserait à faire l’histoire de la science politique considérée comme discipline »16. La même remarque vaut sans doute également dans le cadre de notre objectif visant à cerner les « objets » de la science politique, car, comme l’indique Pierre Ansart (à propos du reste de la sociologie), les débats scientifiques ne se limitent pas à des querelles d’interprétation des faits – ceux-ci ne s’imposent pas aux observateurs –, mais portent bien plus fondamentalement sur leur désignation17. A peine refoulée, la question de la définition du politique ressurgit donc, dans la mesure où la désignation de faits comme politiques renvoie inévitablement à une conception du politique, à une définition, en somme, permettant de classer et construire les faits analysés, bref d’en faire des objets de science, et des objets de science politique.

II – Les objets consacrés

L’exemple de la science politique française

  • 18 Jean-Baptiste Legavre, « Une discipline en chaire. L’initiation à la science politique dans les cur (...)
  • 19 Pierre Favre, « La connaissance politique comme savoir légitime et comme savoir éclaté », art. cit.

21Sur la base d’une enquête récente consacrée à l’enseignement de la science politique en France, Jean-Baptiste Legavre18 parvient à identifier la présence d’une vingtaine d’objets enseignés. Certes, l’auteur soulève les difficultés d’une telle comptabilité : l’absence d’un objet dans un plan de cours ne signifie pas nécessairement qu’il n’est pas traité par l’enseignant ; en outre, les frontières des différents objets sont également variables d’un cours à l’autre ; et enfin un même objet peut renvoyer à des contenus très diversifiés. Toutefois, tendanciellement, l’auteur tire deux conclusions générales de cette enquête. La première relève le nombre relativement élevé d’objets, soit approximativement une vingtaine, alors qu’une enquête réalisée au milieu des années 1970 par Pierre Favre19 n’en dénombrait qu’une douzaine. La seconde conclusion précise toutefois que les enseignants abordent effectivement ces objets de manière fort dispersée. C’est ainsi que Jean-Baptiste Legavre propose une classification en fonction du degré plus ou moins élevé d’apparition de chaque objet dans les différents cours de science politique. Il distingue alors un continuum entre des objets consensuels (partis politiques et État), majeurs (« communication politique », comprenant les médias et l’opinion publique), discutés (vote, groupes d’intérêts, pouvoir politique, socialisation et régimes politiques) et délaissés (violence, politiques publiques, citoyenneté, culture politique, représentations ou idéologies politiques, intellectuels, administration, local, religion et police).

22La liste établie vingt ans plus tôt par Pierre Favre, certes selon des critères différents et pour un seul des quatre types de cours recensés, était plus limitée : partis politiques, socialisation politique, élites (qui gouverne ?), sociologie électorale, analyse systémique des systèmes politiques, classes sociales, types d’autorité chez Max Weber, inégalités scolaires, culture politique, fonctionnalisme, sondages d’opinion publique, groupes de pression. L’auteur relevait également le caractère composite de cette liste d’objets « canoniques », renvoyant tantôt à des objets empiriques, tantôt à des problématiques ou cadres théoriques, tantôt encore à des techniques d’enquête (le sondage d’opinion). Il précisait cependant que cette canonisation d’objets ne s’accompagnait guère d’un consensus au sein de la discipline, encore peu intégrée, faiblement professionnalisée, hétérogène et peu cumulative.

  • 20 Ibid., p. 481.
  • 21 Selon l’appréciation de Jean-Baptiste Legavre (dans « Une discipline en chaire », art. cit. p. 60), (...)

23Bien qu’il soit difficile d’établir une comparaison entre ces deux listes, cela d’autant plus que les problématiques théoriques se sont considérablement déplacées – nous y reviendrons –, il ressort néanmoins que les politistes se rencontrent à chaque période autour d’un noyau central. Celui-ci résidait dans l’analyse du fonctionnement des institutions, des partis et des élections dans les années 197020, traduisant une conception largement admise (hors les controverses avec les approches marxistes du politique) selon laquelle l’univers politique pouvait être considéré en tant que tel, comme un « système » soumis aux pressions de son environnement et assurant un ensemble de fonctions dévolues à des « structures » ou des « forces » politiques. Désormais, les institutions politiques seraient relativement délaissées (au profit des spécialistes du droit public), le socle étant alors constitué de l’analyse de l’État, des partis et des comportements politiques21, dans le cadre d’un paradigme nouveau considérant le politique comme un espace différencié de luttes opposant des « entrepreneurs politiques » pour la conquête des pouvoirs d’État.

  • 22 Cette liste est tirée de l’ouvrage collectif publié sous l’égide de l’UNESCO (alors à l’origine de (...)

24D’une manière générale, donc, le territoire de la science politique en France est en extension. Le nombre des objets consacrés tend à s’accroître, dénotant un processus de spécialisation interne à la discipline, visible en comparaison de la situation décrite pour les années 1970 par Pierre Favre, et particulièrement criante, si l’on se réfère, par exemple, à la liste des objets (ou plutôt des domaines de recherche) assignés à la science politique au début des années 195022, liste limitée à quatre rubriques, soit « théorie politique », « institutions politiques », « partis, groupes et opinion publique », « relations internationales ». Mais cette transformation quantitative s’accompagne également d’une évolution qualitative, dans la mesure où la hiérarchie entre les objets consacrés se modifie en même temps que les paradigmes dans lesquels ceux-ci sont appréhendés.

  • 23 Erik NEVEU, « Les manuels de science politique. Relève de génération et variations d’un genre acadé (...)

