Aug 11, 2023

La gestion et l’exploitation des ressources naturelles au Gabon : vers une réorganisation spatiale des activités productives Coudel-Koumba

1 La réflexion sur la distribution spatiale des activités économiques permet de cerner d’une manière globale la configuration du secteur industriel et les phénomènes sociaux (urbanisation, exurbanisation, chômage, exode rural, etc.) induits. Elle paraît, dans ce sens, un véritable outil d’analyse de la politique d’industrialisation du pays. Par exemple, la polarisation économique (Libreville, Port-Gentil/Gamba, Mounana)1 n’a pas permis de diversifier largement le secteur industriel gabonais. Cette situation a non seulement entraîné un déséquilibre socio-économique entre les neuf provinces, mais elle a aussi ralenti le processus de développement du pays (fig. 1). L’une des conséquences majeures est l’absence d’un tissu industriel performant à même de juguler les disparités spatiales justifiant la non-satisfaction des besoins nationaux. Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011 47

Figure 1 – Synergie entre voies de communication et activités économiques au Gabon (extrait de : Atlas de l’Afrique. Gabon, p. 56-59) Les choix politiques en matière d’industrialisation 2 L’analyse critique du processus industriel enclenché au Gabon décrit des structures industrielles en proie à une gestion approximative, à la sous‑production et à la concurrence des produits importés d’une part, et indique la nécessité d’une spécialisation et d’une adaptation des productions aux besoins réels de la population. Il faut sortir de l’idéologie selon laquelle les plaquages industriel et technologique seraient la solution à une industrialisation adéquate et efficiente des pays en développement. Si le transfert massif de technologies dominantes utilisées dans les pays industrialisés, vers l’Afrique principalement, a permis le lancement du processus industriel, il a néanmoins produit des « éléphants blancs ». Ce furent parfois des échecs coûteux pour les pays africains. À ce niveau, nous suggérons que le Gabon et même d’autres pays africains adoptent des technologies appropriées aux environnements économique, social et culturel spécifiques. Ceci pour deux raisons essentielles. Premièrement, il n’est pas évident de s’approprier une technologie de pointe sans y être préparé et formé. Deuxièmement, le transfert de savoir et de technologie tout azimut justifierait le constat d’échec de certaines expériences industrielles, notamment au Gabon (usine de cellulose à Kango, d’urée et d’ammoniaque à Port-Gentil, de piles à Franceville, etc.). 3 En effet, les multiples projets industriels engagés au Gabon par l’État et le secteur privé montrent la volonté des pouvoirs publics de diversifier le secteur productif, essentiellement basé sur la production pétrolière, avec 77 % des exportations totales, 45 % du PIB et 60 % des recettes budgétaires (Ropivia, 2004, p. 56-57). Dans cette Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011

optique, notre analyse envisage le problème du choix politique tant du point de vue général que sectoriel, dans la mesure où les efforts de diversification sont restés vains malgré l’énorme potentiel agro-industriel du Gabon. De ce fait la problématique de la diversification industrielle est indispensable, afin de proposer une réorganisation spatiale dans la gestion et l’exploitation des ressources naturelles, en tenant compte du contexte international, mais surtout des besoins spécifiques du pays. 4 Ainsi, les choix politiques relatifs aux ressources exploitables ne sauraient être isolés de l’environnement international qui caractérise les relations entre les économies de marché, mais tenir plutôt compte des capacités de mise en valeur des ressources dont dispose le Gabon. L’économie gabonaise, qui évolue dans une dynamique des économies les plus avancées, ne saurait ignorer la concurrence des cours des matières premières et son système de production mondial. 