Chapitre 6
LA FONCTION DE L1ÉPOPÉE MUMBWANGA
6.1. Introduction
La littérature orale punu en général et l'épopée
Mumbwanga en particulier n'a jamais été un «art pour l'art» mais un art pour la
vie, moyen d'instruction et d'éducation. Cet aspect utilitaire de la
littérature orale se révèle dans la triple fonction de l'épopée, à savoir la
fonction de loisir, de cohésion sociale et d'éducation.
6.2. La fonction de loisir
La narration de l'épopée comme celle des contes
d'ailleurs, communication
interhumaine, a d'abord pour fonction de relater un récit pour divertir. En
effet, les
enfants qui assistent à une séance de profération de Mum bwanga, ne voient en
l'épopéeq ue le côté divertissant, récréatif et ludique. Les adultes sont aussi
intéressés.
Ce récit constitue une partie des loisirs pour tous ceux qui, le soir venu, se
retrouvent
réunis dans le mulebi, après les travaux des champs. Mumbwanga apparaît ainsi
comme un passe-temps qui permet d'agrémenter la vie et d'oublier les soucis
pendant un moment, mais surtout comme une occasion pour les villageois de se
retrouver ensemble.
6.3. La fonction de cohésion sociale
Bien qu'il existe d'autres circonstances au
cours desquelles les Bapunu se réunissent, par exemple les séances des
tribunaux coutumiers, la déclamation de l'épopée, comme celle des contes, vise
à renforcer la cohésion du groupe. Comme l'écrit Roland Colin à propos des
contes: «Les membres du groupe se sentent davantage liés du fait qu'ils se réunissent
à la même veillée, chantent ensemble, participent au même rire, à la même émotion.
Les contes agissent en tant que facteur sociologique de cohésion. Cette
utilité, àla différence des autres, n'est pas consciente, elle est acquise par
surcroî[1]t»
1. De son côté, Christiane Seydou écrit: «Toute personne qui a, en Afrique,
assisté à l'énonciation d'uneépopée, n'a pu rester insensible au caractère
"communie!", dirons-nous, de cette manifestation culturelle et n'a pu
que reconnaître les qualités spécifiques de ce genre qui sont son dynamisme
mobilisateur, sa capacité de faire communier un public unanime dans une
exaltation suscitée par une mise en forme particulière d'une donnée idéologique
commune faisant partie du savoir collectif» .
6.4. La fonction d' éducation
Tout en distrayant et en assurant la cohésion
sociale, l'épopée Mumbwanga, à l'instar des contes, n'en a pas moins un rôle
éducatif, instructif. L'aspect didactique se mesure à l'enseignement que
l'épopée renferme.Le Mumbwanga a pour mission de transmettre les bons plincipes
de la vie, ceux selon lesquels ont vécu les ancêtres. Ce récit invite
l'auditoire à la réflexion car la non-observation d'un précepte entraîne un
conflit. C'est une pièce maîtresse de la sagesse éducative traditionnelle.Le
contenu du Mumbwanga constitue un inventaire encyclopédique de la plupart des aspects
de la culture punu.
6.4.1. Le Mumbwanga, source d'enseignement
Le Mumbwanga est considéré comme source
d'enseignement à cause des symbols qu'il contient. Avant d'inventorier et
d'analyser ces symboles, il convient de cerner la notion de symbole. Pour
Hjelmslev, cité par Greimas et Courtès, le symbole est parfois une «grandeur susceptible
de recevoir une ou plusieurs interprétations»2. Pour Saussure également cite par
Greimas et Courtès, le symbole peut aussi devenir «susceptible, dans un context
socio-culturel donné, d'une seule interprétation»3. Enfin pour Peirce, le
symbole est «l'expression d'une particularité socio-culturelle fondée sur une
convention sociale[2]».
J'ai regroupé sous le terme de symbole des éléments divers allant d'un objet
tel un jonc à une attitude comme gifler son père. Ces éléments renvoient à
l'intérieur de la société traditionnelle punu à des notions importantes.
Je vais d'abord faire l'inventaire des principaux symboles dans les trois
versi.ons du
Mumbwanga et essayer ensuite de dire ce que chaque symbole représente dans la
société punu.
6.4.1.1. L'inventaire des symboles
6.4.1.1.1. Les symboles de la version Mul
a) De Nzambi et ma Pungu
b) Mumbwanga
c) le paquet de joncs
d) la naissance par l'oreille
e) gifler son père
f) les jumeaux
g) l'arbre muteli ou mureyi
h) la lutte entre l'oncle et le neveu
i) se laver
j) épier sa soeur nue.
6.4.1.1.2. Les symboles de la version M
a) De Nzambi et ma Pungu
b) la grossesse de neuf enfants
c) la grossesse de douze mois
d) Mbwanga
e) gifler son père ou tenter de gifler sa mère
f) la naissance par l'oreille
g) la lutte entre l'oncle et le neveu
h) les jumeaux
i) se laver
j) épier sa soeur nue.
6.4.1.1.3. Les symboles de la version Mu2
a) De Nzarnbi et ma Pungu
b) Mutubi ou Mumbwanga
c) les jumeaux
d) le paquet de joncs
e) l'arbre muteli ou mureyi
f) la naissance par le genou
g) la lutte entre l'oncle et le neveu
h) gifler les grands.
6.4.1.2. L'interprétation des symboles
6.4.1.2.1. De Nzambi et ma Pungu
De Nzambi et ma Pungu se retrouvent dans les
trois versions (Mul, M et Mu2). Ils représentent le premier couple humain
dans la cosmogonie punu. D'autre part, Nza Pungu, pour Nzambi Pungu, est le
surnom que les Bapunu donnent à Dieu. Celui-ci est considéré par les Bapunu
comme l'Etre Suprême, Grand Architecte de l'Univers, Créateur et Maître de
toutes choses. Deux teRMes servent à le désigner. Il s'agit de Nyâ:mbi et de
Nzâ:mbi.
6.4.1.2.2. Mumbwanga
Mumbwanga, appelé aussi Mbwanga ou Mutubi
Nzambi, héros de cette épopée,représente le sauveur, celui qui vient
délivrer les Bapunu des mains de leurs ennemis. Il s'agit en fait de la lutte
de l'homme contre le mal symbolisé par le monstre Diyéverekèsa.
6.4.1.2.3. Les jumeaux
Les jumeaux sont le symbole de la force. Ils
représentent la communication avec les ancêtres. En effet, les jumeaux sont
reconnus par les Bapunu comme des ancêtres (ba yû1u, au singulier mu yû1u) qui
reviennent et se réincarnent dans des enfants à naître. Les jumeaux sont ainsi
considérés comme des êtres exceptionnels.
Leur naissance, qui a revêtu jusqu'à un passé récent un caractère mystérieux,
est
considérée par les Bapunu comme un phénomène surnaturel et fait l'objet d'une
cérémonie particulière. Autrefois, dès l'accouchement, la nouvelle parcourait
le village par l'entremise d'un agent du chef de village qui cumulait les
fonctions de gardien des secrets et de maîtr,e des décisions et qu'on appelait
nzonzi (pl. banzonzi). Le père des nouveaux-nés était convoqué dans le
temple (dibânze) où les devins-guérisseurs l'accueillaient avec des chants
et lui demandaient d'aller chercher des objets rituels devant servir dans les
soins à prodiguer aux enfants et à leur mère.
Ces objets rituels sont :
- deux graines médicamenteuses appelées nzî:ngu (sg. dunz i:ngu) de
l'arbre
munz i:bgu, «Muscadier de Calabash» ;
- deux morceaux d'écorce appelés biba:1u (sg. yi ba: 1u) du flamboyant
du Gabon ou
de l'arbre magiquel . Ces écorces entrent dans la préparation du médicament
destiné à
1. Les Bapunu appellent le famboyant du Gabon
mupê: ngi et l'arbre magique muteli ou mureyi. Ces deux arbres,
arbres-fétiches, sont appelés «arbres de guérisseurs». Ces derniers, en effet,
utilisent l'écorce de ces arbres dans leurs traitements. délivrer la mère des
jumeaux du mauvais sort que pouvaient lui jeter les esprits maléfiques. Les
têtes des enfants et de leur mère étaient enduites de la poudre de ces écorces.
-trois plumesrouges de perroquet tsal
tsi kûsu (sg.dusal du kûsu) dont
deux étaient placées dans la chevelure de la mère, et une, qui servait de
repère aux
visiteurs, était placée à la porte. Quand un des jumeaux était mort, la mère ne
portait
qu'une plume.
- deux morceaux de kaolin dont l'un blanc appelé pêmbi et l'autre rougel
appelé
muyû1i. Ces morceaux de kaolin permettront le badigeonnage des visages des
jumeaux et de leur mère.
- une marmite en terre cuite appelée dwê:ngu (pl. nyêngu) dans laquelle
on place le
placenta appelé kWÊ:bd (pl. bakwÊ:bd).