25On peut du reste préciser à ce sujet que ces conclusions trouvent une confirmation dans l’analyse comparée des manuels de science politique parus ces trente dernières années. On assiste en effet, selon Erik Neveu, à un renouvellement considérable, qui se caractérise par un élargissement du nombre des objets abordés dans cette littérature, mais aussi par une affirmation plus nette de la science politique comme science sociale, ou comme sociologie politique, dotée, par-delà la diversité des approches, d’un noyau épistémique partagé par une communauté académique forte23.

26Il en ressort un certain consensus au niveau des objets canonisés (État, systèmes et régimes politiques, organisations politiques, participation, décisions et acteurs politiques, univers symboliques), dont l’analyse est menée sur la base d’une réflexion préalable relative à l’« ordre politique » (ou au « pouvoir politique ») érigé en objet central de la discipline.

L’exemple de la science politique suisse

27Il est bien entendu un peu périlleux de procéder à une évaluation de l’inscription de la science politique dans deux univers académiques très différents. En Suisse, le développement de la discipline est récent. L’Association suisse de science politique est créée en 1959, mais ce n’est que dans le courant des années 1970 que le développement académique s’amorce, et encore de façon modeste.

  • 24 Auxquels il conviendrait d’ajouter un nombre variable de chercheurs occupés dans des institutions p (...)

28À l’heure actuelle, on compte un peu plus d’une vingtaine de professeurs d’Université24 en science politique (spécialisés dans des domaines très différents : comportements politiques, politiques publiques, relations internationales, histoire des idées politiques, analyse des systèmes politiques), entourés de collaborateurs (souvent des assistants) dont le statut reste généralement précaire. Les enseignements sont dispensés principalement à Genève et à Lausanne (plus récemment à Berne et Zürich) dans des facultés où la science politique « cohabite » avec d’autres disciplines des sciences sociales (la sociologie, la psychologie, l’histoire, voire les sciences économiques selon les endroits). L’enseignement porte encore la marque des sciences politiques, puisqu’il est constitué autour d’un « noyau » dit de science politique (cours d’introduction ou de concepts de base en science politique, systèmes politiques comparés, relations internationales, histoire des idées politiques, institutions politiques, politiques publiques) et de cours relevant du droit public, de la sociologie et de l’histoire. Par ailleurs, les influences anglo-saxonnes y sont sans doute plus marquées qu’en France, notamment en raison de la composition du corps professoral, passablement cosmopolite et donc au croisement de plusieurs traditions universitaires. Sans développer plus avant les caractéristiques de la science politique helvétique, il convient toutefois de souligner qu’elle reste assez étrangère aux débats théoriques français. En particulier, l’émergence de ce que d’aucuns appellent le paradigme constructiviste (auquel on peut associer le rapprochement des politistes avec les sociologues et les historiens) a fort peu marqué la discipline en Suisse, dont les praticiens s’efforcent d’en promouvoir, au contraire, la spécificité et l’autonomie.

  • 25 Publication annuelle (depuis 1960) et généralement thématique de l’Association suisse de science po (...)
  • 26 Bien entendu, la ventilation des différentes contributions dans ces rubriques et sous-rubriques com (...)

29Une analyse de l’Annuaire suisse de science politique25 permet d’apprécier globalement les différents objets privilégiés en science politique. Sur un total d’un peu plus de huit cents articles, 40 % sont consacrés à des questions relevant des relations internationales (politique étrangère, Europe, CEE, Tiers-monde, relations nord-sud, politique de sécurité, etc.). Le reste atteste la prépondérance de préoccupations traditionnelles au sein de la discipline : institutions politiques – 27 % (questions constitutionnelles, fédéralisme, démocratie directe, parlement, gouvernement, etc.) ; forces politiques et structures du pouvoir – 30 % (partis, groupes de pression, décision politique) ; administration et politiques publiques – 23 % ; vie politique cantonale et locale – 15 % ; comportements politiques – 16 % (élections, votations, participation) ; « nouveaux » objets – 16 % (écologie, environnement, médias, femmes, immigration, qui, par définition apparaissent dès le milieu des années 1980)26. Bien que la part relative de certains objets puisse varier dans le temps (en fait de manière peu sensible), on relèvera que, considérée globalement, cette production scientifique centre tout particulièrement son attention sur le système politique suisse (principalement caractérisé par le fédéralisme et des mécanismes de démocratie directe – initiative et référendum) et sur les processus de prise de décision qui le caractérise, moyennant une attention aux acteurs de ces processus et aux règles institutionnelles qui les encadrent.

  • 27 Une synthèse de l’ensemble des ces travaux est publiée dans le Manuel du système politique de la Su (...)

30Un examen de l’intitulé des groupes de travail mis en place au sein de l’Association suisse de science politique confirme cette appréciation générale, mais montre également que la science politique suisse connaît, comme en France, un mouvement de spécialisation. Dans le courant des années 1960-1970, seuls trois ou quatre groupes fonctionnaient régulièrement. Constitués principalement autour de thèmes généraux (institutions politiques, forces politiques, politique étrangère, idées politiques, comportements politiques), ils développaient, sous l’angle de l’analyse systémique et/ou des modèles de la décision politique, des études consacrées qui aux systèmes électoraux, qui à la structure du pouvoir et aux élites (à partir de la discussion des thèses élitistes, pluralistes ou néo-corporatistes), qui à l’administration publique, qui à l’architecture institutionnelle (révision de la Constitution fédérale, droits populaires, fédéralisme), qui enfin aux comportements électoraux et à la vie politique27.

  • 28 Celle-ci reste cependant limitée par les statuts du personnel académique employé en Suisse, dont un (...)

