Dec 16, 2021

Corps perdu, corps retrouvé

Intégrer le corps en deuil fragmenté Lamentations funèbres en milieu punu Integrating the fragmented body in mourning: funeral lamentations among the Punu. Carine Plancke.


Conformément aux interprétations classiques de Durkheim ([1912] 1968 : 373-378), deMauss (1921) et de Radcliffe-Brown (1922 : 239-246), les études anthropologiques sur leslamentations ont souvent accentué le côté obligatoire de cette pratique chantée et l’absence de spontanéité et d’authenticité dans l’expression des émotions, afin de mettre en exergue son rôle social. Dans une révision de la question, Urban (1988 : 386) soutient que les lamentations révèlent même particulièrement bien l’impact de la société surl’individu dans la mesure où elles mettent en évidence le moyen par lequel la douleur,une émotion des plus intimes, est régulée, imposée socialement et même employée à une consolidation de la société. Il est intéressant de remarquer, comme le suggère Seeman(2004 : 60), que le point de vue adopté dans de telles analyses est celui de l’observateur ou de la société vue comme une entité générale dont la continuité doit être assurée, mais pas celui de l’individu en souffrance. Or, il semble que les lamentations ont aussi une importance considérable pour la personne qui les exécute. Elles remédient à lafragmentation provoquée par la perte d’un être proche qui, sur un plan affectif, faisait partie de son existence et était constitutif d’un sens subjectif de cohésion. C’est cette perspective, que l’on peut appeler phénoménologique, que j’adopterai dans cette présentation des lamentations funèbres chez les Punu du Congo-Brazzaville
1. À cet égard, je me focaliserai moins sur le contexte social des lamentations que sur leur contenu et leur agencement stylistique tel qu’il se révèle durant la performance.


2.Les lamentations punu sont de nature monodique, c’est-à-dire qu’elles sont chantées àune seule voix. En suivant un rythme non isochrone, elles allient des adages(bitonu)
, chantés sur une tonalité constante et sur un tempo rapide, à des mélismes de nature plus expressive. Les adages, transmis d’une génération à l’autre, édictent des vérités existentielles qui concernent principalement la mort, et la souffrance qu’elle engendre, mais qui évoquent également l’ordre des choses comme un ordre de fertilité dont fait partie la mort. Le mélisme est un mode musical consistant à charger sur de nombreuses notes une syllabe du texte chanté. Dans les lamentations punu, c’est généralement lavoyelle finale d’un mot ou le « e » muet final, qui se transforme alors en « è », qui estchanté en mélisme. Par cette alliance entre adages et mélismes, deux formes de musicalité sont jointes. Alors que les adages acquièrent de la musicalité par la suppression de la mélodicité de la phrase parlée
3. les mélismes en obtiennent par le développement de la mélodicité. Au cours d’une lamentation, régulièrement, sous l’effet de l’affect douloureux, des exclamations, des cris ou des gémissements interviennent et coupent la musicalité. Parfois, des souvenirs sont introduits, qui évoquent sous forme de discours direct des dialogues avec le défunt. Ces modalités textuelles et musicales m’amènent à suggérer que, aussi bien par leur contenu que par leur mode d’exécution, les lamentations punu permettent une expression à la fois de la fragmentation et de ce qui lui résiste, en intégrant cette fragmentation dans quelque chose de plus ample.
4. Les adages : une évocation de la fragmentation et del’intégration. Les adages qui constituent les lamentations funèbres donnent, en accord avec leur contexte, une large place à la thématique de la mort et à la désintégration qu’elle cause.Le monde est décrit comme peuplé d’êtres multiples qui cherchent tous à vivre pleinement, à grandir, à s’épanouir et à se reproduire chacun à sa manière ; or ces être sne peuvent pas échapper au déclin de leur force. La mort est cette réalité incontournable qui désintègre et fragmente. L’adage « La calebasse est maintenant un tesson, la personne peut se casser » ( Tsuve ka bo itengi, mutu ka bo ibulige), qui compare l’être humain à un artefact, évoque sa fragilité et la possibilité de fractures irréparables, qui sont l’effet de lamort. Un autre, édictant : « La respiration ne s’achète pas, la vie ne se tisse pas »(Muvume ga nzombi, monyu ga ivase)
, met plutôt l’accent sur le fait que la désintégration ne peut être maîtrisée. On ne peut déjouer la mort et assurer la vie en créant de la cohésion commelorsque l’on fait un tissage. Non seulement le défunt subit cette désintégration, mais lapersonne qui était proche de lui risque également d’être fragmentée. Un autre adage compare la veuve à un « serpent brisé dont on a coupé la tête et qui n’a pas de jambes » (Ni ka nyoge bulu, ba tabule muru, makulu nge labi), évocation de l’état de morcellement danslequel elle se trouve. Dans un autre encore, la brisure concerne spécifiquement la voix :« Je me casse la voix, la voix est d’une grande importance pour la personne » (Ni buli nembembu, mbembu na mutu bo musumbe)
. Par la capacité de parole qu’elle sous-tend, la voix assure l’humanité de l’être humain, laquelle est défaite chez la veuve.