5 Par ailleurs, la production et l’exportation des matières premières placent le secteur industriel gabonais dans une logique d’offre dont il découle une inadaptation des technologies industrielles appropriées mais également une restriction des choix industriels qui correspondent aux besoins nationaux réels. Aussi proposons-nous une redéfinition des priorités industrielles et l’intégration des choix internationaux, par le jeu des partenariats économiques. Cette réorganisation (fig. 1) exige que le Gabon pense son développement socio-économique en termes de diversification et de performance sectorielles. En d’autres termes, les choix politiques doivent permettre au secteur industriel d’échapper ou de sortir de l’impasse d’une spatialisation industrielle dont profiteraient uniquement les pays industrialisés. Néanmoins, cette redéfinition des nouveaux objectifs en matière industrielle, suppose pour l’État et les opérateurs économiques d’une part, la maîtrise des outils de production, et la mobilisation des ressources financières, d’autre part. 6 Ainsi, une meilleure distribution spatiale des activités économiques est‑elle un facteur de développement durable et harmonieux, dans la mesure où elle mettra forcément en parallèle politique d’aménagement du territoire et politique d’emploi. À cet égard, une nouvelle orientation de la politique industrielle du Gabon n’est pas seulement la clef du développement, mais demeure le facteur essentiel d’une construction spatiale. En effet la prise en compte des potentiels économique et énergétique des neuf provinces présente assurément un enjeu important pour ce « riche » pays d’Afrique centrale. 7 En outre, redéfinir la carte économique du Gabon revient à résoudre un déséquilibre socio-économique issu de la tripolarisation du territoire national qui, du reste, a montré ses limites. Ce dernier aspect nécessite la relance et la maîtrise des multiples opportunités de développement par le pays. Les localisation des ressources naturelles et diversification des activités économiques 8 L’adoption des choix industriels appropriés ne pourra atteindre les résultats escomptés qu’à la condition que le Gabon engage une deuxième tentative de diversification et de redéploiement industriels2 . Elle suppose un engagement des pouvoirs publics, des opérateurs économiques et des scientifiques afin d’apporter des solutions adéquates aux problèmes socio‑économiques soulevés par l’industrialisation du pays. Nous pouvons évoquer entre autres disparités engendrées par la tripolarisation du territoire Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011

national, l’entassement des populations et des infrastructures dans les pôles d’activités majeurs (Libreville, Port-Gentil/Gamba) et dans une moindre mesure à Mounana. Par exemple, Libreville et Port-Gentil exercent une forte attraction sur les populations des autres villes. On compte deux personnes sur trois vivants dans les villes du littoral (Omadamba Ombanda, 2004, p. 28‑29). Nous notons également l’évolution à la hausse du taux de population urbaine, passé de moins 30 % en 1960 à 73 % en 1993, et qui serait voisin de 80 % aujourd’hui (Mboutsou, 2004, p. 24-27). Il est certain que le choix d’implantation des entreprises industrielles et l’urbanisation qui en découle, expliquent en partie les disparités que nous constatons sur le plan national. 9 Il est également évident que cette disparité au niveau de la structuration du territoire affecte le rendement de l’économie nationale et plonge les villes de l’intérieur dans une production atone puisqu’elles sont dépourvues autant d’unités de transformation, de main-d’œuvre que des circuits de distribution. Eu égard à ce qui précède, les choix qui seront adoptés permettront d’asseoir un tissu industriel à taille moyenne, mais dont on peut espérer une efficacité certaine. Ce tissu industriel sera conforme à la structure plus ou moins monopolistique de chaque secteur d’activités, à la disponibilité des ressources (humaines et financières), et à la maîtrise des techniques de production. C’est à ce niveau que l’exploitation de toutes les ressources va favoriser, ou du moins celles qui peuvent l’être à court ou moyen terme, le maillage du territoire en unités de production, d’où la nécessité de proposer des alternatives susceptibles de soutenir les choix gouvernementaux et leur réalisation. 10 Ainsi, l’observation que nous faisons du processus industriel montre que si la localisation des potentiels minier et énergétique a été faite, les possibilités de les exploiter a toujours fait défaut. En effet, le processus d’industrialisation requiert la mise en place des moyens considérables aussi bien pour la détection des ressources (surtout non renouvelables), que pour leur exploitation. Cela suppose, après constat, que la localisation et surtout l’exploitation des ressources soient motivées par la rentabilité qu’on en tirerait, et que ce processus concerne autant les ressources agricoles, halieutique que minérales. Cette nouvelle stratégie d’exploitation et de production des ressources minières, agricoles et halieutique débouchera sur une différenciation des niveaux d’industrialisation en fonction des produits, des investissements, du coût de fabrication et de la main-d’œuvre. Par exemple, pour faire face au manque de main-d’œuvre qualifiée, l’État devra mettre l’accent sur la formation professionnelle, en tenant compte des besoins réels des opérateurs économiques, de la demande du secteur industriel, et surtout cela permettra de récupérer tous ceux qui sont ou ont été en échec scolaire. 