31Depuis quelques années, le nombre des groupes de travail a régulièrement augmenté – ils sont actuellement treize – et leurs intitulés se sont progressivement modifiés, en raison de l’adjonction à des thématiques traditionnelles (comportements politiques, relations internationales, institutions politiques, théorie politique, etc.) de problématiques plus récentes (mouvements sociaux, gouvernance, politiques publiques, politique sociale, politique de sécurité, études européennes, action publique et territoire, genre et politique, management public, etc.). Dans l’ensemble donc, le contenu de la discipline se modifie, en même temps que s’opère une spécialisation interne, voire une certaine professionnalisation28.

32Comme indiqué plus haut, une comparaison plus précise avec la situation française nécessiterait des analyses plus approfondies, notamment en ce qui concerne les thématiques de recherche telles qu’elles apparaissent dans les publications de science politique (RFSP, Politix, etc.). En première analyse, cependant, même si les objets peuvent apparaître formellement identiques (État, comportements politiques, institutions, règles du jeu politique, etc.), la distance intellectuelle reste considérable. Les transformations récentes de certains secteurs de la science politique française – notamment à travers l’adoption de perspectives sociologiques et historiques (constructivistes) inspirées de Weber, Elias ou Bourdieu, concernant la caractérisation de l’ordre politique et les processus de son objectivation – sont fort peu présentes en Suisse, même si, dans certains domaines (comme par exemple l’analyse des mouvements sociaux), certaines parentés peuvent être décelées.

Une discipline en évolution

33Il faut bien entendu rester prudent et se garder de tirer des conclusions générales et définitives à partir des réflexions très partielles développées à propos de la science politique en France et en Suisse, considérée ici sous l’angle des objets qui y sont traités.

  • 29 Cf. notamment l’analyse d’Alain Garrigou, « Science po : laminoir des élites françaises », Le Monde (...)
  • 30 Pierre Favre, « Retour à la question de l’objet... », art. cit., p. 145.

34Sur le plan institutionnel, la discipline a désormais acquis un doit de cité dans l’univers académique. Si certains de ces objets lui sont disputés par d’autres disciplines ou si la science politique s’emparent d’objets également appréhendés dans d’autres cadres disciplinaires, son titre à exister comme discipline scientifique ne semble plus guère contesté et reste très peu discuté en son sein même. Certes, l’émancipation par rapport au droit se paie d’un rapprochement peu ou mal problématisé avec les autres disciplines des sciences sociales. Par ailleurs, sur le plan scientifique, le contenu de la discipline demeure hétérogène. Le contraste entre les traditions française et helvétique (et la comparaison pourrait être élargie) en atteste autant que la diversité des approches au sein de chacune d’elles. En France, sans doute beaucoup plus qu’en Suisse, le déplacement des problématiques et des objets à « contenu politique » est considérable. L’abandon de cadres théoriques très discutés il y a encore une vingtaine d’années – l’analyse systémique et fonctionnaliste, ou encore le marxisme – de même que la mise à l’écart d’oppositions jugées alors centrales – par exemple sur la question du pouvoir et de sa nature, pluraliste ou élitiste – s’accompagne d’un renouvellement considérable des perspectives scientifiques. Encore faudrait-il mesurer plus précisément ces transformations. Il n’est pas certain que le paradigme « constructiviste » identifié dans plusieurs manuels récents et dans de nombreux enseignements soit aussi partagé par la communauté des politologues que le laisseraient entendre ces deux indicateurs. Il est clair que la tradition issue de l’École libre des sciences politiques et des IEP demeure une composante importante de la science politique française29, composante contre laquelle précisément s’élève le paradigme constructiviste, il reste que l’on peut s’accorder avec le constat posé par Pierre Favre : « L’histoire de la discipline montre assez les fluctuations de la collection d’objets que recouvre le label permanent de la discipline. Il n’y a pas si longtemps, les « grands objets » placés au centre de l’enseignement et de la recherche étaient le système politique, les partis, les élites, les élections, l’opinion, les groupes de pression, les classes sociales, la socialisation politique. La plupart de ces grands objets subsiste, encore faut-il pour certains d’entre eux les chercher sous une terminologie différente qui indique en réalité qu’il s’agit d’objets scientifiques différents, c’est-à-dire de nouveaux objets construits par la science (on ne parle plus guère d’élite ou de groupe de pression). Parallèlement, de nouveaux objets ont surgi dont on ne disait mot il y a deux décennies : police, violence, manifestation de rue, action collective, communication politique, technologies du pouvoir, identité, citoyenneté, rites, agenda gouvernemental. Cette liste (...) suffit à montrer quel déplacement d’objets s’est opéré en quinze ans »30.

35En Suisse, une évolution est également perceptible, sur un plan quantitatif surtout (développement des travaux, spécialisation interne), mais aussi en ce qui concerne le contenu intellectuel. Tout en restant encore très étroitement tributaire du contexte d’émergence de la discipline dans l’Université, la réflexion se redéploie progressivement, à partir de l’analyse des politiques publiques surtout, autour d’un paradigme « néo-institutionnaliste » propice, aux yeux de nombreux politologues helvétiques, à reconsidérer certaines problématiques classiques, comme les relations entre les « acteurs » et le « système politique », ou encore les processus de décision politique.

  • 31 Cf. n. 11.
  • 32 Et donc aussi le degré de rupture envers les représentations dominantes, légitimes du politique que (...)