Plus largement, en présentant la douleur et le mal-être dont souffre la veuve dans certaines parties du corps, les adages suggèrent qu’il y a une perte d’harmonie en elle.Toute l’attention est focalisée sur une seule partie du corps qui révèle un mal-êtreinsistant. C’est généralement la région du cœur, le centre des émotions et des qualitésmorales pour les Punu, qui est touchée. Ainsi, il est dit que « les côtes font mal » (mbandjikenzu)
, que « le cœur tourne »
(murime ka ne bunga bwaw)
, ou encore, que « le mal saisit la poitrine »
(dusosu ma gange tulu).
Dans la société punu, comme dans d’autres sociétés d’Afrique centrale, par exemple chez les Aluund (De Boeck, 1991 : 9-10), le mal-être estconçu comme une forme de « blocage », de fermeture qui perturbe le flux vitalisant,condition du bien-être. Par exemple, l’adage « La toux me bloque la poitrine, les ronflements me bloquent le nez, la douleur me bloque le diaphragme/le cœur » (Me ikotsulu ma gale tulu, malimbu/maronge ma gale mbasu, tjibende ma gale bidibe/murime) , en surenchère, illustre cette idée de mal-être comme blocage. La formule « Le bras trace lechemin vers la bouche, ledos et le ventre sont fermés par une tige, les intestins et leventre sont fermés autour d’un creux » (Wow na munu ka ilongu, ndjime na modji u kangedubambe, musope na modji u kange pwiti) élabore plutôt l’idée de fermeture. Dans ce dernieradage, le mal-être est physique et concerne la faim dont souffre la veuve, maintenant queson mari n’est plus là pour la pourvoir en viande. Dans les autres, il s’agit plutôt d’une douleur psychique qui va alors de pair avec une conséquence physique, l’insomnie : « Le cœur a des regrets, l’insomnie est avec moi, le cœur ne fait que tourner » (Murime nyongi,dukande ka ne lame nami, murime ka ne bunga bwaw).
5 Ce qui ressort de ces dictons est que les douleurs physiques, psychiques et sociales sont indissociables. Dans la vision punu, un individu ne peut s’épanouir sans parents, sans réseau social. La solitude rend faible et conduit à la marginalisation sociale. Être dépourvu de parent, c’est vivre dans la précarité, ce qui finalement entraîne la maladie.Le regret en soi mine la personne. L’adage « La honte a saisi les yeux, les regrets ont saisile cœur, le mal a saisi la poitrine » (Tsoni ma gange misu, manyongi ma gange murime, dusosuma gange tulu)
résume bien cette condition de mal-être de la veuve ; il a une portée sociale(la honte), psychique (les regrets) et physique (le mal). Toute son attitude corporelle estalors celle d’un repli sur soi pour se protéger contre l’atteinte faite à son intégrité. C’estce qu’expriment les adages suivants : « Les mains et les jambes sont contre le cœur, la personne n’a pas de parents, les bras sont sur les genoux »
(Myow na makulu mi vanemurime, mutu ma gambu na wandi, mi vane mabunde)
et « Je suis assise, je suis recroquevillée, pleurer n’a pas de sens, pleurer depuis le matin, les côtes font mal et la chassie coule des yeux » (Ni tsali, ni dukimi, u lile ga dyele, u lile vane kedi, mbandjikenzu, nabiketji ba ma wombule misu).
6 Contrairement à ces adages qui retracent la désintégration que provoque la mort, non seulement chez le défunt mais aussi chez la veuve qui était proche de lui, d’autresinsinuent l’idée d’une intégration qui persiste et donne la vie. La pleureuse évoque le liensubsistant avec la personne décédée en se remémorant la relation particulière qu’elle avait avec elle, les moments partagés, les promenades ou les réconciliations. Ces phrases sont souvent chargées d’une émotion joyeuse.