11 En effet, l’enquête Budget Consommation de 1994 estimait à 30 % la population urbaine, de moins de 26 ans, concernée par le chômage. Ce chiffre atteignait 46 % à Moanda et 38 % à Port-Gentil, alors que ces villes sont des foyers d’activités. En outre, ces chiffres donnent une autre indication qui est liée à l’ampleur du phénomène, et que les secteurs pétrolier et minier ne peuvent pas à eux seuls résorber. Ceci d’autant plus que les recettes pétrolières engrangées durant les Douze Glorieuses (1974-1985) n’ont pas permis de rationner la politique économique (Ropivia, 2004). Mais, nous y ajoutons qu’il s’agit davantage de gestionnaires ou de responsables ayant confondu gestion publique et gestion privée. 12 C’est pourquoi il nous semble opportun, d’une part, de proposer et de soutenir une réflexion sur la spatialisation des activités économiques et, d’autre part, de souligner Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011

que le Gabon doit s’engager dans une direction radicalement opposée à celle ayant conduit au schéma industriel actuel. Les activités économiques susceptibles d’être financées dans chaque province 13 Les besoins en équipements collectifs sont si considérables que les conditions adéquates pour créer des emplois dans le secteur productif et engager les conditions d’un développement cohérent et durable se font attendre. Il en résulte des déséquilibres spatiaux qui s’accentuent chaque jour davantage. Nous proposons donc qu’il soit établi un répertoire des potentiels minier et agricole de chaque province, à l’instar du SYSMIN (8e FED). Ce programme a permis au Gabon de bénéficier d’une enveloppe de 35 millions €, soit environ 23 milliards de Francs cfa (Fcfa), afin de diversifier l’économie nationale et de lutter contre la pauvreté (Convention de financement n° 6590/GA). En outre, ce programme (du 31 juillet 2004 au 31 décembre 2010) prend en compte le renforcement des capacités des institutions sectorielles, la protection environnementale des zones minières et/ou agricoles, y compris les actions sociales en faveur des populations locales. Cette initiative peut être appliquée à d’autres secteurs de l’économie gabonaise tels que la pêche, l’élevage, l’économie forestière et l’agriculture. La diversification de l’économie nationale et des types de productions est urgente dans la mesure où la situation socio-économique du Gabon, déjà alarmante, aggrave encore un peu plus les maux dont souffrent les populations, et dont les remèdes tardent. 14 C’est à ce niveau, après identification des ressources et des activités à financer, que la diversification permettra de passer d’une économie dominée par l’extraction et l’exportation des matières premières, brutes ou partiellement transformées, à un système d’économie de marché, basé sur la transformation locale des matières premières en produits finis. Ce changement de mode de production est possible étant donné que les ressources minières par exemple sont quasiment inexploitées et constituent à ce jour un gros potentiel économique. Cela assure au Gabon des possibilités de développement et de diversification industrielle, encore qu’il lui faille, d’une part, la volonté de se déterminer par rapport à la dépendance que représente la demande des pays industrialisés, et d’autre part, les moyens financiers nécessaires pour engager une mutation d’envergure. 15 Dès lors que ces étapes seront exécutées, et que l’exploitation des ressources au niveau national sera enclenchée, on passera d’un système triangulaire de production (Libreville, Port-Gentil/Gamba, Mounana) à un système englobant plus équilibré qui insère l’ensemble des provinces dans un circuit national de production et de distribution des biens et services. Il est nécessaire que le pays opère une mutation radicale par rapport au système actuel de production du fait que l’économie de rente révèle ses limites suite, non seulement, à la variation du cours de certaines matières premières, mais également à la nécessité de construire un tissu industriel compétitif et productif aux plans national, régional et continental. Dans ce contexte, nous prônons une économie qui doit être soutenue par le renforcement des nouveaux secteurs d’activités en plus des secteurs traditionnels tels que l’agro-alimentaire, l’industrie du bois, etc. Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011