36Cela dit, dans un cas comme dans l’autre, on n’éprouve plus guère le besoin de revenir sur l’objet « politique », comme le soulignaient Jean Leca et Madeleine Grawitz dans un texte pourtant relativement ancien31, en tirant de cette constatation l’indice d’une intégration disciplinaire plus avancée. Cette question semble être globalement résolue – certes dans des contextes théoriques très différents et qui ont des conséquences considérables sur la construction des objets de recherche – par une réduction du territoire de la science politique aux activités socialement désignées comme politiques. En effet, si l’on considère les objets sur lesquels travaillent les politologues, force est de constater, quelle que soit l’option théorique retenue, que ces objets recouvrent à peu près exactement le domaine de la politique instituée, que ce soit celui de l’« ordre » politique désencastré du social, celui du « champ » ou encore du « système » politique. Par-delà les différences – encore une fois fondamentales – qui affectent la construction scientifique de ces objets32, il convient de reconnaître que ceux-ci s’intègrent dans une définition restreinte de l’univers politique, redoublant ainsi dans le travail scientifique la représentation socialement instituée des limites du politique. Il s’impose donc de revenir sur la question de l’objet « politique » comme objet de science, voire comme objet d’une discipline spécialisée, et d’examiner dans quelle mesure – variable selon les contextes théoriques – ce redoublement dans la science (même partiel) d’un objet pré-construit peut constituer un obstacle à l’analyse.

37En ce sens, la finalité de cette réflexion – une de plus pourrait-on dire – sur la définition du politique n’est pas tant la définition elle-même que la maîtrise, dans le travail scientifique, des conséquences (intérêts et limites) attachées à des façons particulières de concevoir le politique. Il ne s’agit donc pas de prendre a priori au sérieux les problèmes de définition, encore moins de s’inscrire dans le débat amorcé dans les années 1950 qui consistait à faire coïncider un objet empirique et une discipline, mais plutôt d’identifier ces problèmes et tenter de les résoudre autrement que par des définitions, si épurées soient-elles.

III – Penser le politique comme objet scientifique

De quelques obstacles à l’analyse politique

38On admettra sans grande difficulté l’argumentation développée par Pierre Favre selon laquelle la notion de discipline n’a épistémologiquement pas de sens. L’idée que l’on puisse découper la réalité en domaines spécifiques, justifiant dès lors une classification des sciences en unités indépendantes, ne résiste en effet pas à l’examen du fonctionnement effectif de la science où les disciplines sont « à géométrie variable », sans frontières fixes et définitives, qu’elles peuvent disparaître ou se recomposer selon des principes différents et de surcroît s’emparer d’objets empiriques identiques. S’agissant de la science politique, son caractère mouvant et ses interférences avec d’autres disciplines des sciences sociales ont suffisamment été soulignés plus haut pour qu’il soit inutile d’insister sur ce point.

  • 33 Le rôle des définitions préalables de l’objet de la science politique dans le processus d’instituti (...)

39Considérée comme institution académique, en revanche, la notion de discipline peut, selon les cas, renvoyer à des réalités plus ou moins tangibles selon le degré de reconnaissance dont chaque discipline jouit auprès d’une communauté scientifique relativement intégrée et disposant d’instruments communs pour mener la recherche et l’enseignement. Dans ce cadre, nous avons pu relever l’importance des discussions relatives à l’objet de la science politique dans le processus d’institutionnalisation de la discipline. Par-delà les désaccords très importants entre politologues, il a pu se développer, et il se développe encore, une croyance partagée selon laquelle la définition préalable de l’objet de la discipline est non seulement nécessaire pour en justifier l’existence, mais possible par identification d’un domaine du réel – tantôt défini d’une manière large et floue, tantôt désigné par une énumération d’objets particuliers – délimitant un territoire scientifique33.

  • 34 Ce que ne fait précisément pas Pierre Favre, puisqu’il revient sur cette question dans une contribu (...)

40On admettra, encore avec Pierre Favre, que ces tentatives n’ont guère été couronnées de succès sur le plan théorique et que l’absence d’unanimité peut inciter à faire un constat d’échec. Encore que cette absence ne saurait à elle seule justifier pareil constat, et encore moins commander l’abandon de la réflexion en la matière34. Le fait que la notion de discipline scientifique n’ait pas de fondement épistémologique ne conduit pas logiquement à ne plus penser le politique comme objet de science. Si, d’un côté, l’objet de la discipline peut se déduire d’une recherche empirique établissant, à un moment donné, la somme des objets sur lesquels travaille une communauté scientifique, il reste que le politique peut être pensé indépendamment de la façon dont il est analysé par les spécialistes de science politique, ou tout au moins dans un débat avec ces derniers.

  • 35 Voir par exemple Jean Leca, « Le repérage du politique », Projet, 71 (janvier 1973), p. 11-24.
  • 36 Pierre Bourdieu, « Penser la politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 71- 72 (mars  (...)
  • 37 Pour une vue d’ensemble sur ces questions, voir notamment François MasnataLe politique et la libe (...)
  • 38 Bernard Lacroix, « Ordre politique et ordre social », dans, Traité de science politique, Madeleine (...)
  • 39 Pierre Bourdieu, « Les modes de domination », Actes de la recherche en sciences sociales, (juin 197 (...)

41Ce débat est du reste ancien et il n’est sans doute pas prêt de s’achever. On connaît les obstacles liés à la définition du politique, le principal étant que cette définition est socialement un enjeu de lutte politique35, de sorte que la construction scientifique de l’objet doit inclure les luttes dont sa définition est l’objet, et cela y compris au sein du champ scientifique. On rappellera également la nécessité de distinguer la politique, ce lieu dit – généralement l’état – où la contrainte est censée s’exercer et où seraient définies les fins collectives, et le politique tel qu’il doit être construit sociologiquement, ne serait-ce que pour surmonter la difficulté que représente le fait que l’univers politique, plus que tout autre, livre sa propre représentation de lui-même36. Il faudrait aussi revenir sur certains acquis de l’anthropologie politique (on pense à Pierre Clastres, Georges Balandier, Maurice Godelier, pour n’en citer que quelques-uns) pour également souligner la nécessité de distinguer le politique comme dimension universelle, inhérente à l’existence collective des sociétés humaine, et la politique comme forme spécifique (ou « ordre ») et ensemble de médiations historiquement instituées37. Pour n’avoir pas (toujours) su intégrer cette problématique, la science politique contemporaine a souvent versé dans l’objectivisme38, en reprenant à son compte l’objet pré-construit que lui imposait la réalité39.