- un pagne en raphia appelé disyâ1 «legs des ancêtres» servant à
couvrir la marmite
sacrée. Une fois ces objets réunis, les vieux du village, vêtus de raphia, se
rendaient en
procession dans la maison où se trouvaient les jumeaux. Au rythme des tam-tams
et des chants, la procession traversait la cour du village, illuminée par des
torches derésine d'okoumé, où le père des jumeaux, en cache-sexe, allumait un
grand feu.
Une fois arrivés dans la demeure des jumeaux et de leur mère, les gens se
mettaient en
demi-cercle. Le chef du village ou son délégué coupait le cordon ombilical des
jumeaux: Après cela, les gens se dirigeaient, toujours dans la nuit, vers une
case construite spécialement pour la cérémonie de bénédiction présidée par le
Mwiri[3]3. Les parents
qu'onbénissait, au cours de cette séance, étaient appelés taji kit d
«père béni» et ngûji kit d «mère
bénie». C'est au cours de cette même veillée que Mwiri rendait les jumeaux
invulnérables en les immunisant contre les sorciers. De grand matin, la
procession partait de la case rituelle vers la maison des jumeaux.
Enfin, il convient de relever que les jumeaux ma(v)vâs(e) (singulier divâse)
s'annoncent dans les rêves et choisissent eux-mêmes leurs noms. Voici quelques-uns
d'entre eux:
- Ma
rûndu et Mbûmb~
- Mfûbu et Nzayu
- Mu bâmb~ et Mudiim~
- Mul3ê:IJg i et Mu tel i
- NgEb~ et YinyiiIJg~l.[4]
6.4.1.2.4. Gifler son père
Gifler son père ou son aîné et même tenter de gifler sa mère représente une
remise en
cause des valeurs essentielles de la société punu. C'est nier l'ordre familial,
la puissance paternelle et l'organisation socio-culturelle fondée sur le
respect des parents et des plus âgés. Comme l'écrit Christiane Seydou, il
s'agit de la «transgression des normes de comportement régissant la société et
en assurant l'harmonie»2.
6.4.1.2.5. La lutte entre l'oncle et le neveu
Cette lutte remet en cause l'organisation familiale dans une société
matrilinéaire où la
relation oncle-neveu est très importante. En effet, c'est le neveu qui, à la
mort de son
oncle, hérite de tout ce qui appartenait au défunt: biens matériels, épouse (s)
et enfants. Cet affrontement entre l'oncle et le neveu symbolise le désordre.
Ici aussi,
«l'inobservance des types de relations conventionnels entre parents», comme l'a
écrit
Christiane Seydou3, constitue une transgression de la tradition ancestrale.
6.4.1.2.6. Le paquet de joncs
Les joncs, ndibi ou mind
ii b i (sg. dun Diibi), qui servent à la confection des
nasses, des corbeilles et des bandeaux frontaux pour le portage des hottes,
mettent en
évidence l'activité économique de la femme. Le paquet de joncs est donc le
symbole de l'importance de la femme dans la société matrilinéaire punu. Condition
pour le mariage de Maru ma Nzambi, le paquet de joncs représente les problèmes,
les difficultés que l'être humain doit quotidiennement sunnonter. Autrefois, la
natte piib~ (pl. bapiib~), fabriquée en joncs, servait de linceul
pourl'ensevelissement des morts. Une autre interprétation est donc possible: le
paquet dejoncs symbolise la mort, le malheur. On constate d'ailleurs, à la
lumière die cette
interprétation, que le monstre Diyéverekèsa, qui
réussit à soulever le paquet de joncs,
meurt à la fin.
6.4.1.2.7. La naissance par l'oreille ou par le genou
La naissance du héros Mumbwanga
par l'oreille ou par le genou exprime une
étrangeté. C'est la négation de ce qui est habituel. La naissance par
voie antinaturelle
symbolise la pureté du héros et permet à ce dernier de surmonter les obstacles
et de
délivrer sa soeur Marundu. Yikafi, qui est né par la voie naturelle et qui est
aussi fort que Mumbwanga, échouera là où celui-ci réussira.
6.4.1.2.8.L' arbre mutely
L'arbre muteli, appelé
aussi mureyi[5], est considéré par
les Bapunu comme un arbre magique. Il symbolise l'arbre de la vie. C'est à
l'ombre de cet arbre que s'accomplissent les rites d'initiation au Bwiti. C'est
au cours de cette cérémonie que l'on propose au néophyte l'itinéraire de sa
renaissance. Enfin, c'est au pied de cet arbre qu'on a coutume d'enterrer les
jumeaux.
6.4.1.2.9. Epier sa soeur nue
Epier sa soeur nue équivaut à un désir
d'inceste. Que l'inceste, qui est un tabou, soit consommé ou non, il constitue
un acte répréhensible parce que générateur de désordre familial. Le coupable
s'expose d'ailleurs à une punition. On dévoile le désir d'inceste ou l'inceste
lui-même en contraste avec l'idéologie affichée. La relation frère-soeur doit rester
opposée à toute idée incestueuse.
6.4.1.2.10. Se laver
Le bain est le symbole du
changement d'état. Il représente la purification. C'est ainsi que l'initiation
des adeptes du Bwiti pour les hommes et du Nyemba pour les femmes se termine
toujours par un bain destiné à les purifier. Le retrait de deuil est lui aussi
ponctué par un bain rituel.
6.4.1.2.11. La grossesse de neuf enfants
C'est une grossesse étrange. Les Bapunu sont habitués à voir des grossesses de
deux
ou trois enfants. La grossesse de neuf enfants est inhabituelle. Les neuf
enfants
représentent les neuf clans originels des Bapunu.
6.4.1.2.12. La grossesse de douze mois
Douze
mois est une durée inhabituelle pour une grossesse normale. Cela paraît
étrange. Le chiffre 12 représente la maturité. Il correspond en effet à l'âge
où l'on s'initie. D'autre part, le chiffre 12 symbolise la durée de la
préparation à l'initiation dans les sociétés secrètes et la durée normale du
veuvage. Pour terminer avec les symboles, je dirai que gifler son père
ou un grandi d'une manière générale, ou tenter de gifler sa mère, ou encore
épier sa soeur nue sont tabous. L'aspect moralisateur est donc implicite dans
la référence au système de valeurs. Si l'épopée Mumbwanga constitue une source
d'enseignement, elle est aussi un témoignage sur le mode de vie pu nu grâce aux
divers sujets qui y sont abordés.
6.4.2. Le Mumbwanga, expression de la culture punu
Le
Mumbwanga est l'oeuvre littéraire punu qui procure le plus d'informations
culturelles. En effet, il donne une idée sur la vie sociale, économique et
religieuse.
6.4,2.1. La structure sociale
Le Mumbwanga donne une information sur les coutumes relatives au mariage, à la
naissance et à la vie dans les villages.
6.4.2.1.1. Le mariage
Ce thème est présent dans les trois versions du Mumbwanga. C'est ainsi que le
mariage est évoqué dans:
- la première version
Au Mul, 225,on a:«Yike ma Pungu na tâ: nzâ:mbi Yike bakwélene».
«Maman pungu et papa Nzambi se marièrent donc».
- la deuxième version:
AuM,l1etI2,on a:«tâ:te denzâ:mbi amawe:le
muyétu,
dine dyândi ma Pungu»,
«Père Dé Nzambi épousa une femme, elle
s'appelait maman
Pungu».
- la troisième version
Au Mu2, 22, 23, 27, 28 et 29, on a: «ak~tsun~
tâ:ji na
Nguji YI "marne na
tâ:te mé nyirondi
uwé:le". ta:ji na I]gUJl bak~lH YI
"romb~ nde bê:nYI mbur~ jln~ ulâbil~ muyétu uk~wé:l~".akflâb~
mwân~ mu1yétu dln~ dyândi nzâ:mbf band~. anayflâ nzâ:mbl band~,
764
ak;}muwé:l ;}», «Nzambi d'en haut avait demandé
à son père et à sa mère l'autorisation de se marier. Son père et sa mère lui
dirent de chercher lui-même l'endroit où il trouverait une fille à épouser. Il
vint voir une jeune femme appelée Nzambi d'en bas. Après avoir vu Nzambi d'en
bas, il l' épousa».
Le
mariage diwele (pl. ma wÊ: 1;}) est essentiellement exogamique. C'est la
condition sine qua non du mariage, celle qui ne doit à aucun prix être
transgressée. Le
principe d'exogamie se résume ainsi: on ne peut se marier qu'en dehors du clan
auquel
on appartient. Il faut noter que chaque mupunu a deux clans: un clan principal
et un clan secondaire. Comme il s'agit de filiation matrilinéaire, le clan
principal est celui de la mère. Du fait que selon la coutume le clan principal
est le véritable clan de l'intéressé, aucun mariage n'est possible entre les
différents membres du clan, à quelque degré de parenté qu'on se trouve. Au
conlraire, du fait que l'on n'appartient que secondairement au clan du père, le
mariage est possible avec toutes les descendantes des soeurs du père à partir du
deuxième degré. Cette façon de faire n'a cependant lieu que pour des motifs
graves, par exemple éviter l'extinction d'une famille entière yi f û:mb;} (pl.
bif û:mb;}). Ce genre
de mariage est connu sous la dénomination di wÊ: l;} na t a:j i mu1yé tu,
littéralement
«mariage avec père-femme», c'est-à-dire mariage avec un parent de sexe féminin
appartenant à la branche paternelle.