6 Elle adresse aussi des demandes au défunt ou à la mère, assurée qu’elle aura une réponse, ou alors elle exprime son amour pour luiet glorifie sa beauté. Dans une même opposition à la mort et à sa puissance destructrice,la nature éternelle des êtres est décrite, la fertilité humaine et végétale est célébrée et l’univers naturel est présenté comme un monde de croissance et de développement infini. Un adage que j’ai entendu dans maintes lamentations glorifie la fertilité de la nature quidonne des fruits et fait pousser les légumes, surtout au bon endroit et au bon moment, àsavoir dans les lieux couverts de cendres et au clair de lune : « La peau, la banane es tdedans, l’endroit où on a brûlé, on voit la lune et les légumes et les aubergines » (Irike imupale gari, dinyengi ba la tsungi na ngambe na mbolonge).
7 Une catégorie de dictons, finalement de haute importance dans les lamentations et quiagit fortement contre la désintégration et le repli sur soi, est celle où la chanteuseexplicite sa descendance clanique et cite les marigots appartenant à son matriclan ou aumatriclan dominant de son village. Ces marigots portent le nom des génies de l’eau qui y habitent et qui assurent la fertilité et le bien-être de la communauté clanique et villageoise qui leur est liée. Pour les Punu, ces endroits symbolisent et font éprouver demanière très sensorielle l’appartenance à une communauté dont la continuité est Se lamenter : un travail de deuil.
8 Afin de comprendre comment se réalise le travail d’intégration par rapport à la menace de fragmentation, il ne suffit toutefois pas d’analyser le contenu des adages ; le déroulement des lamentations doit être examiné ainsi que la manière dont les chantsagencent les adages en alternance avec les mélismes, les exclamations et les souvenirs. Lapleureuse punu crée à chaque occasion sa lamentation en enchaînant, dans un ordrealéatoire, des adages qu’elle choisit elle-même. Ce sont généralement des associations quiexpliquent la transition d’un adage à l’autre et la manière dont ils donnent lieu à desexclamations ou suscitent des souvenirs concrets. Ces associations suivent le smouvement saffectifs chez la pleureuse et ils ens ontl’expression. La pleureuse peut poser la phrase où elle le veut et alterner les adages et les mélismes à son gré, en variantles sons, tantôt aigus, tantôt graves, et en descendant ou en montant le ton. La lamentation se crée donc au moment de chanter, en fonction de ce quevit la pleureuse.Elle est ontogénétique, c’est-à-dire qu’elle prend corps dans l’acte du chant, ses suites étant imprévues. En transcrivant une lamentation, un des traducteurs remarquait que la pleureuse « était allée loin », confirmant l’idée que le chant est un mouvement vers ce qui n’est pas encore connu, vers ce qui vient en chantant.
9 Cet approfondissement progressif de la lamentation est facilité par des procédésrécurrents. Souvent, la pleureuse répète un même adage ou une même formule stylisée àdes intervalles réguliers. Son chant se déploie à partir de cette reprise. Un mouvementinterne d’épanouissement de pensées et de sentiments se développe et se précise. Lesmélismes véhiculent ce processus. C’est comme si la répétition accordait à la phrase unevaleur plus générale et la distanciait ainsi de la chanteuse, ce qui lui permet alors de« plonger » dans son vécu intime. En employant les termes suggérés par Scheff (1977), onpourrait dire que la pleureuse atteint ici « une distance esthétique », car elle se trouveentre la sous-distanciation qui submerge le sujet et la surdistanciation qui le laisseindifférent.
10 Un va-et-vient entre le général et le particulier est aussi effectué moyennant d’autresprocédés. Les pleureuses entonnent parfois les adages avec les paroles « Moi aussi » (Mawa), ramenant de la sorte ces vérités transgénérationnelles vers elles-mêmes. D’autrepart, par rapport à ce qui est plus personnel, à savoir les exclamations de douleur ou dedésespoir, des procédés de distanciation interviennent. La pleureuse se décrit elle-mêmeà la troisième personne ou en utilisant son nom propre. Ou bien, après avoir relaté des souvenirs personnels, elle enchaîne aussitôt avec des adages. La structure même des lamentations (alternance entre adages, mélismes et souvenirs) invite à réaliser uneoscillation entre le particulier et le général. En adoptant une forme musicale préétablie, la pleureuse va dans quelque chose qui existe hors d’elle-même. Dans les moments où cette où cette forme est rompue par l’affect intime, la chanteuse est ramenée vers elle-même et semblerejoindre la mort comme force de désintégration, pour aussitôt en sortir, dans la restauration de la. C’est précisément dans ce mouvement vers une forme générale, vers quelque chose au-delà d’elle-même, que la lamentation se réalise et débouche sur un travail de deuil quel’on peut définir comme un travail de liaison et d’intégration.