16 C’est dans ce cadre que la diversification de l’économie nationale dont on parle tant depuis plusieurs années devient véritablement un impératif pour l’État. (Bignoumba, 2004). 17 Pour cette raison, la première tentative de diversification qui a eu lieu dans les années 1980 doit servir de cadre de référence pour une seconde diversification. Cependant, elle devra tenir compte cette fois-ci du potentiel énergétique de chaque province et de leur spécificité en termes économique, géographique, voire démographique. Ce processus aura le mérite de rationner et de mieux gérer les ressources dites non renouvelables, d’effectuer les meilleurs investissements donc de rentabiliser au mieux les finances publiques, et d’autre part, d’encadrer les flux des populations vers tous les pôles de production. À ces atouts directs, il convient d’adjoindre la création d’emplois (direct ou indirect), ce qui aura un impact au plan social, notamment sur la résolution du chômage. En effet, la diversification du système de production sous-entend la mise en place d’un équipement collectif au service des populations locales. Ainsi, nous établissons un lien entre activités productives, aménagement du territoire et politique d’emploi. En résolvant l’un, on apporte implicitement des réponses aux déséquilibres spatiaux engendrés par un système de production triangulaire. 18 En somme, la réorganisation spatiale des activités productives, proposée dans cette analyse spatiale, permettra d’alléger les finances publiques et de promouvoir le secteur privé, dans la mesure où l’économie gabonaise n’est pas encore sur le chemin de la croissance pour enfin impulser le développement du pays. Le Gabon doit nécessairement tirer profit de ses potentiels énergétique, minier, agricole et halieutique pour retrouver l’équilibre économique. En fait, les échecs de certains projets industriels sont à chercher dans le faux-semblant des politiques industrielles engagées par les pouvoirs publics étant donné qu’elles ont fluctué entre l’amateurisme, le renoncement, et l’approximation dans la conduite des projets de développement en général. En effet, pendant que l’économie s’enfonçait dans la crise, le discours politique appelait à la rigueur et au sursaut national pour redresser l’économie, mais n’était nullement accompagné d’une véritable politique de restructuration, insufflée à partir des politiques d’ajustement structurel. (Meye, 2007). 19 Ne les considérons pas comme une panacée face aux difficultés du pays, tant elles ont aussi leurs cohortes d’inconvénients (compression d’effectifs, fermeture d’usines, etc.) mais comme des solutions opportunes, spécifiques à des situations précises. 20 Ainsi, suite à cette absence de diversification des activités productives, la situation économique est allée de mal en pis. Car si le pays s’est engagé dans un processus d’industrialisation sans conviction ni stratégies appropriées, il devra maintenant envisager une mutation conceptuelle de sa politique industrielle, en mettant l’accent sur la transformation des matières premières en produits finis ou semi-finis. Cette impulsion donnera un nouveau sens à la production industrielle gabonaise. 21 À cet égard, nous suggérons une nouvelle orientation des choix industriels, qui offriront de nouvelles possibilités et de nouveaux débouchés aux produits nationaux. En d’autres termes, il est question d’enclencher des dynamiques économique, sociale et spatiale pour relancer l’économie nationale. En d’autres termes, il est question pour le Gabon d’entamer sa conversion afin de devenir un pays producteur au lieu de demeurer un pays fournisseur de matières premières. Le Gabon doit réinventer sa politique industrielle afin, d’une part, de s’inscrire dans un nouveau créneau de production et, Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011 52 d’autre part, de cerner les nouveaux enjeux mondiaux à venir pour, selon A.L. Meye (2007), se situer aux premières loges de la recomposition économique mondiale dans les prochaines années. Pour cela, nous devrons nécessairement prendre en compte d’autres facteurs déterminants tels que la taille du marché local, le pouvoir d’achat des ménages, et les coûts de production des produits, dans la mesure où ils influent plus ou moins dans la consolidation du secteur économique. L’établissement d’un chronogramme à