Le mariage étant exogamique, il ya
donc des empêchements de mariage. Pour saisir la portée de ces empêchements, il
importe d'éclaircir certaines notions. Pour cela, on peut se demander quelle
idée le mupunu se fait de sa famille yi f û:m b;}. En parlant de la famille, il
distingue le clan yibându et le k â n;}. Pour lui, la famille repose
essentiellement sur le yibandu qui est l'ensemble des individus qui
descendent d'un même ancêtre mythique. Le ka n;}, quant à lui, est la famille
nucléaire, c'est-à-dire la communauté fonnée par le père avec sa ou ses femmes
et ses enfants. Cette communauté est reconnue par la coutume dans l'adage
< sont l'urine et la lune qui engendrent l'enfant», c'est-à-dire «C'est
de l'union de l'homme et de la femme que naît l'enfant». Le kan;} repose sur le
principe patrilocal ou virilocal, c'est-à-dire le principe de la résidence
autour d'un homme (père ou oncle maternel).
a) Comment trouver une femme?
1. La façon la plus courante de trouver une femme, chez les Bapunu, est le
mariage
après la demande. Après la puberté, le jeune homme qui désire se marier (Mu2,
22-23) trouve une fIlle de son choix (Mu2, 27-29), la propose à ses propres
parents pour détèrminer si l'union est licite, puis va demander la main de la
fille aux futurs beaux-parents. Arrivé chez ces derniers, il remet à la fille
le don d'usage mu kumu n u mun u ou yi b â n z;} qui est le
765
symbole du consentement. En effet, lorsque la
fille qu'on veut épouser est consentante, elle reçoit ce don et le remet
à ses parents. A partir de ce moment, c'est-à-dire ukiim~ «se fiancer,
promettre», la fille n'a plus le droit de se conduire à la légère. Elle doit
«tuer» l'état de jeune fille ubok~ bunû:mb~. Son comportement ne sera plus jugé
que par rapport à son futur et l'honneur de sa famille. La coutume reste muette
sur le montant de la dot tso:mbu. Dans les versions Mul et Mu2 du Mumbwanga, il
faut seulement soulever le paquet de joncs pour amener la fille
avec soi. Il n'est nullement question de dot. Cela veut dire que ce qui
importe, ce sont les qualités intrinsèques du prétendant. Il convient de
souligner que la coutume est aussi muette sur la durée des fiançailles. Cette
durée dépend de la rapidité ou de la lenteur avec laquelle le futur époux
donnera le tso:mbu. Durant le temps des fiançailles, les deux familles ont des
relations plus resserrées. Elles se rendent mutuellement service. La future
épouse fait de frequents séjours chez sa belle-mère qui apprend ainsi à mieux
la connaître, afin d'être à mëme de juger de ses qualités de bonne ménagère, de
modestie, etc ... La future épouse, elle, apprend à connaître les membres de la
famille de son mari, leur caractère, comment s'y prendre avec tel ou tel.
Lorsque la dot est totalement versée, on procède à la célébration des noces. La
cérémonie a lieu le jour où le futur époux décide de prendre définitivement sa
future
femme, soit dans sa propre maison, soit dans celle de ses parents uko t 1 s ~
(c faire
entrer». Le jour fixé, le fiancé accompagné de ses parents vient au village de
la fiancée. Dès le lever du jour, les jeunes filles du village préparent les
bagages de la future mariée: u lOI) gis ~ mu y é t u «charger la femme». Elles
emballent nattes, marmites, calebasses, etc ... C'est ainsi qu'au Mul, 285, on
peut lire: «On prépara les affaires de la mariée: on chargea les paniers, les
bandeaux frontaux, les poules, les moutons et tout et tout». Il s'agit des
présents qu'on offre à la mariée.
Pendant que les jeunes filles s'activent ainsi, les adultes sont réunis dans le
mul!ebi où
les parents de la future mariée servent le vin des noces. Dès que tout est
terminé, les
adultes quittent le mulebi pour la maison paternelle où a lieu la bénédiction
nuptiale: les deux fiancés s'asseyent sur une même natte. En face d'eux, se
place le père de la future mariée. Il prononce une brève allocution, résumé des
dernières recommandations aux futurs mariés. 11 prend du kaolin pêmb i, symbole
de la pureté, trace un trait sur les bras de la future épouse, puis, ayant mis
dans sa bouche du vin de palme t s âmb~ 1, symbole
1. tâmbe est le vin- de palme qu'on récolte sur un palmier non abattu. Ce vin a
pour caractélistique d'être très sucré. Le t s âmb~ s'oppose au d i IJgrb~ ou
mbli 1 ~ qui est le vin de palme qu'on récolte sur un palmier abattu et dans
lequel on fait macérer l'écorce du wa 1 i, Garcinia Klaineana
Pierre, petit arbuste à suc résineux jaune, pour le faire fennenter.
766
de la fécondité, en rejette sur les nouveaux
mariés. Tout cela est accompagné
d'incantations: on invoque la protection des ancêtres sur le nouveau foyer et
le père
s'écrie: «Partez et ne revenez qu'avec votre premier-né». A ce moment, la mère
annonce qu'elle marie sa fille volontairement. L'omission de cette déclaration
serait comme un nuage planant sur le nouveau foyer. La bénédiction nuptiale
terminée, le cortège se forme: les jeunes filles et les parents de la mariée,
chargés des divers cadeaux et bagages, ouvrent le cortège; puis viennent les
époux et enfin les autres villageois. Il est important de relever que cette
cérémonie se déroule dans le cadre de l'adage< en mains propres». On ne
va pas conduire uné femme chez son mari, on la lui remet.
Les parents punu ne doivent se
désaisir de leur fille que si le jeune homme lui-même ou ses représentants
viennent prendre la future chez eux. Ceci afin que, lorsque le nouveau foyer
aura à affronter les premières dif1ïcullés inhérentes à tout nouveau foyer, le
beau-fils n'ail pas la tentation de dire à ses beaux-parents: «Venez chercher
votre fille 1» Leur réponse sera alors: «Tu l'as prise chez nous, ramène-la
nous».
2. Le mariage pafl·apt u b 5 ou u b é mu j Êb ~ n'est pas inconnu des Bapunu.
Les
amoureux s'enfuyaient lorsque les parents refusaient d'accepter la dot. Pareil
mariage se terminait toujours par le règlement de la dot et la régularisation
de l'union.
b) La polygamie
Bien que l'épopée Mumbwanga ne mentionne pas la polygamie, il faut souligner
qu'elle existe. La coutume reconnaît la monogamie et la polygamie yiyam:>. Si cette
dernière est reconnue par la coutume, c'est parce qu'elle est ancestrale. En
effet, le
problème de la fécondité a tellement fasciné les ancêtres punu qu'une femme
stérile se
voyait adjoindre aussitôt une co-épouse, à sa plus grande humiliation, bien que
parfois la femme stérile arrive à choisir une seconde femme à son mari. Le
besoin d'avoir plusieurs femmes était peut-être justifié aussi, chez les chefs,
par le désir de répondre plus efficacement à la loi d'hospitalité.
6.4.2.1.2. La naissance
Il est question de naissance dans les trois versions du Mumbwanga. Ainsi, on a
par
exemple au M, 13, «bak~ bu r:> mwân:> mu'yé tu», «lls mirent au monde une
fille».
767
a) La grossesse
La grossesse a une durée
exceptionnelle qui est de douze mois. C'est le cas dans laversion M. En outre,
c'est une grossesse difficile puisqu'il y a des menaces
d'avortement. C'est le cas dans la version Mu2. Le futur père est obligé de
faire appel
aux devins-guérisseurs afin de trouver l'origine du mal et le moyen de le
traiter.
b) Les enfants
Les
enfants qui naissent sont des jumeaux. Ils sont frères et soeurs. Dans la
version Mu2, il est rapporté que certains enfants ont une morphologie bizarre:
Mumbwanga a un seul oeil, et un cheveu qui fait le tour de sa tête. Dibila a
les pieds et les mains dans le dos. Bobi est chétif. Quant à l'attribution du
nom aux enfants, on constate qu'elle se fait dès la naissance. Le nouveau-né
reçoit un nom de jumeau s'il est jumeau. Dans le cas contraire, il reç;oit le nom
d'un parent de son père ou de sa mère, décédé ou encore en vie. Les trois
versions de l'épopée donnent plusieurs noms punu. On y trouve mentionnés des noms
masculins:
Ngî:mbi,
Bunde,
Kiise,
Mulû:ngi,
kombile,
Nnzi:yu,
Nzyengi,
Bukwenzi ;
des noms féminins:
Majinu,
Nyâ:ngi
et des noms épicènes : dyange, kûmbe, mbumbe,
musâvu, mûtsing.