À ma question sur la manière dont il faut exécuter les pleurs, mes interlocutrices punu insistaient sur la continuité et la fluidité du mouvement. Il faut « faire passer des pleurs, les déposer, faire passer des pleurs, les déposer ». D’une bonne pleureuse, on me disait aussi qu’elle « a de l’huile dans la gorge ». Comme il ressort des adages, les Punu conçoivent la maladie comme une forme de blocage. Le bien-être est alors considéré comme un flux qui coule, quelque chose qui n’est ni trop serré ni trop lâche. C’est ce que cherchent à réaliser les lamentations, de manière imparfaite, mais toujours réitérée.
Douleurs et souvenirs Afin d’illustrer l’argument développé, j’ajoute l’enregistrement
et la transcription d’un fragment d’une lamentation funèbre :Ce média ne peut être affiché ici. Veuillez vous reporter à l'édition en ligne http:// journals.openedition.org/ateliers/11530Elle a été exécutée par Christine Matsanga, du village de Moussogo, en compagnie de sagardienne, dans la maison de réclusion après le décès de son mari, le 31 août 2005
11 Le pouvoir intégrateur de ce type de chant y apparaît clairement. On remarque comment, àun moment donné (ligne 7), aprèsdes phrases alternant adages et mélismes, la douleurl’emporte, interrompant la mélodie. La pleureusegémit en criant le nom de son mari eten y adjoignant, dans un surcroît d’intimité, le surnom qu’elle lui donnait habituellement.La montée de l’affect fait surgir immédiatement un souvenir, à savoir les moments oùl’époux ajoutait à son repas des condiments qu’elle avait préparés (ligne 8). L’intensité dela douleur ressentie pousse alors la pleureuse à introduire un opérateur de distanciationpuissant : elle se décrit à la troisième personne comme une femme éprouvée, aux prisesavec une souffrance excessive.
11Ma wa pondji nu tjete bwaw, me disunzu ni rombièyèèèèè èèèèèè èèèèè èèè, pondji nu tjetebwaw, me disunzu ni rombièèè, nu sunze va kane, divwande ndawo bakwili irowo kondumilanzèèèè, Bawangièèèèè èèèè èèèèè èè wa pinzè Moi aussi je vais soulever le panier, je cherche un endroit pour le poser, moi aussi jevais soulever le panier, je cherche un endroit pour le poser ; je vais le déposer à lamaison, la maison où on entre et sort, la maison des veuves, un bruit semblable auxpleurs des grenouilles, Bawangi 12, toute seule Ma wa me nu byale wa i kolèèèèèèè èèèè, me ngene kola Bawangièyèyèyè, dwere ka omusandèyèyèyè, è wa pinzè èèèè Moi aussi je vais pleurer sans cesse, je pleure Bawangi le serpent dwere est dans leparasolier, toute seule3 Ma wani ma la dyu kambe, u kambe na mutu u ga page, dyambu ne u djabe, ne u vage èè, Bawangièyèèlèèè è u we malongu, murime sindèyèèlè Moi aussi j’ai connu de grandes difficultés, que l’homme ait des difficultés ne peutêtre mis en doute, des difficultés pour savoir, pour faire quelque chose, Bawangi, tuvas loin, le cœur est dur Intégrer le corps en deuil fragmentéAteliers d'anthropologie, 46 | 20195 4.Ma wa mburèè, mburèè èèè, mburè ombu ifumbe, inangu ombu mulumièèè èèèèèè, kondengange u rangune wawèè, mutjinge dyambu u ba na dibuliè, èèèèèè èèyè Moi aussi, mettre au monde, être mise au monde chez les parents, vivre chez lemari ; si tu es dans le manque, le devin va te nommer, en cas de bagarre, il faut avoir ta famille
5.Bawangi, kwamuse wami yè na burange, tji na buyindji na yenze tji na makabwè yèyèè, ambukwèèè, a mbukwèèèèè eueueueueueu, ma wa mbuku nu vage bwaw, munyongu wo sukèmamèè èè, a nzale mambukwè mamèèèèèèè èèè
Bawangi, aide-moi avec bonté, non pas avec mépris, avec amitié, non pas aveccolère, ah, laisse, ah, laisse, moi aussi je hausse les épaules, le regret ne finira pasmaman, ah, l’envie de hausser les épaules, maman
6. Nzale mame bo u labe, nzale mame bo u labe, yèyèyèèyèèlèyèè, ma wa kingili ga ndambu,dirugeme ga fingu, mwendu idedi ma ga kombu, mulanze dibale u ga makedjiè yèè,mburèèèèè, mburè ombu ifumbe, inangu ombu mulumi, konde ngange u rangune wamièlè, yè mbukwè, munyongu o murime, yèyèyèyè èyè wa pinzèèè L’envie de maman, seulement pour la sentir, l’envie de maman, seulement pour lasentir ; la pierre n’a pas de moitié, la sueur ne peut être essuyée, marcher sur le platne provoque pas d’essoufflement, une grenouille mâle n’a pas d’œufs ; mettre aumonde, être mise au monde chez les parents, vivre chez le mari ; si tu es dans le manque,le guérisseur va te nommer,ah,laisse,le regret aucœur,ah,laisse,toute seule.