court, moyen et long termes 22 Les situations économique et sociale étant préoccupantes, il est important d’instaurer un programme de réalisation des projets de développement, mais également d’imposer aux responsables un résultat, fut-il mitigé. Cette disposition permettra de suivre les différentes phases du projet. Par exemple, pour la création d’une exploitation agricole, on surveillera les phases d’étude, d’exécution des travaux, c’est-à-dire de la construction des locaux, des clôtures, l’achat des semences et des engrais, du recrutement de la main‑d’œuvre jusqu’au fonctionnement effectif de la structure. Mais, on devra aussi s’intéresser à la recherche scientifique. L’innovation et la recherche scientifique restent de loin les chevilles d’une diversification économique, d’une part, en tant que possibilités de renouvellement du savoir, en offrant des choix multiples de développement et, d’autre part, en tant que soutien à un domaine clé qui est celui de l’agriculture par l’expérimentation de nouvelles espèces cultivables, par l’amélioration des rendements et de leur qualité. En effet, le rendement escompté tient compte de la maîtrise de tous ces éléments, qui font maintenant partie des facteurs de production. 23 Concernant l’emploi, ce point nécessite la mise en place d’un programme de formation. Cela permettra de scinder les besoins en main-d’œuvre ; d’un côté qualifiée, et de l’autre celle non qualifiée. C’est à ce niveau que la formation dans les domaines de l’agriculture, de la pêche ou de l’artisanat, est une ouverture vers de nouvelles activités productrices de biens et services, aussi bien dans la vente, la transformation, le conditionnement, la distribution que dans le service après vente. C’est également, un moyen de diversifier les flux et les circuits de distribution en incluant l’ensemble des provinces. Actuellement, en raison de leurs poids démographique et économique, quatre provinces (Estuaire, Ogooué-Maritime, Woleu-Ntem et Haut-Ogooué) sur neuf participent véritablement au renforcement économique du pays, pendant que les cinq autres (Ngounié, Nyanga, Ogooué-Lolo, Ogooué-Ivindo, Moyen‑Ogooué) n’y participent que modestement. C’est pourquoi le maillage du territoire par des voies de communication modernes entraînera de facto l’implantation de nouvelles activités (mise en exploitation de fer de Bélinga) ou la reprise de certaines d’entre elles (cas de la marbrerie de Tchibanga) dans les zones rurales. Soulignons que ces zones ont été jusque-là écartées dans la formation du Produit Intérieur Brut (PIB) pour plusieurs raisons, dont l’insuffisance et la qualité moyenne des infrastructures et un exode rural excessif vers les principaux sites économiques. Ces deux faits vident les villes, réduisant ainsi toute possibilité de développement du pays. 24 Mais au-delà, nous soutenons que ces deux raisons ont plus que d’autres conditionné et orienté les choix gouvernementaux quant aux ressources à exploiter. L’accessibilité à un site minier, agricole ou de pêche étant prise en compte dans l’implantation d’une unité de production, le manque d’infrastructures et des équipements collectifs est Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011 53 pénalisant pour certaines provinces du Gabon. À cet égard, le respect de la programmation et de la planification des besoins est un gage de réussite des actions à mener dans le sens d’une réorganisation de tous les secteurs de l’économie nationale. À cet effet, un secteur, le transport, a retenu notre attention à cause de sa forte implication dans le déroulement des activités économiques, voire dans le fonctionnement quotidien du territoire. Le rôle du secteur des transports dans le processus de diversification et de réorganisation des activités productrices 25 La branche transport représente moins de 30 % du PIB (MPPDAT, 2001) : ce pourcentage est insignifiant au regard des besoins nationaux insatisfaits en la matière. Ce pourcentage indique aussi que le territoire n’est que partiellement couvert par les flux commerciaux et des efforts sont à fournir dans ce domaine. Cependant, nous savons que le secteur des transports intègre une double nécessité dans l’économie nationale, à savoir : permettre les échanges de flux interprovinciaux et la participation des neuf provinces à l’activité économique. Il s’agit le plus souvent des flux des produits nationaux et des importations à redistribuer sur l’ensemble du territoire. Ces flux auraient été plus considérables si l’état général du réseau routier le permettait. L’état approximatif des routes