On y trouve des noms de jumeaux: marûndu et mbumb~,mugê:ngi et muteli, Ngeb~ et yinyung~L
D'autres noms comme du b Il ~ ou di b Il ~ et mu s 1yi,
qui figurent dans les versions
Mu let Mu2, ont disparu aujourd'hui.
6.4.2.1.3. La vie dans les villages
a) Les hommes vivent dans les villages mimbu
(sg. d I:mbu) ou les villes maI~u 1~
(sg. d i ~ii 1~) que l'on peut localiser. Il s'agit de muka ba dis imu, du yâ S
u, mwiib i,
ma bâ:nde, mûkwange, masânge, pényûndu, Ngo si aujourd'hui disparu, ma:nz i
(Port-Gentil), Pungu (Libreville). Les villages sont dirigés par des chefs:
c'est le cas duchef Bukwenzi qui commande un village qu'on ne peut pas
localiser.
b) Les hommes vivent en familles bakan ~ (sg.
kâna). On trouve dans ces familles:
tâ:j i «le père» ou t â:t ~ «papa», ngûj i «la mère» ou mâm~ «maman»; bâ:ne1
«les
enfants».
c) Les héros de l'épopée Mumbwanga se déplacent beaucoup. Ils quittent leurs
villages pour aller dans d'autres. Au cours de leurs voyages, ils traversent
des rivières,
des étangs, des lacs, gravissent et dévalent les montagnes, les plateaux et les
crêtes.
d) On relève dans l'épopée Mumbwanga des indications
de temps. Il n'y a jamais
d'indications de dates directes et précises[6]. En effet, la culture punu n'avait pas les
moyens de mesurer avec précision le temps. C'est pourquoi l'on part de l'actuel
pour
768
relater
ce qui s'est passé il y a longtemps. Le narrateur utilise d'ailleurs une
indication
vague: dans les temps les plus reculés, de très grand matin, un jour, etc ...
Ces
expressions reflètent la réalité, c'est-à-dire la façon dont les Bapunu comme
la plupart des peuples négro-africains apprécient le temps. Louis-Vincent
Thomas écrit à propos de la conception africaine du temps! qu'il faut distinguer
un temps empirique et un temps ontologique2. Le temps empirique englobe «les
rythmes cénesthésiques: naissance, vie et mort», le calendrier des cérémonies
et des événements et le rythme des saisons, des jours et des nuits 3 . Quant au
temps ontologique, Thomas le définit comme «un temps métaphysique qui traduit,
dans l'intériorité du moi, les formes expresses du temps mythique conçu
objectivement»4. Seul le temps empirique sera étudié ici. Les mesures de ce
temps se font pas les mouvements du soleil (nyângu) et de la lune (Ngond i ou t
S û:ngi). Les Bapunu comptent par lunes bangondi, ce qui donne à peu près le
mois. D'ailleurs le nouveau mois (nouvelle lune) était accueilli par un jeu intéressant
jeunes et adultes. Le premier qui apercevait le croissant lunaire le montrait
aux autres en disant yitsutsungi. Ce mot, qui est construit à partir de tsû:ngi
«lune», signifie «nouvelle lune». Le mois est aussi appelé muwê 1 i (pl.
miwê1i). Le temps se mesurait aussi aux événements: on révélait à quelqu'un
qu'il était né le jour où le village célébrait le deuil d'un tel; à un autre
qu'il avait vu le jour lorsque Pétain était au pouvoir, c'est l'époque appelée
pÊte ou bien lorsque de Gaulle est arrivé au
pouvoir, c'est l'époque appelée di y3: l~.
Le temps se compte par saisons. La grande distinction oppose une saison
pluvieuse
mfule à une saison sèche mangele.
Les Bapunu tiennent compte des époques
où les fruits mûrissent. Il ya le temps des mangues, celui des
avocats, celui des atangas-safous. Il y a aussi le temps de la pêche
annuelle.
Quant aux instants du jour wî:s i, ils
s'ordonnent par rapport à trois repères
principaux: le matin kêd i, midi ya ri wî:s i et le soir t s f s 1y~. En ce qui
concerne
le matin, voici quelques moments importants: 4 heures du matin, c'est le
premier chant
du coq; 5 heures, c'est le chant des perdrix; l'aurore d imé:lJg i est signalée
par le
passage des perroquets allant à la recherche de leur nourriture. Au village,
les Bapunu ne s'intéressent pas aux heures du jour, à l'exception de midi
qu'ils considèrent comme le milieu de la journée ya r i wî: si. Quant au soir,
de nombreux signes indiquent la chute du jour: le soleil s'abaisse et semble
toucher la cime des arbres et l'eau du fleuve, les perroquets reviennent en
bandes de leur pâture, les crapauds coassent et les chauves-souris commencent
leur vol imp0l1un. Puis vient la nuit muk 01 u.
Lié au temps quotidien, jour yi 1ûmbu (pl. bi1ûmbu), semaine t s 3n g
(pl.
ba t son~), année yi1im~ (pl. bi 1ime) ou mupume (pl. mipume), le
temps empi-
rique ou temps chronologique selon l'expression de Mircea Eliade1 comporte les
trois
dimensions suivantes: le présent représenté par aujourd'hui na
nyangu, le passéreprésenté par hier ma s îy~ et avant-hier nz ima s i y~, et
l'avenir représenté par demain mu y e s ~, après-demain mun ~mo s i et le
lendemain ban z i m~.
6.4.2.2. La vie économique
6.4.2.2.1. La connaissance de la vie matérielle
Dans l'épopée Mumbwanga, on relève des
traits de la culture matérielle punu. On y
distingue des objets d'ordre pratique, des instruments de musique, des aliments
et des
boissons, des plantes médicinales. Il y a aussi des objets d'origine
occcidentaie.
a) Les objets d'ordre pratique
1. On distingue deux types d'objets: les ustensiles
et les instruments de travail.
Les ustensiles : les corbeilles, les paniers, les hottes, les calebasses, les
fourchettes, les assiettes ;
2. les instruments de travail: coutelas, pelle,
marteau.
b) Les instruments de musique: cithare, Nngo:mfi, tam-tam mulô:mbu ou ndu:ngu.
c) Les aliments et les boissons
1. les aliments
On trouve mentionnés les aliments suivants: les bananes et le manioc:
- les bananes: on distingue deux sortes de bananes : la banane-plantain ou
grosse
banane mupale et la banane douce ou petite banane ditotu ou mu
s ê JD f u.
-le manioc: on distingue deux sortes de manioc: le manioc doux tî:mb~ j i dwê:y
i et
le manioc amer t î:mbe jindû 1 i. Ce
dernier est d'abord roui avant d'être préparé sous
forme de bâton de manioc.
.
2. les boissons
Dans Mumbwanga, il est question de vin de palme dingibe. Le terme malamu
se
rencontre dans les versions de Mumbwanga pour désigner le vin de façon
générale.
1. Mircea Eliade, Images et symboles: essais sur le symbolisme
magico-religieux, p. 75.
770
d) Les plantes médicinales
Dans les versions de Mumbwanga, on trouve des renseignements sur le nom et
l'emploi des plantes médicinales.
1. le nom des plantes médicinales
- On trouve mentionnées, dans les versions de Mumbwanga, les plantes
médicinales
suivantes: nyîmb~eR. Gogantea, mu1ondu1u Dorstenia Klainei
Pierre, mu sas a yu ou dusasayu Cyperus articulatus L., di
fûbu Pandanus.
-On y rencontre les noms d'arbres: mbrr~ Pterocarpus Soyauxii
Taub., mu13ê:I]gi
Distemonanthus benthamiamus H. Bail!. appelé Flamboyant du Gabon,
mu tel i
Copaifera religiosa J. Léonard
2. l'usage des plantes médicinales
- Les plantes ny îmb~, mu 1ondu 1u, mu sas a yu, di f û bu entrent dans la
préparation
des bis yêmu (sg. yi s yêmu), mélanges rituels d'aromates et de substances
végétales.
- Mu13ê:I]gi, Flamboyant du Gabon, appelé aussi l'arbre des guérisseurs, permet
à
ceux-ci de procéder à la divination à son pied.
- Mu tel i ou mu r e yi, à l'ombre duquel s'accomplissent les rites
d'initiation au Bwiti,
est l'arbre par excellence des adeptes du Bwiti.
- On a coutume d'enterrer les jumeaux au pied de ces grands arbres que sont mu
13ê:I]g i
et mu tel i.
e) Les objets importés
L'influence occidentale se ressent, dans les versions du Mumbwanga, par
l'introduction d'objets nouveaux: l'automobile, l'hélicoptère et la pinasse.
6.4.2.2.2. Les activités économiques
Parmi les activités économiques mentionnées dans l'épopée Mumbwanga, il y a
l'agriculture, la pêche, la chasse, la fabrication des ustensiles domestiques
et l'élevage.
a) L'agriculture
Cette activité est évoquée dans Mul, 456 «Tu trouveras des éléphants qui ont
fini toute
la nourriture». Les Bapunu produisent leur nourriture en faisant des champs.