7. Ma wa mbukwè mbukwè yèyè mbukwè yè mbukwè yè munyongu wo sukèè, mulumièmabandé yèyèyè, è va yetsu ne u tolèè, Bawangyè, a a a a Wangié, Dikundwè eu Moi aussi, ah, laisse, ah,laisse, ah, laisse, ah, laisse, le regret ne finira pas, monpremiermari,maman,iln’amêmepasatteintsonâge,Bawangi,ah,Bawangi,Dikundu
8. Dikundwè yèyèyèyèèèyèyèyèyè èyèyèyèyèyè, u ki bwese bwesèè, yambéèleu, Dikundu akane mwe bwese bwesèyèèèyè, a ga mana u djièèèè, a kene bwesa wandiè, yè inyunge yoyinè,nzale u lilèè, Bawangyèeu, dyambu ne u djabe ne u vage, è mbukwèèèèè
Dikundu, tu ajoutes encore la sauce de noix de palme, Dikundu va encore ajouter, iln’a pas fini de manger, il ne fait qu’ajouter, cette joie, l’envie de pleurer, Bawangi,un problème pour savoir, même pour faire quelque chose, ah, laisse
9.Bawangyèyèèèèèèèèèèèèèèèèèènikanemayukwèèè,èmunyonguwosukèlè,èmunyonguo murimèlè
Bawangi, je suis habituée, le regret ne va pas finir, le regret au cœur
10. Bawangièyèyèèèèèlèèèèlè, u we malongu, murime sindèèyèèèèè, wulu Mavase, a kanetate, a kane bombe, a kane tate, a kane swenga nana, nzale mulumièèlèyèlèyè, wulumenwèèèèèè, u kambe na dyambu, u mbandile menwèyèlèèeueu èyè wa pinzèèèè, ni ma ladyu kambè, u kambe na mutu ga pagè, Bawangièèè éééé éééé éé
11.Bawangi, tu vas loin, le cœur est dur, écoute Mavassa, elle gémit, elle sanglote, ellegémit, elle hurle comme ça, l’envie de mon mari ; écoute-moi, quand j’ai unproblème, tu es le premier à m’aider, pauvre de moi, toute seule, moi aussi j’ai connu de grandes difficultés, que l’homme ait des difficultés ne peut être mis endoute, Bawangi ***
13. Revenons brièvement sur le questionnement initial quant à l’interprétation deslamentations. Il est remarquable que les auteurs qui comprennent cette pratique chantéeen termes de devoir social accentuent surtout son caractère stylisé et socialement stipulé.L’enjeu semble être, à partir d’une opposition binaire entre société et individu, demontrer l’impact de la première sur la seconde. Or, bien que les lamentations punu soient considérées comme une obligation morale par mes interlocuteurs, elles n’excluent pas.
Intégrer le corps en deuil fragmentéAteliers d'anthropologie, 46 | 20196
14. l’expression de pensées et de sentiments idiosyncratiques. Ceux-ci s’énoncent au cours dela performance, sous forme de souvenirs, d’exclamations ou de cris ; ils alternent avec lesadages très stylisés et interrompent parfois résolument la mélodicité. La capacité que détient cette forme chantée d’accomplir un travail affectif repose sur son déploiement progressif, qui mêle, en accord avec le vécu de la pleureuse, ces différents modese xpressifs et bascule sans arrêt d’un pôle général et conventionnel vers un pôle plus individuel et personnel. Cet argument rejoint une idée récemment développée par Berthomé et Houseman (2010), selon laquelle le mouvement d’oscillation entre parler,chanter et parler ainsi qu’entre sentiment personnel et pratique stipulée n’est pas un élément contingent des lamentations, mais conditionne véritablement leur efficacité.

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