Jan 1, 2023

Le Nsâmbi


Le "Nsâmbi", aussi connu sous le nom de "pluri-arcs", est un très ancien instrument de musique africaine qu'on retrouve surtout en Afrique centrale.121). Les cordes faites de crins d'éléphants, ainsi que de fils de palmiers partent du fond de l'instrument pour s' y attacher aux chevilles, qui, les unes plus longues, les autres  plus courtes, sont vers le manche. Des plaques très minces de fer et d'argent (sic) d'une grandeur proportionnée A l'instrument, sont suspendues A celles-ci; elles produisent divers tintements et il en sort un bruit entremêlé. Les musiciens avec les doigts, sans touche, on fait d'une harpe pincent magistralement du luth.De plus (chose admirable), au moyen de cet instrument, ils expriment leurs pensées et ils se font comprendre si clairement que, presque tout ce qui peut s'énoncer par la parole, ils peuvent le rendre au moyen des doigts en touchant de cet instrument. Sur ces sons, ils dansent en mesure battant des mains pour marquer le rythme de cette musique" (Pigafetta, op. cit. : 121).
L' instrument figure sous le nom de nsambi sur la planche des instruments de musique de l'ouvrage de Mero11a qui remarque, dans sa description plus pertinente que celle de Duarte Lopez qu'en lieu de manche, cette "espèce de guitare ll possède des arcs dont on modifie la concavité pour l'accordage .
Ces descriptions accompagnées de la gravure de Merolla qui ne laisse aucun doute, correspondent en tous points a un pluriarc de grandes dimensions avec ses sonnailles que l'on trol ve de nos jours aux mains des Teke et également chez les Mbo chi avec l'appellation ngwomi ou lu-kombe plus A l'Est. Par contre le terme nsambi désigne toujours chez les ba-Kongo et les populations de l'ancien territoire de Loango, un pluriar' de plus petite taille et de morphologie différente, ce qui laisse supposer l'antériorité du type teke actuel comme nous allons en discuter.
4. Nous avons vu au précédent chapitre qu'environ aux limites de la zone d'influence de l'aire culturelle kongl la harpe cédait la place au pluriarc qui au siècle dernier était encore utilisé par les Myene et Sekiani au Gabon avec des dénominations hésitant entre nsambi et nwombi (nom de la harpe). Dans la partie méridionale du Gabon, ce pluriarc existe toujours et nous l'avons répertorié chez les Rungu, Sira, Lumbu et Vili, bien qu'il nous ait paru régresser devant la harpe. Par contre, sur le territoire de l'ancien Loango proprement dit, au Congo Brazzaville, chez les Vili et Yombe, lA où la harpe disparaît totalement, le pluriarc nsami est couramment utilisé. Sur les plateaux teke, de l'Est du Gabon jusqu 1 au Stanley-Pool, le grand pluriarc ngwomi tient une place centrale dans la vie culturelle également. Si les textes de Pigafetta et apres lui Cavazzi et Merolla désignent par nsambi un modèle organologique semblable au ngwomi actuel des Tèké, le pluriarc représenté à la planc~he XXX l du Theatrwn Instrumentorum de Praetorius, aux côtés, on s'en souvient d'une harpe de type kele, semble bien le confier) 
Malheureusement, l'échelle manque pour juger de la dimension de cet instrument. Peut-être y a-t-il eu dès le XVIe siècle plusieurs modèles de pluriarcs au royaume de Kongo dont l'un se serait maintenu chez les Téké actuels, à moins qu'une évolution se soit produite par la suite à partir de cet instrument dans le sens à la fois de la harpe et du luth. En reprenant brièvement les travaux d'organologie auxquels nous avons déjà fait référence pour les harpes, et nous y ajouterons celui de Sëderberg (1956), le grand pluriarc ngwomi des Téké serait à mettre dans le groupe VI a. 1 d'Anckermann (1902 : 20) et dans la catégorie VII de Laurenty (1960 : 143) correspondant à des instruments du Kwango et du Stanley Pool, et le pluuriarc nsambi des Rungu, Sira, Lumbu Vi1i, dans le groupe VI a.4 d'Anckermann et la catégorie VIII, IX et X de Laurent y correspondant à des instruments tau situés sur l'ancien territoire du Loango. D'après Sëderberg : "Des indications ont été fournies au début du XVIIIe siècle concernant un instrument à cordes qui, d'après la description de Zucche11i, serait plutôt une harpe arquée qu'employaient les musiciens attitrés pour honorer les princes du Congo. Cette harpe était jouée simultanément avec la cloche double ... " (Sëderber0 1956 : 179)
          Dans quelle mesure peut-on se fier à la description de Zucche11i pour dire avec certitude qu'il s'agissait d'une harpe dont la présence paraît insolite au Congo à moins qu'el n'ait été réservée au seul usage des princes comme cela se faisait en Uganda ? Il est probable qu'il s'agissait en fait d'un p1uriarc de type 10ango dont le jeu évoque effectivement celui de la harpe. Quant au luth, on trouve également au Congo principalement chez les Bembe, des instruments de ce type appelés généralement nsambi ou ng~nfi (Pepper 1950 : 294-95) que l'on tient à la manière des sanza et dont Sëderberg pense - 97 - trouver le modèle dans le machete portugais (Soderberg 1956 : 178). L'influence du luth européen aurait pu contraindre les arcs du pluriarc kongo originel à se rapprocher, un système de ligatures permettant comme nous le verrons, de dissocier le plan des cordes. Comme le précise André Schaeffner : "la disposition des cordes dans le pluriarc est intermédiaire entre celles de la harpe et du luth chaque demi-arc a sa courbure propre, et si les cordes aboutissent toutes à une même ligne en bas de la table de résonance, leur ensemble ne dessine point un plan uniquement perpendiculaire à cette table (type harpe) ou à peu près parallèle à cette tab1e (type 1uth)" (Schaeffner 1936 : 188).