nationales voire des axes urbains constitue une entrave à la circulation des biens et des individus. Cette situation est considérée, à juste titre, de goulot d’étranglement de l’économie gabonaise. En effet, si en période sèche, il est facile de transporter des marchandises d’un point à un autre du territoire, en saison des pluies, certains axes routiers sont impraticables, retardant ainsi les livraisons3 . Les axes Libreville/Kango (Estuaire) et Fougamou/Mouila (Ngounié) pour ne citer que ceux-là, sont assez édifiants. favoriser la diversification de la production et donc de l’économie par l’exportation des produits nationaux, surtout agricoles et halieutiques. L’amélioration des conditions de circulation est un gage d’une consolidation du tissu industriel dans la mesure où l’état des voies de communication ne sera plus un frein à l’installation d’opérateurs économiques hors des zones traditionnelles d’activités. 26 À cet égard, le secteur des transports se révèle être un levier efficace et indispensable à la création de la valeur ajoutée. Ainsi, le rôle de soutien qu’assume le secteur des transports au développement socio-économique d’un pays considéré est indéniable. Par ailleurs, l’effort consenti dans le domaine des transports ayant toujours été porté sur l’accroissement des échanges extérieurs (port minéralier, ports à bois et ports marchands de Libreville et Port-Gentil), il est temps d’encourager la construction d’infrastructures à caractère régional (cabotage ou transport fluvial, concrétisation de la plate-forme ferroviaire à Franceville, réseau routier régional). Il en est de même du Transgabonais dont on envisagerait l’extension et la connexion avec les voies du Cameroun et du Congo. L’interconnexion de toutes les voies de communication permettra la fluidité des communications. Le Gabon et les autres États ont la possibilité et la capacité, y compris les moyens, de promouvoir une politique des transports ambitieuse visant à mettre en place un ensemble cohérent d’infrastructures, dans le but d’accroître, d’une part, les échanges et, d’autre part, d’amorcer un véritable développement. À cet effet, P. Nguema Engo (1997) dans ses travaux, montre et analyse • • Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011 54 l’implication des transports dans le renforcement des relations intercommunautaires, commerciales et financières dans les zones transfrontalières, notamment entre le Cameroun, le Gabon et la Guinée équatoriale (ou zone des trois frontières). 27 Le dynamisme socio-économique de cette zone est une résultante d’abord de l’amélioration des conditions de circulation, donc de l’intensification des flux commerciaux et de passagers, ensuite des liens linguistiques de part et d’autre des frontières, ce qui favoriserait les contacts, et enfin d’une intégration régionale réussie. Le transport terrestre y tient un rôle important et même principal. Dès lors, il conviendra de définir une stratégie nouvelle pour le développement socio-économique, du moins dans les secteurs prioritaires de l’économie. 28 Cette option va accroître l’impact des opérations de développement, tout en rompant l’isolement partiel ou total de certaines populations. Elles accéderont, par des voies de communication praticables, aux services et aux biens dont elles sont privées. Ce manque de liaisons entre les principales villes du Gabon et leur arrière-pays est un obstacle à l’implantation des activités productrices, à la circulation des biens, des services, mais aussi des personnes et des liquidités. Par contre, lorsque les voies de communication seront fiables, des entrepreneurs investiront à l’intérieur du pays, car ils auront des accès permanents avec les centres de décisions, et ne seront plus menacés par des délais de livraison trop longs ou par des accidents dus au mauvais état des routes (nationales). De même, les transporteurs augmenteront la part du trafic désormais confié à la route, devenue plus fiable, sûre et surtout moins coûteuse. 29 Cette nouvelle gestion spatiale permet, à court et à long termes, une meilleure utilisation des moyens de transport (inter modalité des moyens et des modes de transport) et une réelle intégration des zones enclavées dans les circuits de production et de distribution des biens et services. C’est aussi une manière de juguler le chômage car les zones enclavées proposeront des produits dès lors qu’elles seront en contact avec les pôles régionaux, et donc capables d’offrir une qualité satisfaisante du cadre de vie aux populations suite à une nette augmentation des revenus. Propositions ou cadre structurel d’une réorganisation spatiale des activités productives 30 La distribution spatiale des activités économiques nécessite une profonde réforme du mode de gestion de l’espace national dans tous les domaines de production, mais essentiellement dans les secteurs agricole, artisanal, industriel et celui des transports. Cela suppose et concerne l’implantation des unités agricoles, la création des usines de fabrication de produits nationaux et la construction des infrastructures et équipements collectifs. 