Ils
distinguent trois sortes de champs en fonction de la proximité ou de
l'éloignement du
village. En allant du plus proche au plus éloigné du village, on a :
- mû:mbu (pl. myû:mbu). C'est une sorte de potager derrière la maison
ou en tout cas
pas très loin de celle-ci. On y cultive des arachides pî:nd~ (sg. du13î:nd~),
du manioc
t î:mb~ (pl. ba t î:mb~), de l'oseille bukû 1u, du maïs du13û t u (pl. pû tu)
principalement;
- mu s â:y~ (pl. mi s â:y ~). C'est une plantation qui est faite dans une forêt
secondaire
771
difCitu (pl. mafCitu). Ce champ est un peu
éloigné du village. On y cultive
principalement des taros ma 1 â:l]g~ (sg. di 1 â:l]g~); des ignames bambâ: 1 ~
(sg.
mbâ:l ~), du manioc, des aubergines mbolol]gu. Mus â:y~ est l'endroit où les
fi~mmes
vont chercher du bois pour la cuisine.
- nO:l]g i (pl. banO:l]g i). Cette plantation est faite dans la forêt primaire
di j l5:mb i
(pl. majo:mbi) ou pâ:r i (pl. bapa:r i) qu'on défriche. C'est une plantation
qui est
très éloignée du village. On y construit un petit abri dis a ku (pl. ma s aku)
pour passer
la nuit afin d'éviter de longs va-et-vient entre le village et la plantation.
On y cultive
principalement des bananes ml pa 1 ~ (sg. mu pa 1~) ou yi t eb i / bit eb i, de
la canne à
sucre mu s il 1] 9 u (pl. mis il 1] 9 u) et des ignames.
b) La pêche
Cette activité est évoquée dans Mu l, 22, «Les gens al1èrent dormir en brousse
dans les campements de pêche». Elle est soumise à une règlementation : la pêche
est libre dans le rivières, fleuves ou lacs qui sont des propriétés communes
villageoises. En revanche, elle n'est pas libre dans les étangs et les marigots
qui appartiennent aux clans et aux familles. Bien qu'elle soit mixte, la pêche
est essentiellement une activilé féminine. Les hommes font la pêche u 13b~ dans
les grands fleuves avec l'hameçon d i 13b~ (pl. ma 15b~) ou avec un
éperviermbi:i:s~ (pl. bambil:s~). Le pêcheur est appelé mu lob 1 t s i (pl. bal
0 bit si). Les femmes font la pêche dans les ruisseaux et les petites rivières
de plusieurs façons:
- elles peuvent se contenter de placer des nasses b i d Ci b ~ (sg. yi d Ci b
~) dans l'eau et les retirer le lendemain. Cette façon de capturer du poisson
s'appelle udilb~. La femme qui utilise cette technique est appelée mud u bit s
i (pl. b a du bit si).
- Un autre type de pêche consiste à plonger l'épuisette d î: t s ~ (pl. mî: t s
~) au hasard
dans la rivière pour attraper des poissons; c'est uwa:b~. La femme qui utilise
cette
technique est appelée muwa bit s i (pl. bawa bit si).
- Les femmes font aussi la pêche au poison mbâ:y~ (pl. bambâ:y~), plante
toxique
dont on prélève les feuilles que l'on pile et que l'on jette à l'eau pour
endormir les
poissons. Il s'agit de urôk~ mbâ:y~. Le fruit di yê:mbi (pl. mayê:mbi) est
aussi
utilisé comme poison. En fait, il ne s'agit pas vraiment d'un poison puisque
les poisons qui l'absorbent sont juste endormis et sont consommés par celles
qui les ont capturés
sans danger.
- Une autre technique utilisée par les femmes est le barrage du marigot. On
distingue
deux types de barrages :
* le barrage à vider mwêy i (pl. myêy i). Les femmes barrent le marigot et
assèchent
772
certains endroits du cours inférieur avec des
assiettes en bois b i yu pû 1u (sg.
yiyupûlu); c'est uyiip~. La personne qui accomplit cette action est appelée
muyupf t s i (pl. ba yupi t si).
* le barrage à nasses du y a yu (pl. k a yu). On construit un barrage et on
place dans le
barrage une grande nasse appelée yi .133 1~ (pl. b i .133 1~) et une nasse
moyenne
mu j 5:l]g~ (pl. mi j 5:l]g ~). Cette technique de pêche est appelée u r â:mb~
du y a yu ou
uj3ây~ duyayu. La personne qui accomplit ce type de barrage est désignée par
murambf t s i (pl. barambf t si).
c) La chasse
On retrouve cette activité dans les trois versions de l'épopée Mumbwanga. Ainsi
on
a
- au Mu 1, 950, «Un jour, Boussambou remit un fusil à un chasseur» ;
- au M, 236, «Mbwanga rencontra un chasseur portant sur son dos une antilope;
- au Mu2, 430, «Yikafi vit un chasseur. .. ».
Même si parfois des femmes font des pièges pour attraper de petits animaux, la
chasse
bu r Ê: 1~ est, avant tout, une activité masculine. Elle se fait de plusieurs
façons:
* autrefois, le chasseur murÊ:l~ (pl. barÊ:l~) utilisait l'arbalète pî:t~ (pl.
ba pit ~) avec des flèches mba:n z ~ (sg. du ba:nz~) trempées dans une sorte de
poison
appelé mun a j i Strophantus hispidus pour tuer du gibier.
Aujourd'hui l'arbalète a laissé
la place au fusil.
* le chasseur utilise le fusil bû t ~ (pl. mâ t ~) pour abattre les animaux de
toutes
sortes b i bû 1u (sg. yi bû 1u).
* il peut aussi pratiquer la chasse au chien courant. Cette façon-de chasser
est appelée
mbil]gu, du verbe ubil]g~ «chasser».
* enfin, il peut tendre des pièges u r â:rnb~ mir âJIlbu (sg. mu r â:rnbu). Il
est, dans
ce cas, appelé mu r amb ft s i (pl. ba r amb i t si). On distingue plusieurs
genres de
pièges en fonction des animaux à prendre. Pour les petits animaux comme les
rats de
Gambie ou les rats palmistes et les oiseaux, il yale piège appelé di j3â:l]g~.
Pour les
gros animaux, on tend un piège appelé di bû 1u (pl. ma bû 1u) «trou». Il s'agit
d'une
fosse que l'on creuse sur le passage emprunté par les bêtes mwâ:nd ~ (pl. my
â:nd~) et
que l'on cache avec des feuilles et des branchages. Lorsqu'un animal tombe
dedans, il se
trouve prisonnier. Il ne reste plus au chasseur qu'à l'achever avec une lance
cl ikôl]gu
(pl. makôl]gu).
L'épopée Mumbwanga apprend aux jeunes gens les noms des animaux. On y trouve
mentionnés: le rat palmiste, la tortue, le daman, la gazelle, l'antilope,
l'antilope-cheval, .
le sanglier, le léopard, le gorille et l'éléphant.
773
d) L'élevage
Les Bapunu pratiquent dans les villages l'élevage de la volaille (poules,
canards), des
ovins et des caprins pour la consommation locale et pour faire cadeau aux
visiteurs.
e) Lafabrication des ustensiles domestiques
Cette activité, signalée dans Mu l, 232, est exclusivement féminine. Les femmes
utilisent plusieurs matériaux pour fabriquer leurs ustensiles:
- elles se servent des joncs n d ii b i (sg. d un d ii b i) pour fabriquer des
corbeilles
byê:13 i (sg. yê:IH), des bandeaux frontaux nyâb i ou banya b i (sg. dwâ:b i)
pour le
portage des hottes, de larges épuisettes appelées mî: t s g (sg. d î: t s g),
de petits paniers
que les femmes portent attachés à la ceinture et dans lesquels elles mettent
les poissons
qu'elles ont pêchés. Ces petits paniers sont appelés b 1n di kg (sg. YIn di kg)
; avec les
joncs, les femmes confectionnent aussi des nattes bapiibg (sg. piibg).
- la liane du b âm b g (pl. mb âmb g) esl aussi utilisée par les femmes comme
matériaux
pour faire des hottes.
-lebambouduba:nzg du kû:nzg(pl.mba:nzg tsi kû:nzg)sertàfabriquerles
nasses de barrage à savoir: b i1351 g (sg. yi1351 g)« grande nasse» et mi j5:I]ffg
(sg.
mu j 5: I] 9 g) «petite nasse».
6.4.2.3. La vie religieuse
Cet aspect de la vie des Bapunu est suggéré, dans M et Mu2: «Les initiés du
Bwiti
vinrent; les initiées du Nyemba vinrent aussi; les adeptes du Malamu et du
Mukuji
vinrent à leur tour; Mwiri arriva lui aussi», par les cultes initiatiques et la
croyance aux
esprits.
6.4.2.3.1. Les croyances religieuses
Les Bapunu croient en Dieu et aux esprits.
a) La croyance en Dieu
La religion traditionnelle punu est dominée par la croyance en un Etre
transcendant,
créateur et roi de l'univers, qui règne dans le Ciel o=
ju1u «en haut». On l'appelle Nyâmbi ou Nzâ:rnbi. En plus de ces
noms, l'Etre suprême reçoit un surnom quisouligne sa toute puissance. C'est
Nzapungu. Aucune idée précise ne s'est formée sur cet Etre suprême et aucun
culte ne lui est rendu.