          Il n'en est pas tout à fait de même pour le pluriac des Teke où l'ensemble des cordes dessine plutôt un plan à peu près parallèle à celui de la table contrairement au nsamt dont le plan des cordes rappellerait celui d'une harpe. Les deux instru~ents requièrent d'ailleurs deux techniques différentes: le mode d'attache et de tension des cordes du nsambi isole spatialement chaque corde par un système de ligatures coulissant le long de l'arc et de sa corde ce qui permet en outre une plus grande précision de l'accord. C'est bien une technique de harpiste qui est requise: l' instrument est tenu perpendiculairement au corps, la base calée contre l'estomac. La courbure des arcs étant dirigée' vers le ciel, le plan des cordes se trouve donc à peu près perpendiculaire au corps de l'instrumentiste qui, des deux mains, maintient l'extrémité opposée de la caisse de résonance, lai~ sant 1'action du pouce et de l'index s'exercer respectivement sur les deux moitiés du plan formé par les cordes; son attitude rapoelle alors celle des harpistes de l'Uganda. Tout est opposé dans la technique du pluriarc des Teké l'instrument de grosses dimensions est posé à même le sol, verticalement entre les jambes de l'instrumentiste accroupi, et maintenu par le genou gauche (1) dans une attitude semblable à celle de la gravure de Merolla. 
               5. D'après Soderberg le nsambi de San Salvador "aurait été en usage dans la société secrète Ndembo, où il accompagnait la danse des initiés. Les non-initiés n'étaient pas admis voir le nsambi". (Soderberg 1956 : 170) et d'aprè Weeks (1914 : 160) cité par Soderberg, toujours vers S. Salvador: 
"This is the only musical instrument allowed in the 'lodge' of the secret society of the Country-of-the-dead, when the supposed dead engage in their dances". Chez les Vili; du Loango, le nsambi est l'instrument de la médiation avec les bakisi (1) dans la danse de divination Liboka organisée pour le dépistage de la sorcellerie (cf Hagenbücher-Sacripanti 1973).  Or cette "danse" Liboka laquelle nous avons assisté lors d'une mission dans l'ancienne capitale royale du Loango en compagnie de F. Hagenbücher est par certains aspects extérieurs semblable au Bwiti du Gabon. Le terme par lequel elle est désignée n'est d'ailleurs autre que la dénomination vili-yombe de l'eboga (2) ; les informateurs ont été formels et nous avions déja entendu parler de cette danse sur la lagune Mbanio de Mayumba au Gabon. En assistant cette cérémonie de Libo~n qui durait toute une nuit, nous avions l'impression d'assister une c{rémonie de Bwiti dans laquelle le pluriarc aurait remplacé la harpe avec une musique différente, il est vrai- et où toute l'activité se serait concentrée autour de ces danses acrobatique! exécutées avec des troches enflammées par lesquelles le ngant liboka s'apprête à recevoir les "messages" de l'au-delà (1). 
          Il n'y a pas lieu ici de discuter si la Liboka a été une adaptation du Bwiti ou inversement, mais p1utot de constater des traits communs, en insistant toutefois sur le fait que les danses de divinations ne constituent qu'une partie du Bwete des Tsogo, part ie amovi b1e sil' on peut dire et que l'on norm Bwiti misoko lorsqu'il s'agit uniquement de divination chez les Sira par exemple: des détails nous avaient frappé en particulier cette haute coiffure de plumes typique des Vi1i que portait le nganga Liboka et dont l'équivalent est dans le Bwete des Tsogo, une haute tiare de feuilles de bananier que portent les nganga spécialisés dans les danses aux flambeaux, chargés d'aller chercher les esprits et revenants dans les ténèbres. 
        Chez les Téké le ngwomi est également associé au culte des esprits, mais dans le cadre de sociétés d'initiation féminines chargées, entre autre, de soigner les maux provoqués par les esprits (ma-nkira) de la gémellité et de la fécondité qui possèderont les candidates à l'initiation et la directrice de l'association en lui révélant ainsi les médecines à utiliser (cf. Sal1ée 1978 et 1975). Au ngwomi sont attribués aussi les titres de noblesse qu'exprime chez les Teke la notion de nkani, notion qui connote l'origine du pouvoir politique traditionnel, garant des chefs de "terre et de la juridiction des ancêtres (cf. Bonnafé 1969) ; er.fin, le ngwomi était autrefois joué comme instrument funéraire lors de l'exposition publique du cadavre des grands chefs (Rouget, 1952).
 6. Cette comparaison de la morphologie, du mode de jeu et des fonctions du ngwomi et du nsambi n'a eu d'autre but que de souligner l' importance de ces instruments commne signes de la pénétration de la civilisation de Kongo aux pourtours du territoire du Gabon, tout en les opposant à la harpe à l'intérieur de ce même territoire. Il ressort cependant nettement que, dans ce vaste ensemble, 1a harpe se trouve "en distribution complémentaire", comme disent les linguistes, avec le pluriarc. Si les deux instruments ne peuvent coexister -exception faite de la zone marginale où la harpe pr09res~ ne serait-ce pas le fait qui ils sont à considérer comme des variantes distributionnelles d'un "archicordophone" revêtant soit l'aspect, soit le nom de la harpe ou du pluriarc ? Nous n'induisons pas ici l'hypothèse d'une confusion conceptuelle entre la harpe et le pluriarc mais bien celle d'une neutralisation des deux instruments au regard de leur fonction.

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