  • 40 Daniel Gaxie, « Sur quelques concepts fondamentaux de la science politique », dans Droit, instituti (...)

42On peut également se demander, à la suite de Daniel Gaxie, si le fait que le mot « politique » soit simultanément utilisé dans la pratique et dans la science peut constituter une difficulté supplémentaire. À ses yeux, « cette correspondance est à la fois inévitable, logique et nullement gênante »40. S’appuyant sur Durkheim dans les Règles de la méthode sociologique, il estime possible de « dépasser l’alternative de l’objectivisme et de l’ethnocentrisme » en recherchant les propriétés spécifiques des phénomènes politiques, l’usage du mot étant réservé aux seuls phénomènes manifestant empiriquement ces propriétés (et cela indépendamment de la manière dont elles sont socialement désignées), moyennant une interrogation sur les raisons pour lesquelles des phénomènes sociologiquement identiques sont socialement désignés d’une manière différente ou, à l’inverse, des phénomènes différents sont désignés par le même terme.

43Daniel Gaxie récuse, sur cette base, les définitions larges et extensives du politique (par le pouvoir, le conflit ou encore l’intégration sociale), selon lesquelles, en définitive, tout est politique. Si ces définitions – essentialistes ou philosophiques à ses yeux – peuvent avoir le mérite d’opérer une rupture à l’égard des représentations dominantes de l’univers politique, elles présentent par contre l’inconvénient de dissoudre cet objet en laissant échapper ses propriétés spécifiques empiriquement observables :

  • 41 Ibid., p. 609-610.

« On peut reprocher aux définitions extensives des phénomènes politiques de nommer à l’identique des phénomènes différents et de détourner de la recherche des propriétés spécifiques des phénomènes politiques. Si le champ politique est le champ de la lutte de classes, on est pas loin de conclure que toute forme de lutte de classes est un phénomène politique (...) et que tout phénomène politique tire sa logique de la seule lutte des classes. Si tout ce qui concourt à l’intégration sociale est politique, alors la famille, le système éducatif, les religions, les associations sportives sont des institutions politiques au même titre que la police ou le parlement. Si la politique désigne toute relation de pouvoir, alors l’Église catholique, n’importe quelle famille, telle multinationale et l’État soviétique sont des systèmes politiques (...). Il suffit d’ailleurs de feuilleter les manuels de science politique pour voir que ceux qui proposent les définitions les plus larges des phénomènes politiques adhèrent en réalité à une définition plus restreinte, puisqu’ils se contentent de décrire les phénomènes socialement désignés comme politiques et demeurent silencieux sur les autres »41.

44Pour échapper à cette alternative entre une définition extensive, voire philosophique du politique, et une perception restreinte, éventuellement limitée à la représentation socialement instituée de l’univers politique, Daniel Gaxie s’appuie sur Max Weber, pour qui le caractère politique d’une relation sociale est tributaire du recours (comme ultima ratio) à la contrainte physique sur un territoire géographique déterminé.

  • 42 Ces développements trop sommaires se fondent sur le premier chapitre d’Économie et société, Paris, (...)

45Il faudrait bien entendu développer plus longuement cette perspective, qui est complexe et qui a du reste donné lieu à plusieurs interprétations, pas toujours concordantes. Retenons cependant que l’identification des propriétés spécifiques de la relation politique n’implique nullement qu’il faille adhérer à une définition restreinte de cet objet. En effet, chez Max Weber, le mot politique sert à qualifier un type particulier de groupement de domination, la notion de groupement renvoyant à une relation sociale, c’est-à-dire à un ensemble de comportements réglés les uns par rapport aux autres, en vertu d’une domination associée analytiquement à certains motifs d’obéissance, et qui est liée à un ordre garanti par des personnes ou une direction administrative42. C’est dire que le sociologue allemand se garde bien d’assimiler le politique à l’État et que le cercle des objets politiques comprend non seulement les activités de la direction administrative et celles qui se déroulent sous son autorité (activités politiques stricto sensu et orientées d’après les règlements du groupement), mais aussi celles qui se rapportent au groupement politique (activités orientées politiquement) et qui ont pour objet de l’influencer, en maintenant ou transformant les relations de domination qui le constituent.

  • 43 Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon, Jean-Claude PasseronLe métier de sociologue, Paris-La H (...)
  • 44 Selon une appréciation de Marc Abélès, à laquelle nous nous limiterons ici (tant le sujet est vaste (...)

46Pour lacunaire et encore imprécise que soit cette lecture de Max Weber, elle devrait cependant rendre attentif à la nécessité de rompre avec l’empirisme naïf auquel a pu succomber la science politique dans son projet de constituer une science en identifiant un domaine du réel censé lui appartenir en propre. Comme le relevait Pierre Bourdieu, « on verrait les liens qui rattachent encore la sociologie savante aux catégories de la sociologie spontanée dans le fait qu’elle sacrifie souvent aux classifications par domaines apparents, sociologie de la famille ou sociologie du loisir, sociologie rurale ou sociologie urbaine, sociologie des jeunes ou sociologie de la vieillesse. Plus généralement, c’est parce qu’elle se représente la division scientifique du travail comme partition réelle du réel que l’épistémologie empiriste conçoit les rapports entre sciences voisines (...) comme conflits de frontière »43. À l’inverse, l’approche wéberienne – et en particulier son épistémologie44 – permet une mise en perspective du politique. Sa façon de concevoir la démarche scientifique et la construction des objets ouvre en effet la possibilité de dépasser l’alternative évoquée plus haut entre les définitions larges ou restreintes du politique, ainsi que les apories qui y sont liées.