La croyance en un Etre suprême fournit aux Bapunu l'explication aux problèmes
qui
leur arrivent.
774
b) La croyance aux esprits
Les Bapunu croient aussi aux esprits. Ils distinguent les mânes des ancêtres et
les
génies.
-les mânes des ancêtres ou ma1û:mbi Il s'agit des ancêtres bayû 1u (sg. muyû
1u) qui sont parvenus, après une vie bien remplie, au lieu du repos de
l'au-delà. De là-bas, ils sont censés connaître la source et lescauses des événements
qui se passent ici-bas puisqu'ils ont franchi, après la mort, la barrière de
l'ignorance. Ils peuvent donc agir pour conjurer les périls, veiller sur le bonheur
de leurs descendants et leur bien-être. C'est pourquoi un culte leur est rendu (u
s amb i 1~ ma 1û:mb i,«honorer les ancêtres») qui vise à les avoir pour alliés
et à obtenir leur bienveillance.
-les génies ou bayî si Le terme ba yî si (sg. mu yî si) désigne indifféremment,
outre les génies, les fées et les sirènes.
Pour les Bapunu, les génies, comme
les ancêtres, viennent, la nuit, inspirer et guider en songe les humains. C'est
pourquoi les rêves avaient autrefois et ont encore
aujourd'hui une grande importance.
6.4.2.3.2. Les cultes
Si des coutumes et des usages religieux se sont perdus ou sont en voie de
disparition,
il est des rites et des pratiques rituelles qui résistent et qui, pour
certains, gagnent en
importance et en vigueur. Ces rites sont liés à des sociétés initiatiques, à
savoir le Bwiti, le Mwiri et le Nyemba. Le Bwiti et le Mwiri sont des
confréries masculines tandis que le Nyemba est réservé aux femmes. Deux
sociétés de danse viennent s'ajouter à ces ordres
initiatiques. Il s'agit du Malamu et du Mukuji.
a) les sociétés initiatiques
-le Bwiti Le terme Bwiti désigne à la fois l'ordre initiatique masculin, la
danse exécutée par les initiés et la statuette utilisée pendant la cérémonie.
* l'origine du Bwiti
Si certains regardent le pays tsogo comme le berceau du Bwiti, d'autres, par
contre,
attribuent l'origine de cette société à leurs voisins, les Apinji. Mais, ce qui
est sûr, c'est
que les chants du Bwiti sont en ye t s :>y:>. D'ailleurs, le Prince
Birinda a écrit à cet
effet: «Le tsogo est pour le bouity ce que le latin était pour le catholicisme»[7]!
Les Bapunu ont donc adopté le Bwiti en lui
gardant sa pureté initiale alors que les
Fang l'ont beaucoup transformé.
* le but du Bwiti
Le Bwiti constitue une école où les adeptes, selon leur degré au sein de
l'ordre,
apprennent à connaître les questions fondamentales de l'existence humaine aussi
bien de l'individu que du groupe, de l'intégration dans l'ordre cosmique, des
mystères de la vie et de l'univers.
* l'organisation des Bwitistes
On distingue trois grades principaux répartis en deux grandes catégories selon
le degré
d'ancienneté dans l'ordre :
-parmilesinitiésdelonguedateounyima,onalep613i etlesnyima na kombu :
--le p6{3i ou maître du temple, préside aux séances du Bwiti;
--les ny fma na kombu, subordonnés au p 6 {3 i, préparent les séances du Bwiti
et se
chargent de l'initiation et de l'éducation des novices;
- les nouveaux initiés au b a b â:n z i
Ce sont des néophytes appartenant à la promotion en cours d'initiation. Ils ne
font
qu'assister aux séances[8].
* le rituel du Bwiti
Du rituel du Bwiti, on retiendra les séances privées et les séances publiques:
- les. séances privées constituent le moment où se fait l'initiation et
l'éducation des
adeptes. Cela se passe loin du village en un lieu appelé n z Îmb ~ (pl. ban z i
mb ~) sous
l'arbre sacré appelé muteli Copaifera religiosa.
- les séances publiques sont célébrées dans le mbanja, le temple du Bwiti qui
est une·
sorte de case spéciale ouverte appelée di b â:n z ~ (pl. ma b â:n z ~)2.
Eclairés par des torches de résine d'okoumé, vêtus de raphia et de peaux de
civette, le
visage tatoué de signes rouges et blancs, les danseurs virevoltent autour d'une
torche
allumée plantée au sol. L'un des musiciens égrène les notes de la cithare
I]gomf i (pl.
ha I]gomf i) tandis que les batteurs de tam-tam produisent un rythme qui anime
et
transporte les danseurs.
Les cérémonies comportent des danses et des chants ainsi que des rites touchant
à la
magie et à l'illusionnisme[9]. Pour terminer avec le
Bwiti, je dirai que cet ordre initiatique ouverte placée au bout d'un village où
les hommes se retrouvent et où les voyageurs se reposent avant de poursuivre
leur route.
776
est lié au culte des ancêtres car une danse
publique du Bwiti au moment des funérailles permet de parler une dernière fois
avec l'esprit du mort.
-le Mwiri
Mwiri, ou Mangongo, surnom employé dans le bassin de la Ngounié,
est une société
secrète masculine. Les jeunes gens s'initient après la puberté pour faire
figure d'hommes et ne pas être considérés comme ignorants ou poltrons. Cette
confrérie a maintenant perdu sa puissance. Jadis, elle était crainte surtout
des femmes qui passaient de vie à trépas lorsqu'elles en pénétraient les
secrets[10].
* l'origine du Mwiri
La tradition orale rapporte que Mwiri[11], génie ayant la forme
d'un crocodile, fut capturé,
au bord d'un rivière, par une femme qui revenait des champs. Mwiri se révolta
contre les femmes parce que celle qui l'avait domestiqué ne le ménageait pas
assez. Les hommesl'adoptèrent et c'est ainsi qu'il devint leur oracle. Ils lui
parlaient en un langage ésotérique
inaccessible aux femmes.
* le but du Mwiri
Le Mwiri est une confrérie qui s'occupe du maintien de l'ordre public, de la
protection
et de la conservation des traditions. Pour B. Bouity-Nzamba, «Le Mwiri est une
société qui avait un rôle de direction politique et morale dans la
société punu avant et pendant la période coloniale. Tout ce qui touchait à
l'organisation de la société était pensé au niveau du Mwiri où les droits de
l'individu, circonscrits dans le cadre d'une société semiféodale, étaient
assurés. Théoriquement, l'exigence des devoirs pour la vie de la communauté
allait de pair avec celle des droits de chacun. Dans cette société, le culte de
l'honneur, le sentiment du courage participaient au renforcement de l'identité du
groupe. Ce qui se conçoit aisément compte tenu de l'histoire mouvementée de la
société punu
traditionnelle»2.
* le rituel du Mwiri
Du rituel du Mwiri, on retiendra les séances privées et les séances publiques:
• les séances privées, qui sont secrètes, sont des cérémonies réservées à
l'initiation des
adeptes.• les séances publiques sont constituées de danses du Mwiri. Ces
réjouissances ont lieu à la tombée de la nuit. Mwiri annonce son arrivée à la
cérémonie «en faisant entendre des sons caverneux poussés par un ventriloque
que le profane croit venir de l'autre monde»3.Voici ce qu'a écrit Paul du
Chaillu, le premier Européen à avoir observé le Mwiri en
1854
, chez les Aponos : «Ceux-ci appellent cette
espèce de danse la m'muirri. C'est un
pas guerrier exécuté par les hommes seulement, et remarquable par le bruit
singulier quefont les danseurs en hurlant et en se battant la poitrine avec
leurs deux mains, à la manièred'un gorille, et en poussant fortement leurs
lèvres l'une contre l'autre comme s'ils prononçaient le mot muirri. Tous les
hommes, rangés sur une seule ligne, avancent et reculent en dansant. La danse
s'anime de plus en plus, jusqu'à devenir frénétique, et le vacarme devient de
plus en plus assourdissant. Tout le village vient ensuite se mêler à
cetohu-bohu en criant, chantant, dansant, battant du tambour et frappant des
morceaux debois les uns contre les autres. Au point du jour, j'entendis la voix
du chef qui criait je ne sais quelle nouvelle proclamation et aussitôt, tout le
village rentra dans un profonde silence» 1.
-' le Nyemba
Le Nyemba est une société secrète féminine dont l'appartenance se fait après
cooptation et initiation.
* l'origine du Nyemba
D'après la tradition orale, le Nyemba serait d'origine punu. Il est l'une des
plus
anciennes confréries du Gabon. Dès leur jeune âge (sept ou huit ans), les
jeunes filles
sont initiées au Nyemba.
* le but du Nyemba
Le Nyemba a un rôle d'intégration sociale et de protection féminine. Pour le
Prince
Birinda, «Le Nyemba est la branche du Bwiti destinée à l'initiation des femmes.