31 Pour cela, on pourrait envisager la réforme des fonds structurels au nom de la cohésion socio-économique, qui sera inscrite dans la Loi de finance. Ce fonds de cohésion socioéconomique, calqué sur le modèle proposé par Jacques Delors (2004, p. 302-303), comportera trois volets : le premier volet, le Fonds Économique pour le Développement Provincial (FEDEP) s’occupera du développement régional ; • Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011 55 le second volet, le Fonds d’Actions Sociales (FAS) financera l’insertion et l’accompagnement des demandeurs d’emploi, qualifiés ou non. Ce fonds permettra à ceux qui sont en situation d’échec de se réorienter et de participer à l’effort national ; le troisième volet, le Fonds de Développement Agricole et Artisanal (FDAA) assurera la promotion et le développement des secteurs agricole et artisanal. 32 Ainsi, ce fonds de cohésion économique et social ne se traduira plus par la politique du saupoudrage, mais par des actions concertées dans les domaines précis et prioritaires. En d’autres termes, il envisagera une programmation pluriannuelle des besoins et une coordination au niveau des administrations de tutelle (Finances, Planification, Agriculture, PMI/PME, Aménagement du Territoire, Intérieur et Décentralisation, Enseignement général, Professionnel et Travaux Publics). En outre, ce fonds apportera des aides technique et financière aux provinces en retard (Ogooué-Lolo, MoyenOgooué, Ngounié, Woleu‑Ntem), celles qui sont en déclin (Ogooué-Ivindo, Nyanga) et confortera les acquis de L’Estuaire, du Haut Ogooué et de l’Ogooué Maritime. Ce processus englobant, prône le développement rural pour amoindrir les déséquilibres entre pôles majeurs (Libreville, Port-Gentil/Gamba, Mounana) et les pôles secondaires constitués principalement de Oyem/Bitam, Lamabaréné, Mouila. 33 À cet égard, la résorption des déséquilibres socio-économiques entre les neuf provinces dépend d’un certain nombre d’actions à réaliser telles que la construction de voies de communication, d’équipements collectifs (hôpitaux, écoles, lycées et collèges, électrification, adduction d’eau, etc.), la réorganisation du secteur agricole, la création de PMI/PME, la promotion du secteur privé et la diversification du secteur industriel. C’est à ce stade que l’application de la Loi 15/96 sur la décentralisation intervient car elle permet aux collectivités locales (Conseils municipaux et départementaux) d’engager des véritables travaux de développement, de s’engager pleinement dans le processus d’harmonisation des énergies, donc d’être le promoteur du développement, dans un partenariat État-promoteurs économiques. Cette synergie des partenaires au développement et de l’État aboutira non seulement à la consolidation des programmes d’équipement mais également à un développement harmonieux et durable du territoire national. * 34

La mondialisation des échanges, des biens et services entraîne la fragilité des économies de rente et donc les moins concurrentielles, basées sur la vente des matières premières et marquées par la fluctuation de leurs cours. À ce propos, l’économie gabonaise qui s’inscrit dans ce contexte, est non seulement moins concurrentielle, donc fragile, mais doit en même temps faire face à une hausse alarmante du taux de chômage (21 %) depuis 1996 et au manque de diversification du secteur industriel. Ces deux faits ont indiscutablement un impact négatif sur les activités économiques aussi bien au niveau de la main‑d’œuvre que de la maîtrise des facteurs de production, mais surtout du marché des matières premières. Ce handicap à terme hypothèque le processus de développement et limite le Gabon au rôle de fournisseur des matières premières. 35 C’est pourquoi, nous soutenons une diversification du secteur industriel gabonais. Cela aura le mérite de proposer des produits nationaux sur les marchés extérieurs, d’une part, et de consolider l’économie nationale par des revenus issus de nouveaux produits hormis ceux engendrés de la vente des produits traditionnels et pétrole, bois et • • Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011 56