  • 45 Ces distinctions sont très proches de celles, évoquées plus haut, concernant les activités politiqu (...)
  • 46 Ces développements s’inspirent de Max Weber, « L’objectivité de la connaissance dans les sciences e (...)
  • 47 Pierre Favre reconnaît en effet que cette affirmation, si elle n’est guère contestable en logique, (...)

47S’agissant du problème de la délimitation des sciences, le raisonnement que Max Weber effectue à propos des phénomènes « économiques et sociaux » peut tout à fait être transposé à notre réflexion sur les objets « politiques ». En commençant par rappeler que les faits peuvent être qualifiés d’économiques selon qu’ils sont économiques « au sens étroit » ou qu’ils sont « économiquement importants » (par les effets qu’ils produisent) ou encore qu’ils sont « conditionnés par l’économie »45, Max Weber relève « que la sphère des manifestations économiques est flottante et difficile à délimiter avec précision (...) et que le cercle de cette sorte d’objets – qui varie chaque fois avec la direction de notre intérêt – s’étend naturellement au travers de la totalité des phénomènes culturels (...), qu’il est quasi illimité ». Pour autant, ce constat n’autorise pas à conclure que tout est économique, mais seulement que l’économique constitue l’aspect de la vie en société (Weber parle aussi de prédicat) à travers lequel le chercheur envisage le monde social, ou, selon une formule plus consacrée, le point de vue sous l’angle duquel il construit ses objets. Et l’auteur de préciser : « Ce ne sont pas les relations “matérielles” des « choses » qui constituent la base de la délimitation des domaines du travail scientifique, mais les relations conceptuelles des problèmes »46. Voilà sans doute une formule destinée à fonder l’affirmation de Pierre Favre, selon laquelle la question de l’objet de la science politique n’a épistémologiquement pas de sens, mais invitant simultanément à penser le politique comme une dimension de la vie en société limitant notre regard de politiste sur le monde social tout en permettant de reconsidérer les relations entres les objets politiques47. S’il est vrai que l’Église n’est pas en soi politique, comment ne pas considérer les dimensions politiques des activités religieuses ? De même, on reconnaîtra aisément que l’État n’épuise pas le politique, bien qu’il en constitue une forme particulièrement déterminante dans nos sociétés.

Retour sur la science politique

  • 48 Marc AbélèsAnthropologie de l’État, Paris, Armand Colin, 1990, p. 114-116.
  • 49 Jean-Baptiste Legavre, « Comment parler d’un objet canonique ? Les partis politiques dans les manue (...)
  • 50 Jacques LagroyeSociologie politique, Dalloz, Presses de la FNSP, 1993, p. 129.

48Rendre compte des formes politiques instituées et reconnues comme légitimes, sans pour autant s’y limiter, tel est sans doute le programme général de travail que l’on peut assigner à l’analyse politique. Comme le relève Marc Abélès, « l’anthropologie a été conduite à penser le politique sans l’État (...) ». Elle nous enseigne ainsi une pensée de l’imbrication du politique et du social et nous incite à considérer « l’immersion du politique dans le corps social »48. À l’inverse, les développements récents de la science politique contemporaine nous invitent également à rendre compte des processus de construction sociale du politique et de désencastrement de cet univers par rapport aux autres sphères d’activités sociales. Ce double mouvement, qui appelle, selon Jean-Baptiste Legavre, « des analyses des relations politiques inscrites dans des structures sociales « historicisées »»49, traduit en somme le fait que le politique ne se comprend que comme « une forme objectivée des rapports sociaux » : « différenciation de l’ordre des activités politiques d’une part, insertion (...) de ces activités spécialisées dans l’ensemble des activités sociales d’autre part, la sociologie politique doit tenir compte de cette tension constitutive du politique »50.

  • 51 Pierre Favre, « Retour à la question de l’objet ou faut-il disqualifier la notion de discipline ? » (...)
  • 52 Jean-Baptiste Legavre, « Comment parler d’un objet canonique ? », art. cit., p. 123.

49Aussi, par-delà la classification des sciences, et donc le caractère plus ou moins légitime des objets au sein de chaque discipline, on peut se demander, en accord sur ce point avec Pierre Favre, s’il ne conviendrait pas d’abandonner « ce vieux terme de science politique (...) hérité et chargé de sens, et qui soulève bien des difficultés »51, au profit de celui de sociologie politique. Dans la conclusion de son étude consacrée aux manuels de science politique, où du reste était largement constatée une “sociologisation” de la science politique (lisible notamment à travers le recours très fréquent à l’appellation « sociologie politique »), Erik Neveu identifie un choix pour la science politique : « Consolider une discipline autoréférencée qui penserait avoir suffisamment de travaux originaux pour s’autonomiser ou participer à la construction d’une science sociale du politique qui plongerait ses racines dans la sociologie, l’histoire et l’anthropologie »52. S’il est vrai que la science politique n’a pas d’objet propre épistémologiquement, alors la voie est tracée vers la diversification de ses points de vue, l’élargissement de ses objets et la transgression des frontières académiques. Peut-être serait-il alors plus exact de parler de sociologie politique, non pas pour recommencer un travail de légitimation disciplinaire, mais plus simplement pour baliser une problématique considérant le politique comme une dimension de la vie en société.