Les
mystères en sont exactement les mêmes; ce ne sont que les rites et les
pratiques qui
diffèrent. Le Nyemba enseigne à la jeune femme tous les secrets de l'amour dans
ses
diverses manifestations»2.
* le rituel du Nyemba
Du rituel du Nyemba, on retiendra les séances privées et les séances publiques:
• les séances privées, qui sont secrètes, sont réservées à l'initiation des
adeptes. Ces
cérémonies sont célébrées auprès d'un cours d'eau.
• les séances publiques sont constituées de danses qui ont lieu la nuit. Durant
ces
veillées, les initiées du Nyemba seraient plus près des morts que des vivants.
Ces
cérémonies sont organisées soit avant de trait~r un malade, soit lorsque
celui-ci est délivré
du mal qui le torturait3.
1. Paul Du Chaillu, L'Afrique sauvage, p. 225.
2. Prince Birinda de Boudiéguy des Eshiras, La Bible secrète des Noirs
selon le Bouity, p. 140.
3. Je tiens ces informations de Madame Kûmb~ Germaine, guérisseusse au quartier
MinzanzaJa à
Tchibanga.
778
* l'organisation des initiées du Nyemba
Le Nyemba est une société hiérarchisée. A la tête de l'ordre, il yale chef
appelé
IJ 9 u j i ny Ê:mb ~ ; les initiées sont appelées b a IJ gu j i et les
néophytes b i wâ yi.
b) Les sociétés de danse
On distingue deux sociétés de danse: le Ma 1amu et le Muku j i.
-le Mukuji
* l'origine du Mukuji
Le Mukuji désigne à la fois une société de danse punu essentiellement masculine
et le
personnage central de cette danse. L'acteur principal est un danseur masqué qui
évolue
sur des échasses. Bien que n'exigeant pas une initiation à proprement parler,
le Mukuji
est une société très hermétique surtout en raison du secret qui protège le
danseur.
* l'organisation de la société de danse On
rencontre chez les Bapunu deux danseurs à échasses: muku j i (pl. ml ku j i) ou
mbwâ:nd ~ (pl. bambwa:nd ~) aux longues échasses et yi kwa r ~ (pl. b i kwa r
~) aux courtes échasses, surnommé yi kwa r d yi muk 61 u, «y i kwa r ~ de la
nuit» parce qu'il danse à la tombée de la nuit alors que le Mukuji danse le
jour. S'agissant du yi kwa r d, voici ce qu'en dit Benoît Mouity-Nzamba : «(
... ) Enfin un type de masque peu répandu et en voie de disparition. Le masque
Ikwara est un modèle rare dans la statuaire gabonaise. Masque noir, à l'aspect
effrayant, au contraire des masques «blancs», doit inspirer la crainte; c'est
son rôle. Il conviendrait dans les
recherches ultérieures, de voir s'il n'entretenait aucun lien avec la société
mwiri que nous
rencontrerons plus loin. Les danseurs évoluent sur de très courtes échasses,
contrairement aux échasses du Mukuji»l. En fait, les deux danseurs
appartiennent à la
mêine société. Le masque du yi kwa r ~ ou yi IJgu t u représente l'homme et
celui du
muku j i représente la femme.
* le but du Mukuji
Le Mukuji souhaite conjurer l'angoisse de la mort par une familiarité plus
grande avec
elle, bien que les ancêtres ne puissent pas se confondre complètement avec les
descendants. Les sorties diurnes du Mukuji manifestent symboliquement des
rapports ambigus entre l'univers des morts et celui des vivants.
* le rituel du Mukuji
Le danseur du Mukuji est un spécialiste qui doit mettre les échasses mlmb i
IJg~ (sg.
mumb i Jjg~) fabriquées avec le mu sla: s ~ (pl. ml sla: s d), Harungana
madagascariensis.
1. Benoît Mouity-Nzamba. L'Art africain et la sémantique de la
statuaire. p. SI.
779
Sonvisageestcouvertd'unmasqueblancYltengi
yi mukuji (pl. bltelJgi
bi
mu k u j i )fabriqué avec le mu y ê 1~ (pl. mi y ê 1~), Ricinodendron
africanum , ou avec le
cl i ba 1~ (pl. mi y ê 1~), Misanga
cecropioides, plus connu sous le nom de parasolierl .
Portant la coiffure trilobée, ce masque, à la face peinte en blanc, couleur des
esprits et des
revenants, est empreint d'une intense spiritualité. TI est animé d'une
étonnante plastique
d'un saisissant réalisme humain que Pierre Sallée traduit en ces termes: «Le
"style punu"
est l'aboutissement d'une tendance à la sophistication humaniste des traits du
visage»2.
Le masque du mukuji comporte en effet des traits réguliers et fins. Pour sa
part, Denise
Paulme a écrit: «Nous savons peu de choses sur ces oeuvres en bois tendre,
d'une grâce
raffinée, où la face humaine est surmontée d'une coiffure peinte en noir
formant cimier,
ou séparée en trois coques longitudinales, la crête centrale plus haute; le
visage est peint
en blanc, les sourcils sont indiqués par un trait semi-circulaire. les yeux par
une fente; la
bouche rouge. Certains exemplaires pOltent des scarifications en relief sur les
tempes et à
la racine du nez»3. Le masque du mukuji apparaît ainsi comme le symbole de la
beauté et
de la sédution. Benoît Mouity-Nzamba a écrit à cet effet: «( ... ) Les arcades
sourcilières
et les yeux sont peints en noir ou passés au fer chaud. Les yeux, à tleur de
peau, étirés
plutôt en amande, a souvent fait douter de l'origine de ces masques. Il s'agit
d'un critère
de beauté dans la société traditionnelle Bayag. Dunyengi en punu signifie
"yeux en
amande" ou "yeux bridés".
«Dans la société traditionnelle Bayag, il était idéal qu'en plus de ces
critères, la femme
belle eût un nez fin, le tracé des lèvres délicats, lèvres généralement fines
qui donnent aux
masques cette esquisse de moue. Car le masque synthétise et idéalise cette
conception
traditionnelle de la beauté féminine dans une culture nationale donnée. Le fait
qu'il soit
peint en blanc (argile blanche et rouge, poudre de padouk, Ngul) ne doit pas
tromper sur
son origine. Chez les Bapunu, le masque, utilisé au cours des réjouissances
populaires,
est porté par un danseur revêtu d'un long manteau de raphia et tenant à la main
droite un
chasse-mouches»4.
Le corps et les membres du danseur sont entièrement recouverts d'un habillement
en
raphia et en étoffes de couleurs vives. Pour les spectateurs
non membres de cette société
de danse, notamment les femmes et les enfants, le danseur apparaît comme un
être
1. MuyÊ 1:) est appelé mwî ri
d l't é I]gu, «l'arbre du revenant» et muls a: s:), mwî ri
mamba I]gu,
«l'arbre des courses».
2. Art et artisanant tsogho, ouvrage collectif, p. 89.
3. Denise Paulme, Les Sculptures d'Afrique Noire. pp. 91-92.
Les scarifications dont parle D. Paulme
sont au nombre de 9 et symbolisent les clans punu. On rencontre parfois des
masques à 6 ou 12
scarifications; c'est l'association de l'homme et de la femme représentée par
le danseur masqué qui est à
l'origine des clans.
4. Benoît Mouity-Nzamba, L'Art africain et la sémantique de la
statuaire, pp. 47-48.
780
surnaturel, un revenant. Le mukuji doit mettre
ses échasses, s'habiller, se masquer, en un
mot se préparer en un lieu retiré pour que l'on puisse toujours ignorer qu'il
s'agit d'un
homme.
Quand il paraît, les hommes s'avancent en dansant, en chantant et en battant
des mains
au rythme du tam-tam. Les spectateurs, hommes, femmes, enfants se mettent en
cercle
autour du danseur en chantant et en battant des mains au rythme du tam-tam.
Puis les
gens fuient lorsque l'être surnaturel vient vers eux à longues enjambées avec
de grands
gestes.
-le Malamu
* l'origine du Malamu
Le Malamu est une société de danse punuà l'origine essentiellement masculine et
qui
est, peu à peu, devenue mixte. La tradition orale raconte qu'à l'époque où il y
avait un temps pour tirer le vin de palme, lorsque la récolte était abondante,
on organisait une réjouissance à laquelle participaient les gens du village.
* le rituel du Malamu
Les hommes et les femmes se rangent en demi-cercle devant les joueurs de
tam-tams.
Un homme sort des rangs, danse puis invite une femme à faire de même. Celle-ci
invite à son tour un homme et ainsi de suite.
c) Les pratiques rituelles
Les infonnations fournies par les versions de l'épopée Mumbwanga ressortissent
à la
divination ou à la magie. Ainsi dans Mu2, 45, il Y a menace d'avortement, on
fait
successivement appel aux gens du Bwiti, du Malamu et à Mwiri. Pour la même
raison on
fait appel, dans M, 12, 15, 18 et 25, aux initiés du Bwiti, du Nyemba, aux
adeptes du
Malamu et du Mukuji et à Mwiri pour détenniner le mal et le traiter.