manganèse, d’autre part. La diversification des activités productives suppose également la prise en compte des spécificités de chaque province et la mise en place d’un fonds de cohésion socio-économique qui soutiendra chaque province dans le processus de développement. En effet, il ne peut pas y avoir de réel développement national sans développement conjoint de l’ensemble des provinces, comme il ne peut pas y avoir de développement sans participation et adhésion des populations aux projets de développement. 36 C’est dans ce contexte que la prise en compte de tous ces paramètres est essentielle et représente un gage de développement pour le Gabon. Cependant, notre analyse, comme toutes celles qui ont été faites sur ce thème, sera vaine tant que la volonté des dirigeants politiques et administratifs ne sera pas pleinement engagée. BIBLIOGRAPHIE Bakis H., 1993 - Les réseaux et leurs enjeux. Paris : PUF, Que sais-je ?, 127 p. 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Pessac : Thèse de Doctorat de Géographie, Université Michel de Montaigne - Bordeaux 3 , 367 p. Omadamba Ombanda F., 2004 - Urbanisation, In : Atlas de l’Afrique. Gabon. Paris : Les Éditions J. A, Éditions du Jaguar, p. 28-29. Ropivia M.-L., 2004 - Perspectives de développement, In : Atlas de l’Afrique. Gabon. Paris : Les Éditions J. A, Éditions du Jaguar, p. 56-59. NOTES 1. Moanda n’est pas pris en compte depuis la fermeture de la COMUF, en 1999, suite à la dépréciation de l’uranium sur le marché international. 2. M.-L. Ropivia (2004) évoque une première tentative de diversification inachevée qui a eu lieu entre le milieu et la fin des années 1980. Cependant, elle a permis la diversification, grâce aux ressources générées par le pétrole, dans quatre groupe d’activités (agro-industrie ; industrie, extraction et fabrication ; transport, informatique, recherche, énergie ; bâtiment, loisir, hôtellerie). 3. Les pluies torrentielles accentuent les difficultés de transport à l’intérieur du pays, ce qui constitue un handicap pour le réseau routier de février à mai. C’est la grande saison des pluies ou d’hivernage. RÉSUMÉS La spatialisation des activités économiques est un outil d’analyse et de compréhension, d’une part, du processus industriel et, d’autre part, des faits socio-économiques qui en découlent. Ainsi, la mise en relation des pôles d’activités majeurs (Libreville, Port‑Gentil/Gamba et Mounana), et des pôles secondaires essentiellement agricoles (Oyem et Bitam) ou forestiers (Mouila, Lambaréné et Lastoursville), présente un manque de diversification des secteurs productifs (industriels ou non). En d’autres termes, le Gabon n’a pas su anticiper la construction d’un tissu industriel performant, capable d’enclencher le développement du pays, mais également offrir des alternatives aux industries pétrolière et minière. C’est pourquoi la présente réflexion se propose de repenser la gestion spatiale des ressources naturelles afin de proposer un processus global d’industrialisation du Gabon. Management and exploitation of natural resources in Gabon : towards a spatial reorganization of interest-bearing activities The spatialization of economic activities is a tool for analysis and understanding of, on the one hand, the industrial process and, on the other hand, the socioeconomic facts which follow. Thus, relating major poles of activities (Libreville, Port-Gentil/Gamba and Mounana), and secondary poles above all agricultural (Oyem, and Bitam) or pertaining to a forest (Mouila, Lambaréné, and Lastoursville), displays a lack of diversification of productive sectors (industrial or not). In other words, Gabon could not anticipate the building of a high-performance industrial sector, capable to start the development of the country, but also to provide alternatives for the mining and oil Les Cahiers d’Outre-Mer, 256 | Octobre-Décembre 2011 58

industry. That’s why this reflection aims at rethinking the spatial management of natural resources in order to propose a global process of industrialization in Gabon.



INDEX Keywords : distribution, economic activities, Gabon, industrial diversification, production, transportation Mots-clés : activités économiques, distribution, diversification industrielle, Gabon, production, transport AUTEUR COUDEL-KOUMBA Docteur en Géographie, Assistant au Département de Géographie, CERGEP, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Omar Bongo, Libreville

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