NOTES

1 Jean Meynaud, « Sciences politiques et science politique », Res Publica, t.°2, 1 (1960), p. 6-11. Sans entrer dans le détail d’un débat, somme toute assez connu, on relèvera que ce changement tient principalement au fait que les sciences politiques sont constituées d’un conglomérat de disciplines ou approches diverses intéressant l’analyse de la vie politique (droit, économie, histoire, etc.), alors que la science politique fonde son autonomie, en tant que discipline scientifique à part entière, sur l’existence d’un objet spécifique, grosso modo les affaires publiques, qu’elle aurait pour tâche d’appréhender de manière privilégiée et unitaire.

2 Pour reprendre une expression de Pierre Favre, dans « La connaissance politique comme savoir légitime et comme savoir éclaté », Revue française de sociologie, vol. 24 (1983), p. 467-503.

3 Outre ses activités académiques, Jacques Freymond a le grade de colonel dans l’armée suisse et assure une présence dans différents milieux associatifs à vocation politico-culturelle, réunissant des responsables politiques et des intellectuels, notamment universitaires.

4 Mattei Dogan, « Morcellement des sciences sociales et recomposition des spécialités autour de la sociologie », Revue internationale des sciences sociales, 139 (février 1994), p. 47.

5 Fred Greenstein et Nelson W. PolsbyHandbook of Political Science, Reading (Mass), 1975.

6 William G. AndrewsInternational Handbook of Political Science, London, Greenwood Press, 1982.

7 Bernard Pudal, « Science politique : des objets canoniques revisités », Sociétés contemporaines, 20 (1994), p. 6-7.

8 Pierre Favre, « La question de l’objet de la science politique a-t-elle un sens ? », dans Mélanges dédiés à Robert Pelloux, Lyon, Hermès, 1980. p. 124-141.

9 Pierre Favre, « Retour à la question de l’objet ou faut-il disqualifier la notion de discipline ? », Politix, 29 (janvier-mars 1995), p. 141-157.

10 Traité de science politique, Madeleine Grawitz, Jean Leca dir., Paris, PUF, 1985, vol. 1, p. XII.

11 Pierre FavreNaissances de la science politique en France, Paris, Fayard, 1989, p. 319.

12 Pierre Favre, « La question de l’objet de la science politique a-t-elle un sens ? », art. cit. p. 136-139. On relèvera ici que cette analyse se devrait d’intégrer le fait que la question de l’objet de la discipline participe pleinement, à travers les nombreux débats qu’elle a suscités, de ce processus de construction disciplinaire.

13 Pierre Favre, « Retour sur la question de l’objet... », art. cit., p. 149.

14 Frédéric Bon, « Qu’est-ce qu’un vote ? », Histoire, 2 (1979), p. 107.

15 Alain Garrigou, « Le secret de l’isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, 71- 72 (mars 1988), p. 22-45.

16 Pierre Favre, « Retour sur la question de l’objet... », art. cit., p. 151.

17 Pierre AnsartLes sociologies contemporaines, Paris, Seuil, 1990, p. 27.

18 Jean-Baptiste Legavre, « Une discipline en chaire. L’initiation à la science politique dans les cursus universitaires au milieu des années quatre-vingt-dix », dans Enseigner la science politique, Pierre Favre et Jean-BAPTISTE Legavre dir., Paris, l’Harmattan, 1998, p. 37-62.

19 Pierre Favre, « La connaissance politique comme savoir légitime et comme savoir éclaté », art. cit.

20 Ibid., p. 481.

21 Selon l’appréciation de Jean-Baptiste Legavre (dans « Une discipline en chaire », art. cit. p. 60), qui mériterait toutefois d’être nuancée, vu le regain, assez récent il est vrai et ensuite d’une période de retrait, de travaux portant sur les institutions politiques, dans le prolongement du reste d’études plus anciennes conduites notamment par certains spécialistes des « sciences administratives » (Danièle Loschak, Jacques Chevallier, Lucien Sfez par exemple). Voir à ce sujet les deux contributions de Bastien François et de Christian Bidégaray dans le même ouvrage.

22 Cette liste est tirée de l’ouvrage collectif publié sous l’égide de l’UNESCO (alors à l’origine de la création d’Associations nationales de science politique), La science politique contemporaine, Paris, UNESCO, 1950, 740 pages.

23 Erik NEVEU, « Les manuels de science politique. Relève de génération et variations d’un genre académique », dans Enseigner la science politique, op. cit., p. 63-123.

24 Auxquels il conviendrait d’ajouter un nombre variable de chercheurs occupés dans des institutions para-universitaires, comme, par exemple, l’Institut des hautes études internationales (HEI) ou l’Institut d’études du développement, tous deux à Genève, ainsi que l’Institut des hautes études en administration publique (IDHEAP) à Lausanne.

25 Publication annuelle (depuis 1960) et généralement thématique de l’Association suisse de science politique, l’Annuaire est destiné à diffuser les travaux des politologues helvétiques, et plus particulièrement ceux consacrés au système politique suisse (environ trois quarts des contributions). Bien qu’il ne regroupe pas l’intégralité de la production scientifique dans le domaine (il s’agit toutefois de la seule publication suisse en science politique), il constitue cependant un bon indicateur de la situation de la discipline et des objets privilégiés par la science politique helvétique. En 1997, cette publication se transforme : elle paraît quatre fois par an sous le nom de Revue suisse de science politique, et prend dès lors un tournant que nous pourrions qualifier de plus « généraliste ». Les considérations qui suivent s’inspirent d’une recherche consacrée à l’histoire de la discipline. Cf. Bernard Voutat, Philippe Gottraux et Pierre-Antoine SchorderetLa science politique en Suisse. Genèse, émergence et perspectives d’une discipline scientifique. Lausanne, Institut de sociologie politique, 1997.