- la divination ur Ê S d
Mumbwanga montre que les Bapunu ont toujours procédé à la divination.
* le diagnostic par la divination
C'est au cours des séances publiques du Bwiti et du Nyemba que les initiés de
ces
deux ordres pratiquent des «consultations divinatoires». Ces séances de voyance
doivent
permettre aux devins-guérisseurs bal)ga:l)gd
ba re S 1 t si (sg. l)ga:l)gd
mû r es f t si) de trouver l'origine de la maladie (ils pratiquent donc le
diagnostic par la
méthode divinatoire) et le moyen de la traiter. Pour la grossesse difficile de
Ma Pungu,
c'est Mwiri qui trouve le remède. Le traitement qu'il conduit consiste à
frapper la patiente
d'un crachat de bis yemu, «mélanges de plantes» préalablement mastiquées.
781
Tous les guérisseurs baJ]ga:J]g~ (sg. J]ga:J]g~)
ne sont pas devins barés '1 t si
(sg. mu rés 1 t si). Certains sont des individus qui ont étudié aux côtés d'un
maitre les
symptômes des maladies et les propriétés médicinales des plantes. Ils n'ont pas
de
rapports avec les esprits. On dit qu'ils n'ont pas les «yeux fendus». D'autres,
en
revanche, en tant que membres d'une société initiatique, ont suivi, durant la
période de
leur initiation, des séances pour entrer en rapport avec les esprits et
acquérir ainsi une
voyance qui permettra de dire pourquoi il y a tel problème ou comment éviter
tel
problème.
* le pronostic par la divination
Dans l'épopée, on voit le héros Mumbwanga aller consulter des devins pour
savoir s'il
arrivera chez sa soeur Marundu qu'il doit délivrer. Le devin lui donne un
pronostic sur
les chances de réussite de son voyage.
-la magie
Dans l'épopée Mumbwanga, on trouve des renseignements sur les moyens magiques
qui ont un effet extraordinaire.
*Ngalu
Il s'agit d'un objet magique comme un miroir ou d'une incantation et formule à
caractère ésotérique. En tant que miroir, le I]g al u permet à son détenteur de
voir ce qui va lui arriver. En tant qu'incantation, le J]g al u fait obtenir à
celui qui le prononce tout ce qu'il veut.
*yibabil
Il s'agit d'un charme magique.
• C'est une amulette qui sert de protection individuelle à son détenteur.
• Le yi b ab i procure à celui qui le porte sur lui un pouvoir magique qui fait
que
lorsqu'il vient à mourir, il peut ressusciter de par lui-même, ou bien les
médicaments,
qu'un guérisseur prépare, peuvent lui parvenir par la chanson. C'est le cas par
exemple
de Yikafi au Mu2, 427-436 : «Les ogres le coupèrent en deux morceaux. (Ça
alors?
Nous ne valons plus rien, dit un auditeur). li resta inerte. Il était mort. On
ne le toucha
plus. On en était là quand Yikafi se mit à chanter: (... ). Yikafi se releva et
s'en alla».
C'est le cas aussi pour Mumbwanga, au Mul, 609-621, qui ressuscite en recevant
les
médicaments qu'on lui envoie: «La vieille femme entra dans sa maison, prit un
balai et
frappa Mumbwanga aux yeux. Mumbwanga tomba raide mort. Il était étendu. Son
corps
était plein de mouches bleues et d'asticots. Le guérisseur, qu'il avait laissé
au village,
savait déjà ce qui était arrivé. Il se mit à chanter: (... ). Pendant que le
devin-guérisseur
1. il ne faut pas confondre yi b ab i, «amulette» avec y lb a:b i, «interdit
alimentaire».
782
chantait ainsi, les médicaments étaient envoyés
à Mumbwanga. Ils arrivèrent auprès de lui. Mumbwanga ressuscita aussitôt».
6.5.
Conclusion
Ce chapitre a permis l'étude de la triple fonction de l'épopée Mumbwanga, à
savoir:
la fonction de loisir, celle de cohésion sociale et celle d'éducation. De ces
trois fonctions, celle qui me paraît correspondre le plus à un besoin de la communauté
punu et qui revêt, par voie de conséquence, une importance particulière, est la
fonction de cohésion sociale. En effet, la déclamation de l'épopée Mumbwanga
crée une certaine union, une certaine harmonie entre les membres de la
collectivité punu. C'est cette union que B. Malinowski appelle «communion
phatique» 1. S'appuyant sur une étude menée sur les indigènes des îles
Trobriand, il énonce que les récits peuvent
contribuer à constituer et à renouer sans cesse un tissu social. Les récits
assurent ainsi
une fonction sociale. Une société forme un tout cohérent et accentue les modes
d'intégration sociale: l'accent est mis sur la communion ou la cohésion
sociale. Cela est dû au fait qu'une société est un organisme vivant où les
parties sont solidaires de
l'ensemble. Les participants à l'acte narratif ne recherchent pas seulement
l'échange mais le partage des représentations, des identifications et des
émotions. Les chants, entonnés pendant la performance de l'épopée, créent une
empathie sociale très importante.
1. B. Malinowski, «The Problem of Meaning in
Primilive Languages», in Ogden, C.K. & I.A.
Richards, The Meaning ofMeaning, p. 315.
783
CONCLUSION GÉNÉRALE
Arrivé au terme de ce travail, peut-on prétendre
maintenant à une meilleure
connaissance et appréhension de l'épopée Mumbwanga ? Je l'espère.
Sans prétendre avoir donné, loin de là, toutes les informations nécessaires sur
l'épopée des Bapunu, cette thèse, la première du genre au Gabon parce qu'elle
lie le
document imprimé au document audio-visuel, a, d'une part, tenté de démontrer
que le
récit de Mumbwanga est une épopée, qu'il appartient à la littérature orale punu
et que sa déclamation se fait selon certaines règles, et d'autre pan, donne des
orientations pour de futures recherches.
1. A travers l'étude de Mumbwanga , j'ai vérifié que les traditions orales,
dans des
sociétés telles que celle des Bapunu, jouent un rôle important dans la collecte
des
informations. J'ai aussi abordé le problème de la performance de l'épopée
Mumbwanga. L'analyse des modalités d'énonciation a contribué à mieux apprécier
l'originalité de la transmission orale.
1.1. A la fois voix, parole et geste tel que cela a été étudié au
chapitre 4 dans la narration
verbale, la polyphonie narrative et la narration gestuelle, l'épopée Mumbwanga
donne
l'impression d'être accessible à n'importe qui. Mais en définitive, elle exige
un savoir
faire et un savoir dire qui déterminent les niveaux de compétence de ses
interprètes,
compétence vérifiée par les différentes versions collectées et analysées au
chapitre 5, et
par l'étude de la technique du narrateur au chapitre 4.
1.2. La comparaison des trois versions a permis d'affirmer qu'il
s'agit d'un seul et
même récit épique et de voir la permanence de ses thèmes.
1.3. Par l'étude de la technique du narrateur, j'ai abordé un
élément souvent négligé
dans l'analyse du style oral, le geste. M'appuyant sur les analyses des
éthologues,
notamment celle de J. Cosnier, et sur mes propres observations, j'ai étudié la
gestualité
de l'énonciateur et la coordination de l'interaction entre le narrateur et les
auditeurs à partir
787
d'un enregistrement vidéo de 90 minutes, réalisé
à Four Place, un village gabonais situé à 150 kilomètres de Libreville. J'ai
montré, par là même, l'importance de la mimoges.tualité dans la déclamation de
l'épopée Mumbwanga.
2. Ce travail constitue, pour moi, un point de départ qui me permet d'envisager
de
nouvelles perspectives. Plutôt que d'esquisser des projets plus ou moins
lointains et plus ou moins plausibles, je n'indiquerai que ceux qui sont
susceptibles d'être réalisés.
2.1. Au niveau de l'épopée Mumbwanga
Je me propose de procéder à une collecte en territoire congolais où résident
aussi des
Bapunu afin de vérifier l'existence de l'épopée Mumbwanga et de voir la
variation et la
permanence des thèmes du récit épique punu de l'autre côté de la frontière
gabonais.e.
2.2. Au niveau de la littérature orale punu
J'entreprendrai une collecte de proverbes et de devinettes pour mieux connaître
et faire
connaître ces deux genres littéraires punu pour lesquels on ne dispose que de
très peu
d'études.
2.3. Au niveau de la mimogestualité
C'est grâce à l'enregistrement vidéo que je me suis intéressé à la
mimogestualité, c'est-
à-dire à l'activité corporelle qui accompagne l'acte de parole. J'ai aussi pris
conscience de l'importance du canal gestuel et du fait qu'il est rarement
étudié en Afrique même
lorsqu'on aborde le style oral. Il s'agira donc de poursuivre et d'ouvrir le
travail mené sur l'épopée Mumbwanga et la communication non verbale. Ce projet
a une visée de recherche d'autant plus nécessaire
qu'il n'existe justement pas, dans ce domaine, de travaux faits au Gabon et sur
le Gabon.
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