26 Bien entendu, la ventilation des différentes contributions dans ces rubriques et sous-rubriques comporte inévitablement une part d’arbitraire. Pour la limiter, nous avons admis qu’un même article puisse être rangé dans deux rubriques différentes, de sorte que le total des pourcentages excède 100. Ce choix était dicté par le fait que de nombreuses contributions proposaient une analyse d’un objet (par exemple le référendum) selon plusieurs angles (en l’espèce, celui des attitudes ou comportements politiques de l’électorat et les mécanismes de décision dans l’enceinte parlementaire, ou encore de la fonction de cette institution politique dans l’organisation des intérêts et des groupes).

27 Une synthèse de l’ensemble des ces travaux est publiée dans le Manuel du système politique de la Suisse, 4 volumes, Berne, Haupt, 1983. vol. I : Le contexte ; vol. II : Structures et fonctionnement ; vol. III : Fédéralisme ; vol. IV : Politiques publiques.

28 Celle-ci reste cependant limitée par les statuts du personnel académique employé en Suisse, dont une proportion importante reste précaire et développe un travail scientifique en marge, souvent, de l’Université, ou alors de façon plus ponctuelle dans le cadre de mandats de recherches limités dans le temps.

29 Cf. notamment l’analyse d’Alain Garrigou, « Science po : laminoir des élites françaises », Le Monde diplomatique, mars 1999.

30 Pierre Favre, « Retour à la question de l’objet... », art. cit., p. 145.

31 Cf. n. 11.

32 Et donc aussi le degré de rupture envers les représentations dominantes, légitimes du politique que cette construction engage.

33 Le rôle des définitions préalables de l’objet de la science politique dans le processus d’institutionnalisation de la discipline en Suisse est plus largement analysé dans « Mémoire disciplinaire et légitimation scientifique. La science politique suisse », Bernard Voutat, Philippe Gottraux et Pierre-Antoine SchorderetLes Annuelles, 8 (1997), p. 15-45.

34 Ce que ne fait précisément pas Pierre Favre, puisqu’il revient sur cette question dans une contribution plus récente (voir supra) et qu’il révise, au moins en partie, ses appréciations initiales.

35 Voir par exemple Jean Leca, « Le repérage du politique », Projet, 71 (janvier 1973), p. 11-24.

36 Pierre Bourdieu, « Penser la politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 71- 72 (mars 1988), p. 2-3.

37 Pour une vue d’ensemble sur ces questions, voir notamment François MasnataLe politique et la liberté. Principes d’anthtropologie politique, Paris, l’Harmattan, 1992 ; ou encore Marc AbélèsAnthropologie de l’État, Paris, Armand Colin, 1990.

38 Bernard Lacroix, « Ordre politique et ordre social », dans, Traité de science politique, Madeleine Grawitz et Jean Leca dir., Paris, PUF, 1985, vol. 1, p. 469-565.

39 Pierre Bourdieu, « Les modes de domination », Actes de la recherche en sciences sociales, (juin 1976), p. 126.

40 Daniel Gaxie, « Sur quelques concepts fondamentaux de la science politique », dans Droit, institutions et systèmes politiques. Mélanges en hommage à Maurice Duverger, Paris, PUF, 1987, p. 609.

41 Ibid., p. 609-610.

42 Ces développements trop sommaires se fondent sur le premier chapitre d’Économie et société, Paris, Plon, 1995, t. 1, p 27-100.

43 Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon, Jean-Claude PasseronLe métier de sociologue, Paris-La Haye, Mouton, 1983, p. 51-52.

44 Selon une appréciation de Marc Abélès, à laquelle nous nous limiterons ici (tant le sujet est vaste) et selon qui Max Weber « refuse de prendre les concepts pour des réalités » et dès lors « remet en cause [de manière déterminée et constante] les conceptions institutionnalistes et juridistes de l’État (...) À la différence du droit qui traite de l’État comme d’une personnalité juridique et des théories qui mettent l’accent sur la consistance propre de cette sphère, de ses institutions et de ses appareils, la sociologie [de Max Weber] prend pour thème l’activité constitutive de cette forme historiquement contingente de domination », forme qui apparaît ainsi comme le résultat d’un « complexe d’activités solidaires ». Cf. Marc Abélès, Anthropologie de l’État, op. cit., p. 79-87.

45 Ces distinctions sont très proches de celles, évoquées plus haut, concernant les activités politiques stricto sensu, orientées politiquement ou d’après les règlements du groupement politique.

46 Ces développements s’inspirent de Max Weber, « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales », dans Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1992, p. 36-143.

47 Pierre Favre reconnaît en effet que cette affirmation, si elle n’est guère contestable en logique, présente l’inconvénient de dissoudre les relations de fait entre les catégories d’objets. Il précise cependant qu’à ses yeux les tentatives de relier les objets politiques par une définition essentialiste du politique ou en fonction de leur plus petit dénominateur commun soulèvent des difficultés insurmontables. Cf. Pierre Favre, « Retour à la question de l’objet... », art. cit., p. 155.

48 Marc AbélèsAnthropologie de l’État, Paris, Armand Colin, 1990, p. 114-116.

49 Jean-Baptiste Legavre, « Comment parler d’un objet canonique ? Les partis politiques dans les manuels de science politique », dans Enseigner la science politique, op. cit., p. 122.

50 Jacques LagroyeSociologie politique, Dalloz, Presses de la FNSP, 1993, p. 129.

51 Pierre Favre, « Retour à la question de l’objet ou faut-il disqualifier la notion de discipline ? », art. cit., p. 157.

52 Jean-Baptiste Legavre, « Comment parler d’un objet canonique ? », art. cit., p. 123.

AUTHOR

Professeur à l’Université de Lausanne, Institut de recherches interdisciplinaires

© Éditions de la Sorbonne, 2002

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